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vendredi 27 mars 2015

Prospective





Voir entre autres : http://www.laprospective.fr/


La prospective n'a pas toujours bonne presse : tant de prévisions ont échoué ou furent dépassées. L'avenir nous réserve des surprises. La réalité dépasse la fiction ... 

Tout projet présidentiel qui ferait l'économie d'une réflexion prospective passerait pourtant à côté d'un levier puissant de mobilisation et d'action pour de nombreux citoyens : seule une vision à long terme donne à chacun d'adhérer, de se prononcer et de s'engager pleinement. 

La prospective n'élimine pas l'incertitude mais elle éclaire la route sous différents angles : en renonçant à envisager l'avenir de façon monolithique, en élaborant plusieurs scénarios d'évolution possibles et probables, elle éclaire les acteurs politiques et plus largement tous ceux qui se préoccupent du lendemain.


Avant d'imaginer et de construire, nous avons tout intérêt à observer ce qui s'est passé jusqu'à maintenant. Une prospective qui refuserait de s'inspirer des chemins parcourus et de se nourrir des leçons de l'histoire serait comme une coquille vide, belle en apparence et sans âme et sans vie. Elle se priverait de l'un des trésors de la pensée juive : "Souviens-toi Israël".

Scruter le passé ne lève certes pas toutes les inconnues mais donne des clefs de compréhension qui ouvre le regard et l'esprit. A celui qui est attentif et qui sait garder la faculté d'admirer se révèlent les grandes lignes et même tout un ensemble de détails significatifs qui lui indiquent les forces, les courants, les tendances traversant notre univers, notre planète, l'histoire des hommes. Sous l'agitation de surface lui apparaissent les mouvements lents et plus profondément encore ce qui demeure immobile.


Comment pouvons-nous espérer manoeuvrer, avancer et nous retrouver à bon port si nous ne prenons pas la peine de déceler les permanences de notre monde et d'aimer la façon dont il se transforme peu à peu ? Si cela pouvait nous éviter de tomber dans la confusion, nous aurions déjà fait un grand pas vers la libération de notre puissance créatrice et de notre faculté d'émerveillement. 

Ne voir que permanences et redites entraîne un risque d'erreur : penser que les choses se répètent sans fin et croire que rien ne changera au fond quoiqu'on fasse. Ne voir que des changements en oubliant les éléments stables génère une seconde erreur : penser que tout est voué à la disparition et à la mort. Ces deux erreurs majeures nous conduisent à penser que tout se vaudrait, à penser qu'il serait inutile d'entreprendre, qu'il serait dérisoire de s'engager, qu'il serait futile d'élaborer des projets, qu'il serait vain de vouloir aimer en vérité.


Comme "la grenouille qui ne savait pas qu'elle était cuite", une autre illusion nous menace : demeurer insensibles à des variations trop lentes pour que nous soyons en mesure de les percevoir et, par conséquent, tenir pour immuables des situations qui, en réalité, évoluent au fil des ans. Faire le tri entre permanences et changements demande un surcroît d'attention, un effort de conscience et la discipline de s'arrêter un moment afin d'être plus à même de déceler les variations infimes de notre environnement : là peuvent se cacher des indices révélateurs du monde à venir. 

Si nous nous laissons dominer par la fureur des événements les plus violents, si nous ne prenons pas la peine de discerner le bien qui germe sans bruit, nous risquons fort d'agir dans l'impatience, le ressentiment et la brutalité alors que nous avons à favoriser, en toute simplicité de coeur, ce qui est en train d'advenir de meilleur.


Un projet présidentiel pour la France sera d'autant mieux reçu, accepté et mis en oeuvre qu'il aura contribué à modifier notre regard de telle sorte que nous soyons devenus capables de repérer, à travers la multitude des phénomènes, les forces sous-jacentes qui travaillent notre société et nos coeurs. Une conscience plus claire des enjeux renforce cette capacité et nous donne la concentration suffisante pour nous attacher à ce qui en vaut vraiment la peine. Au milieu des tourbillons, de l'agitation incessante de surface, notre coeur immobile veillera à l'essentiel tandis que notre coeur en mouvement épousera les causes les meilleures. 

C'est l'une des ambitions majeures du projet France 2022 : permettre à chacun de déceler de nouveaux indices de transformation, de se réjouir de la découverte de possibles insoupçonnés jusque-là, d'oser contribuer à des changements qui semblaient irréalisables de prime abord.


Téléphone mobile, mobile-home, spéculations sur les valeurs mobilières, ... comment s'étonner que le nouvel eldorado, après l'abandon de l'or comme étalon soit devenu ... l'immobilier ? Comment ne pas pressentir que nous allons vers une nouvelle ruée vers la terre ? En contre point de la montée des mondes virtuels, allons-nous connaître une quête effrénée d'un bout d'espace tout à la fois tangible, palpable et intouchable ? Que lire dans cette frayeur qui gronde à la vue d'une planète menacée de toutes parts ? Comment pourrions-nous y voir clair, si nous nous laissions envahir par la peur, si nous nous laissions submerger par toutes les terreurs ancestrales ?


Notre environnement change, incontestablement. Nous disposons aujourd'hui de moyens que nos prédécesseurs nous envient ou nous envieraient sûrement. Sommes-nous cependant prêts à reconnaître que notre propre corps est voué à la mort, comme toujours ? Qu'il en est ainsi depuis l'aube des temps ? Que de ce point de vue, rien ne semble avoir changé ? Apprendre à mourir, apprendre à disparaître, quoi de plus difficile ? Quoi de plus terrible quand on songe à toutes les potentialités en germe ? Quoi de plus banal quand on vit dans un monde dont on n'attend plus rien ? Saurons-nous trouver le juste milieu entre l'attente émerveillée du lendemain et la certitude incontournable d'une fin prochaine ?


Depuis le commencement, notre univers est sous tension. Croire que nous vivons aujourd'hui des contradictions plus fortes qu'autrefois est source d'illusion, de passivité ou d'anxiété : chaque époque a son lot de sentiers étroits et aucun sommet n'est accessible sans passage périlleux. Voulons-nous la facilité d'une vie sans histoire ou désirons-nous affronter quelque danger ? Sommes-nous prêts à prendre des risques, à nous lancer sans pouvoir tout maîtriser ? Aurons-nous l'audace d'avancer au large en eau profonde, individuellement et collectivement ? Tous ceux qui vivent une détresse physique ou morale, trouveront-ils en France des visages exprimant le bonheur de vivre même quand la souffrance est là, jour après jour, lancinante et menaçante ? Trouveront-ils des bras accueillants et des mains au service de l'amour généreux, qui ne compte pas sa peine, que rien ne rebute, pour qui une vie ou une âme à sauver compte plus que tout l'or du monde ?


Entre la mort qui détruit, fait disparaître, anéantit et la vie, source de nouvelles naissances, de créations originales, de joies ou de souffrances, l'opposition date de la nuit des temps et traverse notre monde de part en part. 

Refuser la mort qui vient à son heure comme une délivrance, la cacher ou au contraire l'exalter, la présenter comme une panacée, voilà des attitudes qui ne portent pas remède à notre condition. Pour qu'un projet d'avenir s'établisse, rien ne vaut l'acceptation pacifiée d'une mort évidemment inéluctable et pourtant comprise comme le passage vers une vie invisible, discrète, aimante et bien présente. 

Une prospective qui négligerait d'aller aussi loin dans ses tenants et ses aboutissants risquerait fort de proposer un paradis au goût amer. L'histoire nous a montré combien la volonté farouche d'établir sur terre ce que seul le passage étroit par la mort nous révèle, combien cette volonté engendre d'atrocités.


L'exploration des potentialités en germe doit se garder d'un angélisme qui oublierait cette permanence de notre condition imparfaite et pécheresse : nous sommes tout bêtement incapables de vivre la fraternité dès lors que nous oublions la transcendance dont nous sommes issus. Quel que soit le visage que nous donnons à ce qui nous dépasse de toutes parts, le fait est là : nos propres forces ne suffisent pas à établir une paix durable, à garantir une vraie liberté. Chanter l'égalité des droits sonne tellement faux quand l'innocent est abattu au sein même du sanctuaire qui devrait le mettre à l'abri de toutes les attaques. L'un de nos hommes politiques rappelle que liberté, égalité et fraternité n'ont aucun sens quand elles sont séparées les unes des autres. Ajoutons que, même réunies, elles sont incomplètes. Ne nous étonnons pas que notre démocratie patine et que nos idéaux élevés soient encore si lointains. Ce n'est pas qu'une question d'organisation, de séparation des pouvoirs. Accéder à davantage de liberté, vivre plus fraternellement, respecter l'égale dignité de chacun ne relèvent pas seulement de la technique du droit constitutionnel, d'un équilibre parfait des pouvoirs, d'une bonne volonté des politiques. L'histoire nous apprend que subsiste un antagonisme de fond entre l'exercice du pouvoir et l'exercice de la charité et nous savons que cet antagonisme ne se résout qu'à partir du moment où le pouvoir renonce à toutes prétentions hégémoniques, où le pouvoir se conçoit et s'exerce comme service radical des personnes et des communautés de personnes. Allons plus loin : le pouvoir ne libère pleinement, le pouvoir ne construit la solidarité généreuse, le pouvoir n'instaure le respect que dans la mesure où il se situe en tant que modeste catalyseur d'un ordre qui le dépasse. Cela est vrai aussi bien pour un pouvoir politique que pour un pouvoir religieux. La séparation des pouvoirs, la laïcité à la française n'ont de sens et ne sont fécondes que si elles s'établissent sur cette conviction : tout pouvoir est un don, tout pouvoir est reçu, tout pouvoir doit se soumettre à la vérité. Non pas à l'opinion dominante ou la plus bruyante mais à la vérité.


