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vendredi 27 mars 2015

Prospective





Voir entre autres : http://www.laprospective.fr/


La prospective n'a pas toujours bonne presse : tant de prévisions ont échoué ou furent dépassées. L'avenir nous réserve des surprises. La réalité dépasse la fiction ... 

Tout projet présidentiel qui ferait l'économie d'une réflexion prospective passerait pourtant à côté d'un levier puissant de mobilisation et d'action pour de nombreux citoyens : seule une vision à long terme donne à chacun d'adhérer, de se prononcer et de s'engager pleinement. 

La prospective n'élimine pas l'incertitude mais elle éclaire la route sous différents angles : en renonçant à envisager l'avenir de façon monolithique, en élaborant plusieurs scénarios d'évolution possibles et probables, elle éclaire les acteurs politiques et plus largement tous ceux qui se préoccupent du lendemain.


Avant d'imaginer et de construire, nous avons tout intérêt à observer ce qui s'est passé jusqu'à maintenant. Une prospective qui refuserait de s'inspirer des chemins parcourus et de se nourrir des leçons de l'histoire serait comme une coquille vide, belle en apparence et sans âme et sans vie. Elle se priverait de l'un des trésors de la pensée juive : "Souviens-toi Israël".

Scruter le passé ne lève certes pas toutes les inconnues mais donne des clefs de compréhension qui ouvre le regard et l'esprit. A celui qui est attentif et qui sait garder la faculté d'admirer se révèlent les grandes lignes et même tout un ensemble de détails significatifs qui lui indiquent les forces, les courants, les tendances traversant notre univers, notre planète, l'histoire des hommes. Sous l'agitation de surface lui apparaissent les mouvements lents et plus profondément encore ce qui demeure immobile.


Comment pouvons-nous espérer manoeuvrer, avancer et nous retrouver à bon port si nous ne prenons pas la peine de déceler les permanences de notre monde et d'aimer la façon dont il se transforme peu à peu ? Si cela pouvait nous éviter de tomber dans la confusion, nous aurions déjà fait un grand pas vers la libération de notre puissance créatrice et de notre faculté d'émerveillement. 

Ne voir que permanences et redites entraîne un risque d'erreur : penser que les choses se répètent sans fin et croire que rien ne changera au fond quoiqu'on fasse. Ne voir que des changements en oubliant les éléments stables génère une seconde erreur : penser que tout est voué à la disparition et à la mort. Ces deux erreurs majeures nous conduisent à penser que tout se vaudrait, à penser qu'il serait inutile d'entreprendre, qu'il serait dérisoire de s'engager, qu'il serait futile d'élaborer des projets, qu'il serait vain de vouloir aimer en vérité.


Comme "la grenouille qui ne savait pas qu'elle était cuite", une autre illusion nous menace : demeurer insensibles à des variations trop lentes pour que nous soyons en mesure de les percevoir et, par conséquent, tenir pour immuables des situations qui, en réalité, évoluent au fil des ans. Faire le tri entre permanences et changements demande un surcroît d'attention, un effort de conscience et la discipline de s'arrêter un moment afin d'être plus à même de déceler les variations infimes de notre environnement : là peuvent se cacher des indices révélateurs du monde à venir. 

Si nous nous laissons dominer par la fureur des événements les plus violents, si nous ne prenons pas la peine de discerner le bien qui germe sans bruit, nous risquons fort d'agir dans l'impatience, le ressentiment et la brutalité alors que nous avons à favoriser, en toute simplicité de coeur, ce qui est en train d'advenir de meilleur.


Un projet présidentiel pour la France sera d'autant mieux reçu, accepté et mis en oeuvre qu'il aura contribué à modifier notre regard de telle sorte que nous soyons devenus capables de repérer, à travers la multitude des phénomènes, les forces sous-jacentes qui travaillent notre société et nos coeurs. Une conscience plus claire des enjeux renforce cette capacité et nous donne la concentration suffisante pour nous attacher à ce qui en vaut vraiment la peine. Au milieu des tourbillons, de l'agitation incessante de surface, notre coeur immobile veillera à l'essentiel tandis que notre coeur en mouvement épousera les causes les meilleures. 