Que serait une prospective qui s'établirait sur des fondements faux ? Une prospective qui tablerait par exemple sur un allongement soi-disant incessant de la durée de vie sur terre ? Une prospective qui se laisserait impressionner par la simple considération de la hausse de l'espérance de vie en France et qui en déduirait un peu vite que : "tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes" ? Un esprit lucide n'oubliera pas le record de consommation de tranquillisants pour constater que si la vieille dame tient encore debout, c'est qu'elle s'appuie sur une drôle de béquille. La fierté que nous portons à notre longévité n'est-elle pas l'indice que nous n'acceptons plus que notre existence terrestre ait un terme ?


"Au milieu de tant de choses qui changent, ce qui change le moins, c'est l'homme". Saurons-nous entendre ce rappel d'un homme politique et d'un philosophe parmi les plus clairvoyants ? Même un surcroît d'années en pleine santé ou dans les affres de la vieillesse ne modifient pas radicalement l'homme : son origine et sa fin demeurent. Réduire son origine à la rencontre fortuite de deux gamètes et sa fin à un petit tas de cendres, c'est bon pour les pirouettes d'humoriste mais cela manque singulièrement de souffle. Oubliez le vent et, à la première tempête, votre échafaudage le plus solide s'écroulera comme un château de cartes. Si nous désirons que nos constructions collectives résistent aux intempéries, nous devons étudier sans relâche l'un de ses maillons quasi immuables à l'échelle de nos prévisions : l'homme.


Premier pari : dans les cinquante années à venir, l'homme ne changera pas et la connaissance que nous en avons progressera sans pour autant que cette connaissance soit largement répandue. Tout homme restera encore ignorant de lui-même, non seulement dans ce qu'il a de commun avec ses semblables mais aussi dans ses particularités. Le seul exercice consistant à parfaire son savoir et son être, ses capacités et ses talents a de quoi l'occuper toute une vie et davantage. Affirmer cela n'a l'air de rien. S'en persuader apporte néanmoins une grande libération : chacun d'entre nous n'a pas d'abord à faire bien, à rechercher une perfection maladive. Chacun a la possibilité de faire du bien, quelle que soit sa condition, quel que soit l'état où il se trouve, quel que soit le chemin déjà parcouru. Faire du bien est le propre de tout être vivant, quelque chose que nous avons tous en commun. Malgré tout le bien déjà accompli, chacun reste hélas capable de fomenter le mal. Une telle présentation risque de donner l'illusion d'une symétrie entre bien et mal pourtant nous savons tous d'expérience que plusieurs différences majeures les séparent : le bien est discret tandis que le mal se vante ; le mal trouve la mort tandis que le bien cherche la vie ; le bien est en quête de vérité tandis que le mal s'appuie sur le mensonge. Poser la question : "Qu'est-ce que le bien, qu'est-ce que le mal ?!" pour tenter de s'affranchir d'un choix net ne tient pas la route longtemps.


Deuxième pari : notre condition ne changera pas. Sur terre, nous sommes du côté des noeuds, des défauts, des imperfections et ce qui ne va pas saute à nos yeux. Dans l'immensité de l'univers, chacun d'entre nous est si infime qu'il arrive aux plus sensibles d'en désespérer, de se croire complètement abandonnés. Celui qui se prend pour le plus grand d'entre nous ne peut guère s'enorgueillir : il participe comme tout un chacun au grand ouvrage, fruit de la main des vivants et l'éclat de son oeuvre se perd dans l'océan des réalisations humaines. La marée des hommes est affairée d'un côté de la toile et seul le passage par la mort donne accès à l'autre face du côté de l'invisible : là où sont effacées toute larme de tristesse mais pas celles du remord, là où disparaissent les ratés et les noeuds. Du côté de l'invisible apparaît l'ouvrage dans toute sa splendeur. Au regard des bienheureux est offert toute la beauté d'une réalisation encore inaccessible à ceux qui peinent. Même celui qui refuse d'être actif par lassitude, dépit ou colère ne peut qu'être témoin de l'avancement des travaux.


Troisième pari : certaines conditions extérieures ne vont cesser d'évoluer, à un rythme de plus en plus rapide. Qui aurait pu imaginer, il y a seulement vingt ans, toutes les facilités de conception, d'étude, de fabrication, de communication, de contrôle, d'analyse, ... dont nous disposons aujourd'hui ?


Quatrième pari : la rapidité des évolutions à venir ne nous empêche pas d'en percevoir les orientations majeures et d'anticiper leurs réalisations concrètes.


Première orientation majeure : l'impossibilité pour l'homme de se soustraire, tôt ou tard, à la vérité des faits. La multiplication des moyens d'enregistrement, la croissance exponentielle des capacités de stockage tendent vers l'accumulation des faits et gestes, des paroles et des actes. Quelques erreurs de lecture ou d'interprétation, relayées par des médias en quête de sensationnel, ne doivent pas nous abuser : monter en épingle les ratés du système ne l'empêcheront pas de se déployer et de gagner en efficacité. Nous connaissons la fin tragique de cet homme qui voulant s'en prendre aux radars automatiques n'a pas maîtrisé jusqu'au bout les armes de son ressentiment.


Seconde orientation majeure : l'accumulation de "preuves" devient insupportable dans un monde qui perd de vue l'axe principal du commandement de l'amour, le pardon. Sans le voile de la miséricorde, sans l'exercice patient et volontaire de la rémission des fautes, une société où l'accusation permanente et la dénonciation incessante tiennent le haut du pavé devient tout simplement invivable. Elle baigne dans une atmosphère irrespirable. Nos démocraties risquent moins de crever sous l'excès de prescriptions que sous l'avalanche des mises en accusation.


Si nous sommes rendus, à ce stade de l'analyse, assez loin des préoccupations habituelles d'un travail prospectif, nous avons évoqué le filet qui protège les acteurs, qu'ils soient de grands artistes ou non, d'une chute grave et même fatale. La montée des revendications en faveur d'une liberté individuelle de plus en plus affranchie de toutes contraintes sociales ou morales, le désir de plus en plus répandu de quitter les figures imposées pour laisser libre cours à la fantaisie de chacun, la recherche du sensationnel le plus vertigineux, ... toutes ces demandes ne se réalisent sans casse stupide et blessure irréversible que dans un cadre malgré tout sécurisé et prêt à parer à toute défaillance.


Il y a deux façons de percevoir le filet : le considérer comme un accessoire pour les faibles et les craintifs. C'est l'attitude de celui qui n'a jamais chuté gravement et s'estime à l'abri d'un accident. A l'inverse, il y a ceux qui ont expérimenté, réellement ou par une imagination vive, la valeur inestimable qu'il représente.


Dans notre monde de plus en plus complexe, le filet revêt des formes multiples : pouvoirs politique et administratif, lois,  décrets, magistrats, avocats, notaires, réglementations, assurances, banques, défenses militaires, systèmes de surveillance et de contrôle, police et gendarmerie, médecins, infirmiers, pompiers, secouristes, urgentistes, autorité parentale, familles, écoles, hôpitaux, dispensaires, maisons médicalisées, prisons, asiles, barrières de sécurité, entreprises publiques et privées, mutuelles, ... et encore, soutien psychologique, assistances sociales, SAMU, urgences en tous genres, bornes d'appel, conseils divers, ... et plus encore, le sacrement de la miséricorde et ses prêtres. Beaucoup de ces formes sont déjà très anciennes et les nouvelles sont venues compléter un dispositif au service d'une vie humaine qui se déploie en dépit de toutes les hostilités.


On peut rêver d'une société idéale, sans filet, où tout baigne. L'histoire ancienne ou récente nous montre que c'est une utopie : vouloir supprimer un maillon conduit tôt ou tard à en développer un autre à outrance, rompant l'équilibre et l'harmonie. Que le filet soit invisible ou pas ne change rien à l'affaire : nous avons tous besoin d'être défendus contre nous-même, contre un tiers menaçant, contre toute agression qui dépasse nos propres forces. C'est une condition de radicale faiblesse que l'on peut accepter, rejeter ou vomir. Mieux vaut pourtant l'accepter humblement et joyeusement. L'accepter est la condition d'une libération : la présence du filet n'est plus vécue comme une pesanteur mais comme une grâce. L'entretien du filet lui-même ne se vit plus comme une servitude ou comme un mal nécessaire mais comme un service indispensable de la vie de tous, qu'ils soient forts ou fragiles.


Un projet présidentiel et son accomplissement doivent cependant toujours veiller à la qualité de chaque maillon soit directement, soit indirectement en facilitant la mission des corps intermédiaires en charge de notre sécurité au sens large. Cette vigilance doit s'exercer aussi pour que nul ne soit tenté de tirer des avantages ou des bénéfices de sa position de force. Les menaces étant par essence mobiles et variables, aucun maillon ne détient le monopole de l'assurance tout risque.


La toile se tisse jour après jour grâce au filet qui la protège et cette toile, elle-même trouve sa place dans le filet de telle sorte que la volonté d'une seule personne parvient à contribuer au bonheur d'un grand nombre. A certains égards, nous vivons une époque qui dépasse l'entendement, une époque où se trouvent réunis tous les apports antérieurs. L'effet d'accumulation lui-même s'accroît de jour en jour. Celui qui aura la curiosité d'explorer ce qui lui est offert dépassera les rêves les plus fous des pionniers de la découverte de terres lointaines. Celui qui désespère de cette vie trouvera toujours une main ou une parole capable de le tirer du gouffre.

En relisant l'histoire de l'humanité, nous prenons conscience que les moyens pour l'homme de se protéger des conditions extérieures les plus rudes ne sont pas nombreux : soit il bâtit une forteresse solide et assez autonome soit il se déplace à la recherche de conditions meilleures. Quelques millénaires se sont écoulés sans que cette alternative ne s'enrichisse de nouvelles possibilités. Au contraire, la situation s'est même appauvrie : le rêve d'autonomie et de solidité à toutes épreuves vole en éclats chaque jour qui passe et se déplacer pour un ailleurs plus sûr est devenu de plus en plus difficile. Nous retrouvons ici, sous un autre angle, la condition fragile d'un être qui ne peut s'affranchir totalement de sa faiblesse. En tous lieux, l'homme qui ne compte que sur lui-même est en danger de mort, l'homme isolé est menacé de toutes parts.


Pourquoi affirmer que "la situation s'est appauvrie" ? Autrefois, la ville fortifiée était en mesure de soutenir un siège durant plusieurs mois. Quelle métropole aujourd'hui pourrait tenir ne serait-ce qu'une semaine sur ses propres réserves ? Autrefois, l'espace mondial était ouvert et l'on pouvait voyager avec une simple carte de visite. Qui peut franchir aujourd'hui les murs qui se sont dressés pour séparer le Mexique et les Etats Unis, Israël et la Palestine, ... qui peut se rendre aisément en Europe venant d'Afrique sans passer par un circuit compliqué, administratif voire mafieux ? La situation est même devenue explosive.


Accomplir un travail prospectif valable pour décider et agir consistera non seulement à identifier les menaces qui pèsent sur notre avenir mais aussi à saisir les peurs qui traversent notre société. Nous finirons par nous apercevoir qu'il nous arrive de négliger des menaces sérieuses et de prendre peur pour des riens. Que dire quand la peur elle-même devient une menace ?


C'est un fait : la peur menace l'homme dès sa conception. En France, la peur d'avoir à faire face seule ou dans des conditions de vie jugées inappropriées conduit à l'échafaud environ 250.000 enfants par an. Ces décès intégrés dans le calcul de l'espérance de vie la font chuter de plus de vingt ans. Ce n'est certes pas une peur complètement irraisonnée : élever un enfant a un coût, "Il faut tout un village pour élever un enfant" rappelle le titre d'un ouvrage d'Hillary Clinton. C'est donc la peur d'une femme qui se sent isolée, coupée du village et qui pense ne pas pouvoir faire face toute seule. Elle a raison mais tuer l'enfant c'est retourner des siècles en arrière lorsque l'humanité pensait que les dieux réclamaient des sacrifices humains pour daigner agir en sa faveur. Le diagnostic est juste, le moyen de résoudre le problème ne l'est pas. Agir ainsi s'apparente au suicide. A un double suicide nous prévenait Mère Teresa. Là encore, il existe des maillons de solidarité pour venir en aide aux détresses qui paraissent insurmontables : contact@sosbebe.org




L'enfant à naître est un souci. Il reste par-dessus toutes les angoisses et les inquiétudes légitimes, une chance, un bonheur, un don à nul autre pareil. Tant que nous n'aurons pas rétabli toute la considération et tout le respect qu'appelle ce don, nous nous agiterons en vain pour sortir du gouffre où nous sommes : dette publique abyssale, retraites bientôt insolvables, chômage officiel et caché d'une ampleur jamais atteinte ... autant de poids qui n'auraient jamais pesé avec tant de lourdeur si nous avions eu le courage de laisser vivre dix millions d'enfants qui, depuis 1975, ne demandaient qu'à voir le jour. Pourtant ce ne sont pas des considérations d'ordre économique qui ont à changer notre regard et notre attitude : il s'agit d'un choix de vie ou de mort. Ou bien nous acceptons la vie et les risques qu'elle comporte, ou bien nous préférons la mort et son calme plat. Si nous acceptons la vie pour nous, nous n'avons pas le droit de la refuser à d'autres. "Aimez-le et prenez soin de lui" écrivait déjà la jeune femme abandonnant son fils dans le Kid de Charlie Chaplin. En 2015, nous pouvons faciliter l'abandon dans les cas extrêmes, nous sommes surtout en mesure d'aider à garder son enfant toute femme qui en ferait la demande.


Faut-il d'ailleurs qu'une demande soit formulée ? Ne conviendrait-il pas d'assurer d'emblée à toute femme enceinte et à toute femme en charge d'un tout petit des conditions aussi heureuses que possible ? Alors que nous sommes parfois si fiers de nos dispositifs d'aide, d'autres pays comme l'Angleterre nous montrent la voie : quand la maman est mineure et seule, elle peut poursuivre ses études en bénéficiant d'un accueil adapté, pour elle et pour son enfant.

Pour aller plus loin : 

Abolition de la peine de mort pour les tout petits en gestation ;

Création d'une monnaie de service et d'abondance.
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mercredi 25 mars 2015

L'Islam en France et ailleurs



« Le reflux du christianisme a laissé l'islam 
face à une société laïque de plus en plus libertine, 
impudente et impudique, 
qui est vécue désormais non pas comme différente 
et compatible au moins sur l'essentiel 
mais comme radicalement "contradictoire" 
avec les valeurs de l'islam. »

Marion Duvauchel 









La tribune "Le Pape et le Président" nous invitait à plonger au coeur de multiples questions religieuses, sans crainte et avec lucidité. Mal comprises par une élite politique française souvent mal instruite des problèmes religieux de fond, les questions religieuses et de foi méritent une attention soutenue. Les élèves de nos collèges en France, grâce à un renouvellement judicieux des programmes d'histoire, en sauront bientôt plus que les politiciens qui se contentent d'une approche superficielle, sociologique et économique, des problèmes nouveaux posés par la présence de communautés musulmanes actives sur le sol français, en Europe et dans tous les pays de longue comme de récente tradition chrétienne.

Ajout en mai 2018 : L'ignorance crasse peut aller jusqu'à la sortie de ce député LREM qui opère un amalgame douteux entre prêche en arabe dans une mosquée et messe en latin ! L'imprudent et l'impertinent ne sait pas que le latin n'est pas en usage comme langue de prédication ... (ici)


La lucidité commande d'éviter l'angélisme. Les traditions islamiques, même si elles s'affrontent, puisent à une source commune : l'arianisme. Méconnaître cette origine expose à ne rien comprendre des mouvements religieux en cours et des combats acharnés que livrent des fanatiques. 

L'islam court en permanence le risque de s'opposer au coeur de la foi chrétienne : divinité de Jésus et mystère de la Trinité, mort et résurrection de Jésus-Christ car le Coran manque de clarté à propos de la crucifixion de Jésus si bien que les exégètes n'arrivent pas à s'entendre quand il s'agit d'interpréter les versets qui en parlent plus ou moins explicitement (cf. le site Jésus-Islam). 

Le savoir et en tenir compte évitent de confondre deux plans : le plan des affirmations monothéistes et celui des affirmations christologiques. 

Nous verrons que l'un des plus grands malheurs de l'islam est d'avoir pensé l'histoire religieuse antérieure au VIIème siècle après Jésus-Christ en termes d'usurpation et d'imposture. Ce biais a conduit ses partisans sur une voie semée d'embûches dont la principale est l'orgueil qui s'exprime en prétendant rectifier les erreurs, dénoncer les mensonges, redresser les torts du passé. Cette posture d'orgueil n'engendre qu'aveuglements, violences, exactions et crimes. 

Jésus-Christ lui même n'a jamais eu la prétention de tout réécrire de l'histoire religieuse des hommes. Jésus n'a jamais prétendu que la révélation progressive de Dieu aux hommes avait été falsifiée par ses prédécesseurs. Il parle d'accomplissement et s'il lui arrive de rectifier certaines affirmations, il prend bien soin de s'appuyer sur ce qui a déjà été écrit pour révéler une interprétation authentique et conforme à la Volonté de Dieu.

L'islam, comme toute religion, propose des trésors de sagesse divine et humaine mais comme opposant plus ou moins déclaré à la foi chrétienne, l'Islam obscurcit les vérités essentielles dont l'Evangile et l'Eglise sont dépositaires sur la personne de Jésus. Tout musulman qui s'approche de ces vérités christologiques par des rencontres, par des lectures, par la réflexion, par des songes, par illumination divine et par la prière, encourt le risque d'être rejeté ou mis à mort par des musulmans fanatiques qui ne supportent aucune contradiction fût-elle non violente.