C'est l'une des ambitions majeures du projet France 2022 : permettre à chacun de déceler de nouveaux indices de transformation, de se réjouir de la découverte de possibles insoupçonnés jusque-là, d'oser contribuer à des changements qui semblaient irréalisables de prime abord.


Téléphone mobile, mobile-home, spéculations sur les valeurs mobilières, ... comment s'étonner que le nouvel eldorado, après l'abandon de l'or comme étalon soit devenu ... l'immobilier ? Comment ne pas pressentir que nous allons vers une nouvelle ruée vers la terre ? En contre point de la montée des mondes virtuels, allons-nous connaître une quête effrénée d'un bout d'espace tout à la fois tangible, palpable et intouchable ? Que lire dans cette frayeur qui gronde à la vue d'une planète menacée de toutes parts ? Comment pourrions-nous y voir clair, si nous nous laissions envahir par la peur, si nous nous laissions submerger par toutes les terreurs ancestrales ?


Notre environnement change, incontestablement. Nous disposons aujourd'hui de moyens que nos prédécesseurs nous envient ou nous envieraient sûrement. Sommes-nous cependant prêts à reconnaître que notre propre corps est voué à la mort, comme toujours ? Qu'il en est ainsi depuis l'aube des temps ? Que de ce point de vue, rien ne semble avoir changé ? Apprendre à mourir, apprendre à disparaître, quoi de plus difficile ? Quoi de plus terrible quand on songe à toutes les potentialités en germe ? Quoi de plus banal quand on vit dans un monde dont on n'attend plus rien ? Saurons-nous trouver le juste milieu entre l'attente émerveillée du lendemain et la certitude incontournable d'une fin prochaine ?


Depuis le commencement, notre univers est sous tension. Croire que nous vivons aujourd'hui des contradictions plus fortes qu'autrefois est source d'illusion, de passivité ou d'anxiété : chaque époque a son lot de sentiers étroits et aucun sommet n'est accessible sans passage périlleux. Voulons-nous la facilité d'une vie sans histoire ou désirons-nous affronter quelque danger ? Sommes-nous prêts à prendre des risques, à nous lancer sans pouvoir tout maîtriser ? Aurons-nous l'audace d'avancer au large en eau profonde, individuellement et collectivement ? Tous ceux qui vivent une détresse physique ou morale, trouveront-ils en France des visages exprimant le bonheur de vivre même quand la souffrance est là, jour après jour, lancinante et menaçante ? Trouveront-ils des bras accueillants et des mains au service de l'amour généreux, qui ne compte pas sa peine, que rien ne rebute, pour qui une vie ou une âme à sauver compte plus que tout l'or du monde ?


Entre la mort qui détruit, fait disparaître, anéantit et la vie, source de nouvelles naissances, de créations originales, de joies ou de souffrances, l'opposition date de la nuit des temps et traverse notre monde de part en part. 

Refuser la mort qui vient à son heure comme une délivrance, la cacher ou au contraire l'exalter, la présenter comme une panacée, voilà des attitudes qui ne portent pas remède à notre condition. Pour qu'un projet d'avenir s'établisse, rien ne vaut l'acceptation pacifiée d'une mort évidemment inéluctable et pourtant comprise comme le passage vers une vie invisible, discrète, aimante et bien présente. 

Une prospective qui négligerait d'aller aussi loin dans ses tenants et ses aboutissants risquerait fort de proposer un paradis au goût amer. L'histoire nous a montré combien la volonté farouche d'établir sur terre ce que seul le passage étroit par la mort nous révèle, combien cette volonté engendre d'atrocités.