La violence de certains groupes islamiques inquiète. Savoir qu'elle ne résulte pas seulement des circonstances (pauvretés, défaites, humiliations, conflits géopolitiques, scissions de l'islam en divers courants, volonté hégémonique, ...) puisqu'elle est intrinsèque à l'islam sur le plan christologique, nous conduit à adopter une attitude plus sereine. 

Bâties sur des fondements fragiles et faux  ou inexacts (évangiles apocryphes) quant à la personne de Jésus-Christ, les traditions islamiques vont devoir affronter la remise en cause grandissante de leurs affirmations christologiques. Le Coran, lui-même, ne résiste plus à la puissance de la critique textuelle et historique aussi virulents que soient ses détracteurs : les progrès théoriques et techniques de nombreux domaines scientifiques permettent désormais de passer tout document écrit au crible d'une analyse très fine qui fournit des informations aussi déterminantes que la date la plus probable de composition d'un texte, la diversité des scripteurs, la multitude des sources, les retouches apportées à un texte antérieur ... 

Passé à ce crible, le Coran en ressort dépouillé d'attributs pourtant revendiqués avec beaucoup d'imprudence : aurait-il été écrit par un seul homme ? Non, il est le fruit d'au moins une trentaine d'auteurs différents. Aurait-il été écrit sur une brève période ? Non, sa composition s'étend sur deux siècles. Bâti ex nihilo ? Non, bien au contraire, son contenu puise dans de nombreux textes anciens. 

L'imprudence, ici, est majeure car jamais dans l'histoire des hommes, une tradition religieuse n'avait prétendu provenir en quelques années d'un seul homme directement inspiré par Dieu et sans médiation humaine. Que le Coran soit une merveille linguistique, un tour de force artistique, un miracle si l'on veut, n'autorise pas la perpétuation d'un déni de réalité : comme pour toute construction humaine d'envergure, l'observation attentive de plus en plus secondée par des instruments de mesure, de calcul et de déduction affûtés permet de déceler des strates, des styles, des ajouts, des modifications, des emprunts, des incohérences, des lacunes ...


Autre motif de sérénité : les musulmans qui découvrent qu'ils ont été trompés au sujet de la personne du Christ et du Coran ne s'effondrent pas, bien contraire. Ils comprennent mieux la valeur et les limites de l'islam : en poussant jusqu'au bout les conséquences d'une hérésie chrétienne, l'islam s'est coupé d'une tradition vivante de liberté et a fini par proposer un extrait sec de l'Ancien Testament et de rares extraits de l'Evangile qui diffèrent des originaux canoniques (voir par exemple les deux récits modifiés de l'Annonciation dans les sourates 3 et 19). 




Affirmer cela avec force et sans redouter ceux qui s'autorisent à tuer des innocents ou à combattre le christianisme par les armes, à le vilipender ou à le brider en paroles et en actes sans accepter la répartie même non violente, ne doit pas conduire à mépriser les croyants d'une religion, aussi erronée soit-elle sur certains points précis. Celui qui a été trompé au sujet de la personne de Jésus-Christ peut néanmoins penser et agir comme un véritable disciple de Jésus qui a prouvé et commandé l'amour indissociable de Dieu et du prochain.


Le projet France2022 prône une attitude de fermeté et d'écoute à l'égard de l'islam et de ses différents courants : 

*  Oui à la liberté d'une pratique religieuse tolérante et respectueuse des croyants comme des non croyants ; 

* Non à une volonté hégémonique d'instaurer par la force le contraire d'une vérité christologique pourtant solidement attestée par l'émergence et le développement d'une Eglise, de plus en plus pacifique, internationale et cosmopolite, au milieu de toutes les contradictions et persécutions endurées depuis deux mille ans d'histoire ;

* Non aux prétentions de réécrire l'histoire au seul avantage de l'islam en gommant tout ce qui pourrait contredire son discours unilatéral quand il est faux ou inexact, notamment à propos de l'origine du Coran et au sujet de Jésus-Christ.

Ce dernier point serait à développer longuement car la question des sources, des traces archéologiques et de tout vestige historique ouvre un champ de contestation immense qui n'en finira pas de bousculer les affirmations christologiques ne concordant pas avec les observations et les conclusions scientifiques qu'une multitude de progrès techniques rendent désormais possibles. 

Sur le fond théologique s'opposent deux conceptions difficilement conciliables : l'une place Dieu à très grande distance de l'humanité en dehors de manifestations exceptionnelles, l'autre va jusqu'à croire en l'impensable, l'entrée de plus en plus manifeste de Dieu dans l'histoire ordinaire des hommes, jusqu'au sommet de l'Incarnation et de la Résurrection et même de l'Ascension où Jésus disparaissant aux yeux des témoins présents à ce moment-là affirme : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps. » (Matthieu 28, 20).

Croire que Dieu rejoint l'humanité à ce point conduit à accorder une très grande importance à l'étude historique des manifestations de sa présence et à une critique toujours plus fine des récits qui essaient d'en rendre compte. Au fil du temps, le Coran se trouve ainsi disséqué - comme n'importe quel autre document - et quelques affirmations tenues jusqu'ici pour intangibles courent le risque d'être infirmées par l'analyse détaillée des textes : l'unicité de l'auteur du Coran, son écriture sous la dictée de Dieu et la brièveté de son temps de rédaction. 

Tout politique responsable devrait se garder de négliger les questions religieuses et de foi (v
oir à ce propos la tribune : Politiques et religionsau motif qu'elles relèveraient de la sphère privée. Ce serait faire fi d'une donnée pourtant attestée depuis la nuit des temps : le religieux est d'abord affaire de groupe, de communauté puisqu'un seul croyant isolé est bien incapable d'élaborer la moindre théologie cohérente comme tout scientifique seul dans son coin, coupé de ses pairs, est dans l'incapacité radicale de bâtir une théorie rendant compte de tous les phénomènes physiques, historiques, sociaux, moraux, économiques, ... même dans un champ limité. 

Une laïcité réductrice s'est si bien répandue en France que beaucoup finissent par confondre respect des croyances religieuses et bannissement de leur expression dans la sphère publique. Cette attitude hostile ou frileuse finit par provoquer le contraire de ce qui est souhaitable : au lieu d'apaiser le climat social, elle engendre débordements et autres phénomènes impossibles à canaliser ou à endiguer.

Beaucoup d'esprits de l'époque contemporaine sont abusés par les progrès des sciences : ils s'imaginent que le monde avance inexorablement vers un recul du champ des croyances au profit d'un corpus de certitudes de plus en plus affirmées or ce qui est peut-être vrai (mais ne l'est pas dans tous les domaines) pour l'humanité dans son ensemble demeure faux pour chaque personne. Nous pourrions même affirmer, sans forcer le trait et sans chercher le paradoxe à tout prix, que plus la science progresse plus s'étend le champ potentiel de croyances pour chacun d'entre nous : limités par le temps, par nos moyens d'analyse, de vérification, ... nous ne sommes pas en mesure de contrôler la validité du flot d'informations qui nous abreuve en permanence et nous n'avons pas d'autres choix que de "croire" : non pas recevoir avec crédulité n'importe quelle affirmation mais faire confiance (ou ne pas faire confiance) à tel locuteur, telle institution, tel émetteur ... Au fond, tandis que l'incertitude paraît reculer pour l'humanité, elle ne fait que s'accroître pour chacun d'entre nous.


Inutile, dans ces conditions, de s'indigner de voir que certains préfèrent s'accrocher à quelques "certitudes" fondamentales fussent-elles erronées : leur réflexe de survie ressemble à celui d'un naufragé qui s'accrocherait à n'importe quel rocher pour éviter d'être emporté par une crue. Leur tort est cependant de s'arrimer mordicus à quelques croyances anciennes sous prétexte qu'elles les préserveraient d'une décadence inéluctable de l'humanité. Non seulement certaines de ces croyances sont fausses mais s'arc-bouter sur un noyau de croyances en excluant toute ouverture vers d'autres croyances qui peuvent être plus solidement fondées fait courir le risque majeur de se maintenir dans une illusion mortifère et même meurtrière pour les personnes les plus fragiles ou les plus féroces. 


C'est mal comprendre le religieux que de cantonner son rôle à l'exploration de ce qui ne relève pas des sciences expérimentales ou exactes comme s'il y avait d'un côté ce qui est le produit des savoirs indubitables (les sciences) et de l'autre des connaissances sujettes à caution (les religions) car en réalité sciences et religions produisent toujours des théories c'est-à-dire des systèmes de connaissances déduites d'un socle de suppositions.

Que le mode d'obtention des suppositions soit différent pour les sciences et pour les religions, que les modes de raisonnement et d'élaboration des "preuves" ne soient pas identiques, tout cela ne rend pas les théories des unes plus valides que celles des autres puisque la solidité et donc la vérité de ces théories sont toujours contrôlées par des hommes faillibles : ceux-ci ont beau s'organiser intelligemment en groupe d'experts (comités scientifiques ou théologiques), ils laissent subsister des erreurs ou des approximations que leurs successeurs finissent par découvrir en vue de parvenir à une connaissance plus parfaite de la marche du cosmos, de l'humanité et de tout ce qui vit ou réside dans l'univers observable.

La question de l'islam en France est donc à examiner avec beaucoup de sang-froid et de recul mais aussi d'intelligence des véritables enjeux pour bien prendre conscience de ceci : plus nous tenterons de repousser voire d'amenuiser le champ d'expression du religieux plus nous le verrons renaître avec force. Si les religions ont pu s'exprimer maladroitement sur certains sujets et subir le juste retour d'une correction scientifique, elles auront toujours un rôle éminent à jouer pour rappeler à chaque homme qu'il demeurera jusqu'à la fin des temps dans un état de grande incertitude l'obligeant le plus souvent et même de plus en plus, à faire confiance (ou à ne pas faire confiance) aux autres dans tous les domaines : des plus terre à terre aux plus spirituels.


Plus nous apprendrons aux générations montantes et plus nous redirons à celles qui ont déjà des responsabilités qu'il appartient à chacun de muscler ses capacités de croire pour être capable de s'orienter dans l'univers des croyances et de se nourrir de celles qui produisent des fruits de paix et de joie, plus nous pourrons répondre sereinement aux défis que nous lance un islam conquérant et trop sûr de lui (en apparence) alors qu'il aura de plus en plus de mal à gérer les contradictions d'un système religieux bâti, en grande partie mais pas seulement, sur une contestation malheureuse du judaïsme et du christianisme. 


Ayant cherché à lutter dès leur origine contre le culte des idoles, des courants parmi toutes les branches de l'islam :




vont encore aujourd'hui jusqu'à prendre les armes pour défendre bec et ongles l'unicité de Dieu et de ses prérogatives. Ils le font d'une façon excessive voire radicalement opposée au principe d'une adhésion de foi librement consentie alors que tout être humain doit demeurer libre de croire (d'accorder ou non sa confiance) et de prier. Le Coran le rappelle dans le verset : "Point de contrainte en religion".

L'invisibilité de Dieu est l'une des conditions fondamentales de cette liberté : revient à tout homme libre le choix d'accorder ou non à Dieu d'exister dans sa propre vie, de reconnaître son état de dépendance vis-à-vis de plus grand et de beaucoup plus humble que soi. L'affirmation : "Dieu n'existe pas" revient en effet à un : "Dieu n'existe pas pour moi" soit en définitive : "Je n'accorde pas à Dieu le droit d'exister dans ma vie". Il est de ma responsabilité d'accepter ou non de reconnaître la présence de Dieu à mes côtés. Nul n'est en droit de me l'imposer ou de me l'ôter. Me l'imposer revient à faire de Dieu un gendarme odieux. Tenter de me l'ôter est perdu d'avance puisque l'acte librement accompli ne se laisse arrêter par aucun obstacle. 

Liberté stupéfiante puisque certaines personnes vont jusqu'au refus intégral de Celui qui est par excellence. Refus qui peut avoir pour conséquence inéluctable de ne plus voir ce qui est visible jusqu'à en crever les yeux : cet homme agonisant au bord de la route dont je me détourne pour des motifs sans consistance. Refus qui peut même conduire à l'absurdité d'une élimination sanglante de celui qui ne pense pas comme moi, de celui qui me dérange ou risque de m'astreindre, de me contraindre à l'avenir, de celui ou de celle que je ne peux plus voir en peinture, de ceux qui me rappellent à bon droit que je ne suis plus dans la vérité voire que je me complais dans l'erreur, le mensonge ou l'ignorance.

La peur de reconnaître ma condition de croyant est mauvaise conseillère car une telle condition est une conséquence de mes limites ici et maintenant, limites communes à tout le genre humain : défauts d'entendement ou d'analyse, erreurs de jugement, expériences très partielles et minuscules de la réalité passée, présente et à venir, incapacités à comprendre des phénomènes complexes en dehors de mes domaines de compétence ... 

La peur d'être catalogué comme croyant risque de m'entraîner à refuser de croire une affirmation, qui revient pourtant à croire la négation de cette affirmation. Ainsi vais-je dire : "je ne crois pas en l'existence de Dieu et à sa présence active dans le monde" en sous-entendant de manière plus ou moins consciente : "je ne suis pas assez sot pour croire à de telles balivernes" alors que j'affirme seulement : "je crois à la non existence de Dieu et à son absence dans notre monde". En pensant échapper à l'état prétendument médiocre ou archaïque d'un être humain croyant à des sottises d'un autre âge, j'y replonge illico sans toujours m'en rendre compte. 

Certes, je peux encore prétendre que j'échappe à la condition de croyant en décidant de ne pas me prononcer mais lorsque je dis que telle proposition, par exemple : "Dieu existe", ne peut être infirmée ou confirmée, je choisis finalement de croire que je ne suis pas en mesure de trancher. Ce peut-être la preuve d'une grande humilité mais aussi d'une difficulté à franchir le pas d'un questionnement qui finirait par balayer bon nombre de mes croyances des plus farfelues. 

Pour moi comme pour tout mortel, la condition incontournable de croyant est assortie d'une caractéristique fondamentale : mes croyances innombrables forment un tissu à mailles serrées de sorte que tirer sur un fil entraîne tout ou partie de l'ensemble. Remettre en cause l'une de mes croyances peut bouleverser des pans entiers de mes certitudes et de mes doutes, de mes pensées, de mes plans, de mes comportements et le reste de ma vie. 

En bref, qualifier tel ou tel d'incroyant et lui faire la guerre pour qu'il se soumette en se déclarant croyant est d'une sottise monumentale quand ce n'est pas criminel et même meurtrier : nous sommes tous, sans aucune exception, des croyants en chemin et bien malin qui pourrait dire lequel d'entre nous est un bon croyant ou un mauvais croyant. Etre totalement incroyant est rigoureusement impossible pour tout être humain, pour toute créature qui ne peut que s'en remettre à autrui pour une multitude de connaissances. Quand je m'enferme dans une méfiance extrême de tous les instants, je m'isole tellement que je finis par glisser et verser dans la folie ou dans toutes sortes de croyances déraisonnables.

Dans l'acte de croire (faire confiance), qu'il soit volontaire ou involontaire, se manifeste la petitesse d'un être que l'immensité de l'univers et des informations qui le concernent dépasse de toutes parts. Le refus de croire l'affirmé pour croire sa négation, de manière plus ou moins consciente, n'est qu'une tentative désespérée pour essayer de sortir d'une contrainte qui m'est imposée par ma condition de créature inachevée et imparfaite. Dès que je m'aperçois que le fait de croire (faire confiance) n'est pas la conséquence d'une attitude infantile mais une nécessité vitale, je me libère d'un boulet qui entravait la marche de mon esprit et la dilatation de mon coeur, qui m'empêchait d'élargir l'espace de ma tente.  

Tenus de croire pour avancer, nous partageons une condition commune : celle de croire des propositions fausses d'une part et des propositions vraies d'autre part ; celle de faire confiance à des personnes qui sont crédibles ou ne le sont pas. Faire le tri est un travail de longue haleine, le labeur patient de toute une vie, que l'on se croit génial ou pas puisque l'esprit humain, dans l'obligation de naviguer en terre incertaine, trouve avec peine des appuis solides : ce qu'il tenait pour indubitable la veille lui semble soudain fragile, facilement réfutable et bientôt inutile. 

Une fois que j'ai compris qu'il est vain d'essayer de m'affranchir de la condition de croyant et de tenter seul de bâtir ex nihilo un système cohérent de croyances, je vais pouvoir consacrer mes forces à ce qui vaut la peine d'être tenté : recevoir en héritage un système de croyances, une théorie théologique ou une théorie profane, pour l'examiner, en tirer des enseignements utiles et même la développer si mes capacités sont à la hauteur d'un tel travail.

A force de nous perdre en oppositions stériles : théorie / pratique ; quantitatif / qualitatif ; ... nous négligeons de nous pencher sur le réel intérêt de chaque notion. Ainsi en est-il souvent de la notion de théorie. Beaucoup d'adultes blessés par leur parcours scolaire ou trop préoccupés de résultats visibles, finissent par avoir une piètre considération pour toute théorie sous prétexte que "rien ne vaut la pratique" or une autre caractéristique de la condition humaine est de ne pouvoir échapper au principe axiomatique bien connu en mathématiques : toute théorie est fondée sur des propositions admises (les axiomes) et se déploie par exploration de son champ d'application, d'une part, et d'autre part, grâce aux ressources de la logique.

Au bout d'un compte à jamais inachevé, toute théorie consiste en un empilement (ou un arbre si l'on préfère) de propositions fondées sur des évidences logiques et sur des affirmations premières qui n'ont pas été démontrées mais qui ont été choisies comme base de départ afin de pouvoir avancer. Par exemple en physique, toute théorie repose sur la conviction (non prouvée) que l'esprit humain est capable d'explorer, de percevoir, de saisir et de comprendre un champ du réel observable pour formuler des lois générales qui dépassent les faits particuliers ou singuliers observés. Cette conviction non prouvée n'a évidemment rien d'absurde puisque de multiples expériences du passé ont renforcé cette conviction primordiale des experts de l'humanité dans les sciences expérimentales dont les sciences religieuses !