L'exploration des potentialités en germe doit se garder d'un angélisme qui oublierait cette permanence de notre condition imparfaite et pécheresse : nous sommes tout bêtement incapables de vivre la fraternité dès lors que nous oublions la transcendance dont nous sommes issus. Quel que soit le visage que nous donnons à ce qui nous dépasse de toutes parts, le fait est là : nos propres forces ne suffisent pas à établir une paix durable, à garantir une vraie liberté. Chanter l'égalité des droits sonne tellement faux quand l'innocent est abattu au sein même du sanctuaire qui devrait le mettre à l'abri de toutes les attaques. L'un de nos hommes politiques rappelle que liberté, égalité et fraternité n'ont aucun sens quand elles sont séparées les unes des autres. Ajoutons que, même réunies, elles sont incomplètes. Ne nous étonnons pas que notre démocratie patine et que nos idéaux élevés soient encore si lointains. Ce n'est pas qu'une question d'organisation, de séparation des pouvoirs. Accéder à davantage de liberté, vivre plus fraternellement, respecter l'égale dignité de chacun ne relèvent pas seulement de la technique du droit constitutionnel, d'un équilibre parfait des pouvoirs, d'une bonne volonté des politiques. L'histoire nous apprend que subsiste un antagonisme de fond entre l'exercice du pouvoir et l'exercice de la charité et nous savons que cet antagonisme ne se résout qu'à partir du moment où le pouvoir renonce à toutes prétentions hégémoniques, où le pouvoir se conçoit et s'exerce comme service radical des personnes et des communautés de personnes. Allons plus loin : le pouvoir ne libère pleinement, le pouvoir ne construit la solidarité généreuse, le pouvoir n'instaure le respect que dans la mesure où il se situe en tant que modeste catalyseur d'un ordre qui le dépasse. Cela est vrai aussi bien pour un pouvoir politique que pour un pouvoir religieux. La séparation des pouvoirs, la laïcité à la française n'ont de sens et ne sont fécondes que si elles s'établissent sur cette conviction : tout pouvoir est un don, tout pouvoir est reçu, tout pouvoir doit se soumettre à la vérité. Non pas à l'opinion dominante ou la plus bruyante mais à la vérité.


Que serait une prospective qui s'établirait sur des fondements faux ? Une prospective qui tablerait par exemple sur un allongement soi-disant incessant de la durée de vie sur terre ? Une prospective qui se laisserait impressionner par la simple considération de la hausse de l'espérance de vie en France et qui en déduirait un peu vite que : "tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes" ? Un esprit lucide n'oubliera pas le record de consommation de tranquillisants pour constater que si la vieille dame tient encore debout, c'est qu'elle s'appuie sur une drôle de béquille. La fierté que nous portons à notre longévité n'est-elle pas l'indice que nous n'acceptons plus que notre existence terrestre ait un terme ?


"Au milieu de tant de choses qui changent, ce qui change le moins, c'est l'homme". Saurons-nous entendre ce rappel d'un homme politique et d'un philosophe parmi les plus clairvoyants ? Même un surcroît d'années en pleine santé ou dans les affres de la vieillesse ne modifient pas radicalement l'homme : son origine et sa fin demeurent. Réduire son origine à la rencontre fortuite de deux gamètes et sa fin à un petit tas de cendres, c'est bon pour les pirouettes d'humoriste mais cela manque singulièrement de souffle. Oubliez le vent et, à la première tempête, votre échafaudage le plus solide s'écroulera comme un château de cartes. Si nous désirons que nos constructions collectives résistent aux intempéries, nous devons étudier sans relâche l'un de ses maillons quasi immuables à l'échelle de nos prévisions : l'homme.


Premier pari : dans les cinquante années à venir, l'homme ne changera pas et la connaissance que nous en avons progressera sans pour autant que cette connaissance soit largement répandue. Tout homme restera encore ignorant de lui-même, non seulement dans ce qu'il a de commun avec ses semblables mais aussi dans ses particularités. Le seul exercice consistant à parfaire son savoir et son être, ses capacités et ses talents a de quoi l'occuper toute une vie et davantage. Affirmer cela n'a l'air de rien. S'en persuader apporte néanmoins une grande libération : chacun d'entre nous n'a pas d'abord à faire bien, à rechercher une perfection maladive. Chacun a la possibilité de faire du bien, quelle que soit sa condition, quel que soit l'état où il se trouve, quel que soit le chemin déjà parcouru. Faire du bien est le propre de tout être vivant, quelque chose que nous avons tous en commun. Malgré tout le bien déjà accompli, chacun reste hélas capable de fomenter le mal. Une telle présentation risque de donner l'illusion d'une symétrie entre bien et mal pourtant nous savons tous d'expérience que plusieurs différences majeures les séparent : le bien est discret tandis que le mal se vante ; le mal trouve la mort tandis que le bien cherche la vie ; le bien est en quête de vérité tandis que le mal s'appuie sur le mensonge. Poser la question : "Qu'est-ce que le bien, qu'est-ce que le mal ?!" pour tenter de s'affranchir d'un choix net ne tient pas la route longtemps.