Toute théologie - discours sur Dieu et par suite sur tout ce qui en dépend - comme toute science fonctionne en régime axiomatique : elle est construite sur des propositions admises sans preuves indubitables et se développe au cours des âges par les apports successifs de générations d'hommes qui l'enrichissent, la complètent, la dépoussièrent, la consolident, l'embellissent ... Ces travaux portent sur des faits anciens ou nouveaux, sur des lois, des méthodes, des preuves, ... et sur toute conséquence d'affirmations antérieures ... Il arrive qu'ils s'intéressent aussi aux fondations et découvrent une pierre manquante ou mal taillée comme le fit au 19ème le mathématicien allemand David Hilbert à propos de la géométrie euclidienne (décrite dans les fameux Eléments d'Euclide, ouvrage le plus édité après la Bible) pourtant explorée en long et en large par de multiples génies pendant plus de deux millénaires. 

Toute théorie s'appuie sur des fondements qui peuvent être remis en cause à tout moment. Ainsi est-il vain d'établir une hiérarchie entre les diverses sciences, qu'elles soient profanes ou religieuses : toutes sont susceptibles de produire du vrai et du faux, tout dépend de la solidité des fondations et de la manière d'en tirer des conséquences. Même les théories les plus abouties, comme les théories mathématiques, sont encore fragilisées par l'incomplétude et l'indécidabilité, deux notions mises à jour par le logicien Kurt Gödel. Encore faut-il ne pas les invoquer pour s'abstenir de faire un choix profane ou religieux.

Dès que j'ose me mettre en route, que j'accepte de ne pas camper sur des positions figées, que je prends le risque d'examiner ce que je sais, ce que je crois savoir, ce que je crois, je prends conscience du travail colossal qui m'attend. Tâche immense qui demande une très grande ouverture d'esprit et de coeur pour espérer progresser et ne pas sombrer dans la désespérance tant il est vrai qu'elle dépasse les capacités d'un homme seul, fût-il le plus grand génie de tous les temps.

L'islam en France et ailleurs sera soumis à très rude épreuve dans les années à venir : ses affirmations christologiques seront peu à peu démontées et invalidées au point de faire douter de l'ensemble du Coran, au point de placer une multitude de croyants en situation de grande vulnérabilité. Le sentiment d'avoir été trahis et trompés dominera chez ceux qui avaient mis leur foi dans ce monument et dans toutes les pratiques ou prescriptions qui en découlent. Certains seront tentés par les mirages d'un athéisme grossier tandis que la plupart comprendront qu'il n'y eut pas d'abord tromperie mais erreur de jugement et d'interprétation, qu'il y eut surtout une difficulté pour beaucoup d'anciens à croire l'inimaginable : l'entrée phénoménale du Miséricordieux dans l'histoire des hommes, au-delà même des plus folles espérances d'une humanité en proie à ses démons.

Immense défi pour le travail de nouvelle évangélisation : montrer à des frères orphelins de leur religion mère que tout n'est pas perdu dès lors que subsiste l'esprit de gratitude et de foi. Les erreurs et les égarements du passé ne sauraient nous anéantir car l'avenir montrera que les limites de l'Eglise ne sont pas celles auxquelles nous pensons d'ordinaire. Les musulmans de France et d'ailleurs sont aux portes du sanctuaire et se presseront bientôt par milliers dans le narthex : ils voudront connaître ce qui leur fut caché depuis trop longtemps. Ils désireront ardemment comprendre l'impensable.

Aucun "travail" de sape, de la déconstruction systématique des repères traditionnels aux affirmations marginales de ceux qui prétendent que le Christ n'a pas existé (ou n'est pas ressuscité), ne parviendra à endiguer le mouvement extraordinaire qui se prépare, et tout particulièrement en France. Bien loin des clichés d'une France transformée en terre d'islam, nous serons témoins d'une renaissance à peine croyable d'un christianisme capable d'embrasser d'un seul regard une multitude d'hommes et de femmes venus d'horizons divers mais unis par une même passion, celle du service désintéressé de toute personne considérée non plus comme rivale mais comme membre d'une même famille. La tradition d'hospitalité et le sens de la prière chez les musulmans feront merveille dans la nouvelle configuration qui se profile à l'horizon.

Dans les bouleversements à venir, le monachisme européen, l'orthodoxie russe et les sanctuaires mariaux auront un rôle à jouer. Voir à ce propos : le moine et le politique. 

Mots-clefs : islam - musulman - prière - religion - monothéisme - christologie - théorie - axiomatique - monachisme - orthodoxie - croire - confiance - évangélisation - Coran - Marie - sanctuaire




Municipalités, foyers de connaissance


Aucune politique juste, soucieuse des contraintes de terrain et respectueuse des personnes ne peut être élaborée, mise en oeuvre, ajustée, ... sans une connaissance sérieuse et approfondie de ses champs d'application. En prévoyant de former des municipalités semblables en volume - taille du territoire et nombre d'habitants -, des municipalités beaucoup moins nombreuses et vraiment gouvernées, le projet se fonde sur une préoccupation de plus en plus déterminante : penser et agir sur la base d'informations de bonne qualité, que ce soit en terme de fraîcheur, de pertinence, de couverture, ... Seule une municipalité organisée et outillée pour cela est en mesure de gouverner sans commettre d'erreur grossière et pour le bien véritable des habitants qui la peuplent ou la fréquentent.

Il convient d'insister sur la nécessité pour toute municipalité de disposer d'un système d'informations performant. Il est clair qu'un modèle commun à toutes les municipalités françaises, bien pensé, bien construit et souple, permettra à l'ensemble des gouvernements territoriaux d'agir en synergie fonctionnelle si ce n'est pas toujours en parfaite harmonie idéologique. Il est capital que les informations enregistrées au niveau de chaque municipalité puissent être rapidement agrégées à l'échelon départemental (contrôle de l'Etat) et encore aux niveaux provincial, national voire européen.

L'obligation précitée pour tout citoyen municipal de respecter scrupuleusement ses devoirs de déclarations trouve ici sa justification principale : le travail lourd de collecte des informations de terrain demande en effet une coopération sans faille de tous les citoyens. C'est aussi une question de justice. 

Notons au passage qu'il n'est pas question dans le projet France2022 de multiplier les enregistrements automatiques de données : certains sont utiles, d'autres risquent de transformer le territoire en lieu de surveillance totalitaire. En laissant à chacun la part de responsabilité qui reconnaît sa dignité et sa liberté, on introduit des possibilités d'erreur et de manque dont il vaut mieux se satisfaire plutôt que de vouloir à tout prix une perfection finalement liberticide, mortifère et stérilisante.

L'idéal de municipalités semblables ne doit pas faire oublier ce qui résulte du passé (*) : l'histoire a produit une grande variété de communes et des municipalités qui, pour certaines, dépassent aujourd'hui la moyenne (d'habitants par exemple) que l'on obtiendra en divisant par 36 le nombre de municipalités recensées en 2010. Il est d'ailleurs préférable que subsiste une diversité qui permettra, entre autres, à des municipalités en forte croissance d'anticiper leur développement ne serait-ce que par l'observation de municipalités plus importantes.

(*) L'admiration des anciens et la gratitude que nous leur devons finalement pour ce qu'ils nous ont légué n'excluent pas la possibilité de critiquer cet héritage. Le projet France2022 se fonde, pourtant et avant tout, sur l'esprit de reconnaissance à ne pas confondre avec une révérence inconditionnelle pour tout ce qui vient du passé. Cette attitude fondamentale de respect pour les trésors issus de la tradition et pour nos prédécesseurs nous paraît essentiel si l'on veut susciter une renaissance du politique au sens le plus noble. Cette attitude est aussi une contestation vigoureuse d'un grave défaut du "Discours de la méthode", ouvrage dans lequel René Descartes, oubliant les contraintes historiques, reproche aux urbanistes d'autrefois d'avoir mal établi les voies de circulation. 

Chaque fois que nous analysons le passé à la lumière des connaissances actuelles, nous ne devons pas verser dans l'anachronisme : ce qui nous paraît possible a posteriori ne l'était pas nécessairement dans une période antérieure. 

Pour relever les défis du monde actuel et à venir, nous aurons à tenir ensemble deux pôles en tension : d'une part, la ferme conviction que l'humanité progresse et qu'elle est encore capable de progrès inouïs ; d'autre part, le souci constant d'aller puiser aux sources, même les plus anciennes, pour rafraîchir notre mémoire et vivifier notre esprit.

Nous ne détaillons pas ici la tâche colossale qui concerne le système d'informations modèle pour toute municipalité : en avançant dans la description des grandes orientations du projet, nous aurons l'occasion de fournir des précisions utiles à propos de ce modèle.

mardi 24 mars 2015

Le moine et le politique

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"Le vrai moine a fait face à sa propre solitude et, grâce à cela, il peut rencontrer les autres dans leur solitude cachée c'est-à-dire en un lieu de souffrance enfouie où eux-mêmes n'osent guère aller".





Le moine et le politique (plutôt que le "politicien" qui a une connotation péjorative) est une tribune dont le but n'est pas de traiter des questions de laïcité. Elle a pour objectif de rendre compte d'un exercice de comparaison au sens plénier de ce terme : recherche simultanée des ressemblances et des différences entre deux termes (ou deux objets, deux notions, deux situations, ...). 

L'exposé aurait gagné en rigueur si nous en avions ordonné le contenu. S'agissant d'un simple exercice, il n'en sera pas ainsi pour laisser au lecteur la joie d'être surpris et stimulé dans sa propre réflexion, l'inviter au fond à prolonger lui-même ce travail instructif voire à l'améliorer nettement, à le mettre en bon ordre et, pourquoi pas, à le transposer à d'autres comparaisons. Pour les passionnés de perfections intellectuelle, logique, stylistique, esthétique, ... voici au moins deux pistes d'amélioration possibles : 

1. préciser davantage les objets de l'exercice de comparaison : le politique, la vie politique ou le pouvoir politique, leur conception ou leur exercice, ... en France ou ailleurs par exemple. De même : le moine, le monastère, la vie monacale, le service ou le pouvoir monacal, leur conception ou leur exercice, ... , en France ou ailleurs.  

2. Ordonner la comparaison : ressemblances d'une part, différences d'autre part ; les classer par catégorie : habitat, activités, rôles, fonctions, ... ; les interpréter ; les commenter ; en tirer des enseignements ; ...

Dans cette tribune, nous avons joyeusement mêlé tous ces plans, au risque d'en être vivement critiqués ! Qu'importe : nous considérons toute critique comme un stimulant.

Comparer est une activité intellectuelle d'une grande richesse à laquelle je risque de renoncer par crainte d'établir un ordre erroné ou sans intérêt. Je risque alors de me priver d'une source féconde d'idées nouvelles et de sentiments plus profonds. Je risque aussi de me priver d'une activité qui n'a pas pour raison d'être d'ordonner mais de classifier, de classer et finalement de clarifier.

S'agissant du moine et du politique, une première différence qui les distingue a trait aux lieux où ils se tiennent : le premier vit en altitude et le second dans la plaine. Le moine a pour vocation d'être élevé par abaissement volontaire, telle une montagne en cours de formation, pour devenir un sommet où s'accumule la neige des rigueurs de l'hiver. Il devient alors ce réservoir d'eau capable d'irriguer le monde au fur et à mesure de ses besoins. Pour accroître sa capacité, il ne s'élève pas de lui-même comme un orgueilleux. Il vit au contraire dans la plus grande humilité. Il creuse ainsi en son coeur et dans tout son être un large canal permettant aux eaux vives de la grâce de descendre en abondance vers tous ceux qui ont soif.







Le politique est à l'oeuvre dans la plaine. D'abord en charge d'un champ restreint, il tend naturellement à régner sur un territoire plus vaste. Au contact du terrain, il découvre des lois générales de gouvernement tout en mesurant leurs limites : les réalités humaines sont complexes ; l'application de règles communes dépend du bon vouloir et de l'intelligence de ceux qui en sont les promoteurs et les destinataires. Au fur et à mesure qu'il avance, ou bien il se durcit en mettant toute sa foi dans un système étriqué, ou bien il prend conscience de la pauvreté de ses moyens. En admettant qu'il se bonifie avec le temps, qu'il gagne en humanité voire en sainteté, il en viendra à se demander comment nourrir et comment abreuver ces foules toujours plus nombreuses en donnant à chacun ce qui lui revient sans tomber dans le travers des dictateurs et/ou des corrompus. 

Fournir "du pain et des jeux" ne sera pas du tout sa tasse de thé. Le politique responsable aura à coeur d'offrir à tous ceux qui les cherchent des occasions d'accroître leur liberté dans le respect des autres. Il aura donc le souci d'agir pour que tous les corps intermédiaires de la nation soient fidèles à leur vocation essentielle afin que chaque citoyen, au travers de ses multiples appartenances à différents corps, déploie vaillamment la plénitude de ses talents au service de tous en considérant chaque être humain non comme un rival mais comme un frère d'arme. Il veillera à ce que chaque corps intermédiaire se développe sainement c'est-à-dire en bonne intelligence avec les autres corps, dans un esprit de coopération qui favorise la recherche des synergies possibles et qui tend à éviter les affrontements stériles voire nuisibles à ces corps comme à la société tout entière. 

Le moine et le politique tendent l'un et l'autre à favoriser le rassasiement de leurs frères. Ils le font en étant aussi universels que possible tout en se limitant à leur champ d'action propre. Une distinction a priori évidente consisterait à dire que l'un s'occupe des faims spirituelles et l'autre des faims matérielles. Il nous faudra cependant revenir là-dessus pour apporter quelques nuances. Si l'un comme l'autre oublie ce principe valable pour tous : "Dieu premier servi", ne courent-ils pas le risque de s'affairer en pure perte ?

Le moine vit dans un climat et selon un emploi du temps qui le recentre en permanence sur l'essentiel : louer Dieu et le servir, en pensée comme en action. La vocation fondamentale du politique n'est pas différente mais elle s'exerce selon des modalités qui ont tendance, comme pour beaucoup d'hommes, à le tourner vers l'accessoire, vers le paraître plus que vers l'être. Nous oublions ici la situation particulière d'un politique qui ne croirait ni à l'existence de Dieu ni à celle du diable : c'est une espèce en voie de disparition et ses derniers représentants auront de moins en moins d'influence sur le cours du monde, foi de prophète !






Chaque âme de bonne volonté comprend en effet que la question centrale ne porte pas tant sur l'existence de Dieu que sur sa façon d'être présent et d'agir tout en respectant la liberté des hommes. Vaste question que les philosophies existentialistes, entre autres, ont tenté de régler. Question universelle qui revêt parfois un tour dramatique quand une personne a la triste impression qu'elle ferait partie des oubliés de la Providence. 



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Une parabole donne une réponse à cette angoisse : un homme arrive en Paradis. Il porte un regard sur son passé et découvre des empreintes sur le sable, tantôt celles de quatre pieds, tantôt celles d'une paire de pieds seulement. Se remémorant les périodes où n'apparaissent que deux pieds, il se souvient qu'elles correspondent à des moments de solitude, de détresse, de souffrance, ... où il avait eu le sentiment que Dieu était absent. Il en fait part à Dieu et commence même à Lui reprocher son inaction. "C'est vrai, à certaines heures, nous marchions côte à côte et nous étions heureux de cheminer ensemble. Quand tu ne vois plus que les empreintes de deux pas, ce sont les miennes" lui dit Dieu. "C'est moi qui te portais pour soulager ta peine".



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A propos de la question de l'existence de Dieu, concluons par le bouleversement apporté par l'Incarnation. Jésus, l'Emmanuel, "Dieu avec nous" répond de façon magistrale. En donnant sa vie jusqu'au bout après avoir été condamné pour blasphème, le Christ déplace en profondeur les données du problème : en assumant sa place de Dieu parmi les hommes, le Christ anéantit toutes les tentations de débat stérile autour de l'existence de Dieu. Après son passage sur terre et dans la mesure où j'accorde du crédit aux témoignages écrits (Evangiles) comme aux témoins (martyrs et saints), je ne me laisse plus tourmenter par une question perpétuelle qui n'aurait pas de réponse. Dieu existe puisqu'Il s'est même incarné en la personne de Jésus. 




Gustave Doré : Le Christ quittant le prétoire

Non seulement, il a prouvé lui-même son existence au prix d'une Agonie douloureuse, d'une Passion effroyable et d'une mort ignominieuse (crucifiés au milieu de deux bandits et mis en pâture au milieu de soldats et d'une foule déchaînés contre lui) mais il a démontré par ses actes et par ses paroles qu'Il n'arrêtait pas d'être actif, de se rendre présent à tous, en particulier à tous ceux qui ont besoin d'être guéris et à la multitude des hommes dont aucun ne peut se sauver lui-même.

Si je refuse d'accorder le moindre crédit aux récits évangéliques comme à ceux qui essaient d'en vivre, il me reste encore la possibilité de comprendre autrement la raison pour laquelle l'existence de Dieu ne s'impose pas à moi : Dieu s'efface pour m'offrir la liberté incroyable de Lui accorder, si je le veux bien, une existence dans ma vie. Il offre cela à chacun d'entre nous. C'est à moi d'ouvrir des espaces, des temps libres (prière ou événement providentiel) laissant à Dieu la possibilité d'entrer dans ma vie. Ce qu'exprime le Christ dans cette parole : "Voici que je me tiens à la porte et que je frappe (discrètement) ...".

Quand un politique oublie Dieu ou le met de côté comme s'Il était encombrant, il ne tarde pas à s'empêtrer dans les demi-vérités. Il en appellera à la fraternité entre les hommes et il aura beau le faire en utilisant quelques passages (déformés) de l'Evangile, ses injonctions sonneront faux : la fraternité qui dépasse les liens de sang n'a pas d'autre fondement que la filiation divine. C'est parce que les êtres humains sont les fils d'un même Père qu'ils sont frères, qu'ils ont à vivre de et pour cette fraternité. En dehors de ce fondement, la fraternité est vide de sens.