Deuxième pari : notre condition ne changera pas. Sur terre, nous sommes du côté des noeuds, des défauts, des imperfections et ce qui ne va pas saute à nos yeux. Dans l'immensité de l'univers, chacun d'entre nous est si infime qu'il arrive aux plus sensibles d'en désespérer, de se croire complètement abandonnés. Celui qui se prend pour le plus grand d'entre nous ne peut guère s'enorgueillir : il participe comme tout un chacun au grand ouvrage, fruit de la main des vivants et l'éclat de son oeuvre se perd dans l'océan des réalisations humaines. La marée des hommes est affairée d'un côté de la toile et seul le passage par la mort donne accès à l'autre face du côté de l'invisible : là où sont effacées toute larme de tristesse mais pas celles du remord, là où disparaissent les ratés et les noeuds. Du côté de l'invisible apparaît l'ouvrage dans toute sa splendeur. Au regard des bienheureux est offert toute la beauté d'une réalisation encore inaccessible à ceux qui peinent. Même celui qui refuse d'être actif par lassitude, dépit ou colère ne peut qu'être témoin de l'avancement des travaux.


Troisième pari : certaines conditions extérieures ne vont cesser d'évoluer, à un rythme de plus en plus rapide. Qui aurait pu imaginer, il y a seulement vingt ans, toutes les facilités de conception, d'étude, de fabrication, de communication, de contrôle, d'analyse, ... dont nous disposons aujourd'hui ?


Quatrième pari : la rapidité des évolutions à venir ne nous empêche pas d'en percevoir les orientations majeures et d'anticiper leurs réalisations concrètes.


Première orientation majeure : l'impossibilité pour l'homme de se soustraire, tôt ou tard, à la vérité des faits. La multiplication des moyens d'enregistrement, la croissance exponentielle des capacités de stockage tendent vers l'accumulation des faits et gestes, des paroles et des actes. Quelques erreurs de lecture ou d'interprétation, relayées par des médias en quête de sensationnel, ne doivent pas nous abuser : monter en épingle les ratés du système ne l'empêcheront pas de se déployer et de gagner en efficacité. Nous connaissons la fin tragique de cet homme qui voulant s'en prendre aux radars automatiques n'a pas maîtrisé jusqu'au bout les armes de son ressentiment.


Seconde orientation majeure : l'accumulation de "preuves" devient insupportable dans un monde qui perd de vue l'axe principal du commandement de l'amour, le pardon. Sans le voile de la miséricorde, sans l'exercice patient et volontaire de la rémission des fautes, une société où l'accusation permanente et la dénonciation incessante tiennent le haut du pavé devient tout simplement invivable. Elle baigne dans une atmosphère irrespirable. Nos démocraties risquent moins de crever sous l'excès de prescriptions que sous l'avalanche des mises en accusation.


Si nous sommes rendus, à ce stade de l'analyse, assez loin des préoccupations habituelles d'un travail prospectif, nous avons évoqué le filet qui protège les acteurs, qu'ils soient de grands artistes ou non, d'une chute grave et même fatale. La montée des revendications en faveur d'une liberté individuelle de plus en plus affranchie de toutes contraintes sociales ou morales, le désir de plus en plus répandu de quitter les figures imposées pour laisser libre cours à la fantaisie de chacun, la recherche du sensationnel le plus vertigineux, ... toutes ces demandes ne se réalisent sans casse stupide et blessure irréversible que dans un cadre malgré tout sécurisé et prêt à parer à toute défaillance.


Il y a deux façons de percevoir le filet : le considérer comme un accessoire pour les faibles et les craintifs. C'est l'attitude de celui qui n'a jamais chuté gravement et s'estime à l'abri d'un accident. A l'inverse, il y a ceux qui ont expérimenté, réellement ou par une imagination vive, la valeur inestimable qu'il représente.


Dans notre monde de plus en plus complexe, le filet revêt des formes multiples : pouvoirs politique et administratif, lois,  décrets, magistrats, avocats, notaires, réglementations, assurances, banques, défenses militaires, systèmes de surveillance et de contrôle, police et gendarmerie, médecins, infirmiers, pompiers, secouristes, urgentistes, autorité parentale, familles, écoles, hôpitaux, dispensaires, maisons médicalisées, prisons, asiles, barrières de sécurité, entreprises publiques et privées, mutuelles, ... et encore, soutien psychologique, assistances sociales, SAMU, urgences en tous genres, bornes d'appel, conseils divers, ... et plus encore, le sacrement de la miséricorde et ses prêtres. Beaucoup de ces formes sont déjà très anciennes et les nouvelles sont venues compléter un dispositif au service d'une vie humaine qui se déploie en dépit de toutes les hostilités.


On peut rêver d'une société idéale, sans filet, où tout baigne. L'histoire ancienne ou récente nous montre que c'est une utopie : vouloir supprimer un maillon conduit tôt ou tard à en développer un autre à outrance, rompant l'équilibre et l'harmonie. Que le filet soit invisible ou pas ne change rien à l'affaire : nous avons tous besoin d'être défendus contre nous-même, contre un tiers menaçant, contre toute agression qui dépasse nos propres forces. C'est une condition de radicale faiblesse que l'on peut accepter, rejeter ou vomir. Mieux vaut pourtant l'accepter humblement et joyeusement. L'accepter est la condition d'une libération : la présence du filet n'est plus vécue comme une pesanteur mais comme une grâce. L'entretien du filet lui-même ne se vit plus comme une servitude ou comme un mal nécessaire mais comme un service indispensable de la vie de tous, qu'ils soient forts ou fragiles.


Un projet présidentiel et son accomplissement doivent cependant toujours veiller à la qualité de chaque maillon soit directement, soit indirectement en facilitant la mission des corps intermédiaires en charge de notre sécurité au sens large. Cette vigilance doit s'exercer aussi pour que nul ne soit tenté de tirer des avantages ou des bénéfices de sa position de force. Les menaces étant par essence mobiles et variables, aucun maillon ne détient le monopole de l'assurance tout risque.


La toile se tisse jour après jour grâce au filet qui la protège et cette toile, elle-même trouve sa place dans le filet de telle sorte que la volonté d'une seule personne parvient à contribuer au bonheur d'un grand nombre. A certains égards, nous vivons une époque qui dépasse l'entendement, une époque où se trouvent réunis tous les apports antérieurs. L'effet d'accumulation lui-même s'accroît de jour en jour. Celui qui aura la curiosité d'explorer ce qui lui est offert dépassera les rêves les plus fous des pionniers de la découverte de terres lointaines. Celui qui désespère de cette vie trouvera toujours une main ou une parole capable de le tirer du gouffre.

En relisant l'histoire de l'humanité, nous prenons conscience que les moyens pour l'homme de se protéger des conditions extérieures les plus rudes ne sont pas nombreux : soit il bâtit une forteresse solide et assez autonome soit il se déplace à la recherche de conditions meilleures. Quelques millénaires se sont écoulés sans que cette alternative ne s'enrichisse de nouvelles possibilités. Au contraire, la situation s'est même appauvrie : le rêve d'autonomie et de solidité à toutes épreuves vole en éclats chaque jour qui passe et se déplacer pour un ailleurs plus sûr est devenu de plus en plus difficile. Nous retrouvons ici, sous un autre angle, la condition fragile d'un être qui ne peut s'affranchir totalement de sa faiblesse. En tous lieux, l'homme qui ne compte que sur lui-même est en danger de mort, l'homme isolé est menacé de toutes parts.