Moines de Thibhirine assassinés en Algérie


Le moine comme le politique, n'est pas à l'abri de l'oubli de Dieu. Nous en sommes tous là : une fois que nous avons oublié Dieu, nous forgeons quelque veau d'or, quelques idoles, pour combler son absence et le vide que nous ressentons. Concevoir la politique en dehors de toute référence à un royaume qui dépasse ce qui est immédiatement visible, c'est la condamner à errer sans fin dans les labyrinthes tortueux de l'esprit humain coupé de ses racines. C'est en définitive oublier le cri du prophète Jean : "Préparez les chemins du Seigneur".

Si le moine et le politique n'agissent pas exactement de la même manière, ils participent l'un et l'autre aux travaux de préparation. C'est seulement dans la mesure où ils sont animés par l'attente et le désir d'un futur glorieux, qu'ils peuvent se donner corps et âme dans l'instant présent, malgré toutes les vicissitudes de l'heure en cours. 

Aucun obstacle ne saurait les détourner de leur vocation première : préparer la venue du Seigneur dans sa gloire et faire en sorte que leurs proches s'associent à cette préparation, sans pour autant leur imposer un point de vue censément incomplet, défaillant par endroit et encore bien imparfait mais en respectant le cheminement de chacun et en s'inspirant des réalisations d'autrui quand elles sont belles, nobles et fécondes en charité. Le moine comme le politique authentiques demeurent profondément attentifs aux soubresauts du monde pour déceler ce qui mérite d'être soutenu par la prière et par l'action. L'un comme l'autre ne cessent d'être animés par une charité active et une compassion de chaque instant à l'égard de leurs prochains, ceux d'un jour comme ceux qu'ils côtoient chaque jour.

Nous sommes alors bien loin des rivalités stériles qui agitent ceux qui ne pensent qu'à accroître leurs pouvoirs, leurs prérogatives, leur renommée ou leur fortune. Nous sommes à des années lumière d'une vie politique française, nationale notamment, qui gâche depuis plus de quarante ans les atouts de la France par son oubli quasi permanent du transcendant et par son attachement maladif aux valeurs mondaines, aux bruits de couloir, aux jeux malsains d'une cour affamée d'honneurs factices et de reconnaissances indues ; qui ruine notre pays par son goût des petits plaisirs à bon compte sur le dos des plus pauvres et de tous les malheureux sans défense.

Le moine et le politique sont un garde-fou l'un pour l'autre : chacun exerce un pouvoir et ces deux pouvoirs sont complémentaires. Ils sont même le garant l'un pour l'autre de leur juste exercice. Que l'un tente d'écraser l'autre et voilà tout un édifice qui s'écroule. Etudier les rapports que ces deux pouvoirs entretiennent donne une clef de compréhension très fine et très puissante de l'état d'un territoire ou d'une nation. Il suffit de songer à l'histoire de l'Irlande, de la Russie, de la Roumanie, de l'Egypte, de la Grèce, de la France, de l'Inde, du Tibet et du Proche-Orient pour ne citer que quelques exemples notoires. Dès que l'un de ces deux pouvoirs s'affaiblit, l'autre perd l'équilibre. Nombre de problèmes réels et de faux problèmes disparaîtraient par enchantement si chacun des deux pouvoirs veillait à entretenir la vitalité de l'autre et favorisait même son épanouissement, son rayonnement, son indépendance. Il est capital en effet que chacun de ces deux pouvoirs s'exercent sans la moindre allégeance à l'égard de l'autre mais au contraire comme deux autorités qui n'ont de compte à rendre qu'à Dieu seul. Cela peut paraître évident pour le pouvoir monastique. Il doit en être également ainsi pour le pouvoir politique. Ce dernier ne doit pas se contenter de satisfaire, de flatter ses "sujets" ou certains courants turbulents : il doit penser et agir de manière divine. Force est de constater qu'aujourd'hui en France, nous sommes bien loin de cet état d'esprit. Beaucoup de nos politiques confondent laïcité et athéisme. Ils n'ont rien compris à l'articulation du spirituel et du temporel. Ils ont perdu l'un des sens de la Croix du Christ au point de trouver indécent que ce signe subsiste dans l'espace public.

Le projet France2022 prévoit de mobiliser fortement l'admirable maillage monastique de la France qui s'est maintenu vaille que vaille, en dépit de persécutions sanglantes et censément aberrantes au premier regard. Ces persécutions sont en définitive l'expression d'un paganisme qui tente à certains moments de l'histoire des hommes d'imposer ses lois où dominent l'arbitraire, la dérégulation, l'injustice, la dépravation, l'inconsistance, le provisoire, la jalousie, l'orgueil, la démesure et le mensonge, toutes déviations qui ne peuvent guère tenir plus de 24 heures dans l'enceinte close d'un monastère sous peine de graves dissensions.

Les ordres monachiques ont beaucoup à donner à une classe politique moribonde, en matière de travail notamment, à un pouvoir en fin de règne qui a perdu le sens d'un travail honnête, raisonnable et fécond parce qu'il a oublié le temps des longues préparations et celui des réalisations qui subsistent pour longtemps. Nous avons développé ce point dans la tribune sur le travail humain.

La suite de cette tribune répondra, entre autres, à la question centrale que voici : "comment chacun de ces deux pouvoirs, le moine et le politique, peut-il aujourd'hui renforcer l'autre, le rendre plus solide, plus cohérent, plus dynamique ... sans se laisser gagner par des peurs qui n'ont pas ou n'ont plus lieu d'être ?" et cette question préliminaire : "Peut-on parler, à proprement dit, d'un pouvoir monastique ?".

Disons en préliminaire qu'envisager le moine et le politique comme pouvoirs présente un inconvénient majeur : indisposer toute personne allergique à la notion de pouvoir, d'autorité, de hiérarchie, ... soit pour des motifs théoriques (par exemple selon une posture diogénique qui place le pouvoir sur soi-même bien au-dessus du pouvoir sur le monde) soit à la suite d'une expérience douloureuse de soumission à un pouvoir mal exercé voire corrompu. Réfléchir en termes de pouvoir demande alors un surcroît d'énergie bien orientée : non plus démolir ce qui blesse ou révulse mais accepter de le voir sans crainte, appréhension, gêne, irritation, ... Non plus se focaliser sur les inconvénients mais penser comme le recommande St Ignace de Loyola en terme d'avantages. En l'occurrence, lorsque le pouvoir politique et le pouvoir monacal s'exercent de façon juste, intelligente, efficiente ... les territoires concernés par ces pouvoirs ont fort à gagner dans de multiples domaines : paix, justice, prospérité, liberté, équité, fraternité ... La réciproque est vraie : quand la zizanie, la pauvreté, la misère même, l'esclavage, ... apparaissent et se développent sur un territoire, il devient urgent d'analyser ces deux pouvoirs (et d'autres évidemment comme les pouvoirs intellectuels, médiatiques, marchands, financiers, ... ) pour essayer de comprendre ce qui cloche et tenter de remédier à une situation de déliquescence.

Le choix du politique comme pouvoir concerné au premier chef par les désordres actuels de la France tombe sous le sens. Celui du pouvoir monacal dans cette tribune demande à être argumenté : pourquoi s'y intéresser ? Pourquoi ne pas évoquer d'autres pouvoirs semble-t-il plus directement impliqués ?

Nous l'avons déjà écrit dans cette tribune : le pouvoir monacal est passé maître dans l'art du travail bien fait. Il connaît la mesure et la règle qui donnent du sens à toute activité humaine. Les moines et les moniales ont compris depuis fort longtemps que le travail humain n'est pas un but en soi, qu'il est un moyen, parmi d'autres, de l'accomplissement d'une vocation d'essence divine. Le travail humain ne résulte pas d'une condamnation. Il est d'abord libre participation de l'homme aux métiers de Dieu. Sa pénibilité ne vient pas du projet initial du Créateur. Elle a deux sources principales : les désordres extérieurs engendrés par le péché des hommes et les désordres intérieurs qui troublent leur regard, leur pensée et leur comportement. Devient pénible ce que l'homme a rendu tel par toutes les structures dissipatives que son imagination malade a mises sur pied. Devient pénible ce que l'homme blessé perçoit comme tel au sein d'une hiérarchie factice des tâches nécessaires à l'achèvement de la Création. Est pénible ce qui est dur à faire et seulement demandé à quelques-uns parmi les plus mal lotis alors qu'une juste répartition des travaux devrait conduire à un partage de ces derniers. Est pénible ce que la prédation a rendu accessoirement vital alors qu'il n'en était rien au commencement ... Moines et moniales peuvent montrer à qui veut bien ouvrir les yeux qu'un travail accompli sous le regard de Dieu s'épanouit en joie et en reconnaissance dès lors que je prends la peine initiale de le considérer autrement et que je n'omets pas d'effectuer les tâches les plus humbles, les plus cachées, avec autant de sérieux et d'exigence qu'en réclament les plus visibles comme par exemple celles qui sont destinées à émerveiller le coeur de l'homme par leurs grâces et perfections.