Pourquoi affirmer que "la situation s'est appauvrie" ? Autrefois, la ville fortifiée était en mesure de soutenir un siège durant plusieurs mois. Quelle métropole aujourd'hui pourrait tenir ne serait-ce qu'une semaine sur ses propres réserves ? Autrefois, l'espace mondial était ouvert et l'on pouvait voyager avec une simple carte de visite. Qui peut franchir aujourd'hui les murs qui se sont dressés pour séparer le Mexique et les Etats Unis, Israël et la Palestine, ... qui peut se rendre aisément en Europe venant d'Afrique sans passer par un circuit compliqué, administratif voire mafieux ? La situation est même devenue explosive.


Accomplir un travail prospectif valable pour décider et agir consistera non seulement à identifier les menaces qui pèsent sur notre avenir mais aussi à saisir les peurs qui traversent notre société. Nous finirons par nous apercevoir qu'il nous arrive de négliger des menaces sérieuses et de prendre peur pour des riens. Que dire quand la peur elle-même devient une menace ?


C'est un fait : la peur menace l'homme dès sa conception. En France, la peur d'avoir à faire face seule ou dans des conditions de vie jugées inappropriées conduit à l'échafaud environ 250.000 enfants par an. Ces décès intégrés dans le calcul de l'espérance de vie la font chuter de plus de vingt ans. Ce n'est certes pas une peur complètement irraisonnée : élever un enfant a un coût, "Il faut tout un village pour élever un enfant" rappelle le titre d'un ouvrage d'Hillary Clinton. C'est donc la peur d'une femme qui se sent isolée, coupée du village et qui pense ne pas pouvoir faire face toute seule. Elle a raison mais tuer l'enfant c'est retourner des siècles en arrière lorsque l'humanité pensait que les dieux réclamaient des sacrifices humains pour daigner agir en sa faveur. Le diagnostic est juste, le moyen de résoudre le problème ne l'est pas. Agir ainsi s'apparente au suicide. A un double suicide nous prévenait Mère Teresa. Là encore, il existe des maillons de solidarité pour venir en aide aux détresses qui paraissent insurmontables : contact@sosbebe.org




L'enfant à naître est un souci. Il reste par-dessus toutes les angoisses et les inquiétudes légitimes, une chance, un bonheur, un don à nul autre pareil. Tant que nous n'aurons pas rétabli toute la considération et tout le respect qu'appelle ce don, nous nous agiterons en vain pour sortir du gouffre où nous sommes : dette publique abyssale, retraites bientôt insolvables, chômage officiel et caché d'une ampleur jamais atteinte ... autant de poids qui n'auraient jamais pesé avec tant de lourdeur si nous avions eu le courage de laisser vivre dix millions d'enfants qui, depuis 1975, ne demandaient qu'à voir le jour. Pourtant ce ne sont pas des considérations d'ordre économique qui ont à changer notre regard et notre attitude : il s'agit d'un choix de vie ou de mort. Ou bien nous acceptons la vie et les risques qu'elle comporte, ou bien nous préférons la mort et son calme plat. Si nous acceptons la vie pour nous, nous n'avons pas le droit de la refuser à d'autres. "Aimez-le et prenez soin de lui" écrivait déjà la jeune femme abandonnant son fils dans le Kid de Charlie Chaplin. En 2015, nous pouvons faciliter l'abandon dans les cas extrêmes, nous sommes surtout en mesure d'aider à garder son enfant toute femme qui en ferait la demande.


Faut-il d'ailleurs qu'une demande soit formulée ? Ne conviendrait-il pas d'assurer d'emblée à toute femme enceinte et à toute femme en charge d'un tout petit des conditions aussi heureuses que possible ? Alors que nous sommes parfois si fiers de nos dispositifs d'aide, d'autres pays comme l'Angleterre nous montrent la voie : quand la maman est mineure et seule, elle peut poursuivre ses études en bénéficiant d'un accueil adapté, pour elle et pour son enfant.

Pour aller plus loin : 

Abolition de la peine de mort pour les tout petits en gestation ;

Création d'une monnaie de service et d'abondance.
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