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samedi 22 mai 2010

France 2022 : Des causes désargentées



«Travailler à réconcilier 
l’homme et l’économie, 
c’est faire œuvre d’éternité» 






En France, comme ailleurs, nous avons d'une part la situation réelle du pays et d'autre part les sentiments que suscite cette situation. S'il choisit d'intervenir seulement en psychologue ou à la manière d'un magicien, le politique va s'en tenir au travail sur les sentiments : que puis-je proposer et faire pour que le sentiment général s'améliore ? Que puis-je dire de surcroît afin que l'on m'attribue le mérite de cette amélioration et qu'ainsi se maintienne ma position, mes prérogatives et mon pouvoir d'influence ?! Questions cruciales pour quelques politiques - dont certains sont très haut placés - davantage préoccupés par leur propre sort que soucieux de résoudre les problèmes épineux qui se posent aujourd'hui.

On aurait tort certainement de ne voir dans cette attitude qu'artifice et goût immodéré pour l'illusion : le regard porté sur tout ce qui concerne notre pays mérite d'être étudié et, pour ainsi dire, travaillé au corps. Si nous sommes englués dans les problèmes, nous risquons de passer à côté d'une occasion favorable. Si nous minimisons un risque, nous sommes en grand danger d'avoir à nous réveiller brutalement ...

Pour connaître les marges de manoeuvre dans l'ordre du sentiment, nous disposons aujourd'hui d'une quantité étourdissante de sondages qui mesurent les opinions et les humeurs. Ces sondages permettent, au prix d'une analyse bien menée, de se faire une idée du sentiment général à propos de questions diverses : moral des ménages, confiance des entrepreneurs ou des investisseurs, intentions des électeurs, préoccupations des uns et voeux des autres ...

Penser que ces mesures statistiques sont inutiles ou fausses, croire que cela est sans importance, ce serait négliger les voies du coeur en estimant que seules les actions froidement orchestrées sont capables d'emballer une nation et de l'encourager à se dépasser. Le lecteur intéressé par les questions subtiles que pose l'usage des statistiques pourra lire avec profit "Système 1, système 2. Les deux vitesses de la pensée", livre dans lequel Daniel Kahneman montre avec brio la difficulté du raisonnement statistique, ses pièges mais aussi son grand intérêt.

On pourrait dire : "Allez-vous confondre mesures d'opinion et sentiments enfouis ? Oubliez-vous que le coeur est organisé en couches : ce qui l'effleure est sans commune mesure avec ce qui le blesse en profondeur ?". Oui, il ne s'agit pas de confondre une vague humeur passagère et l'oppression d'un malaise radical ou la souffrance qui paralyse, amoche ou anéantit.

Nous ne traiterons pas ici du sentiment et de sa prise en compte dans l'action politique. Que le sentiment soit fort ou superficiel, paraisse justifié ou inexplicable, ne sera pas notre première préoccupation bien que cela soit non négligeable : quand un homme politique dynamique s'étonne de l'apathie d'un plateau de jeunes lors d'une émission télévisée, il suffirait qu'il veuille bien entendre ceci pour comprendre : "Mais Monsieur, depuis 1975, nous sommes des survivants ! Il manque déjà à l'appel un quart du plateau, anéanti sous les coups d'une vache folle : cette médecine de bazar qui a renié l'essentiel du Serment d'Hippocrate."(Serment qui stipule dans sa version moderne : "Je ne provoquerai jamais la mort délibérément.")

Nous aborderons en priorité les causes désargentées qui ne suscitent, le plus souvent, aucun élan du coeur mais plutôt des mouvements d'humeur : les années de formation des jeunes et le temps de la retraite. En ajoutant les soins aux malades ou aux accidentés, nous avons le trio noir, gris ou or, selon les coeurs, de ces causes nationales ... sans argent. Trio incomplet puisqu'il manque encore la défense, la justice, ... . 

Qu'ils bondissent et touchent le plafond ceux qui, prenant à pleines mains le livre des comptes de la nation, vous le lanceront à la figure pour bien vous faire comprendre qu'en 2010, nous n'avons jamais autant dépensé pour le trio principal des causes désargentées. Ils n'ont pas tout à fait tort mais qu'ils gardent leur calme ... et qu'ils n'oublient pas que de telles causes vivent, par nature, aux dépens des activités immédiatement bénéficiaires. Qu'ils n'oublient pas enfin que des soins prodigués intelligemment et avec coeur ont un rendement économique indubitable et même prodigieux : toute personne bien soignée peut témoigner des bienfaits reçus et devenir l'apôtre ardent de résurrections inespérées.  Voir à ce propos tout le travail accompli par des associations telles que les Alcooliques Anonymes.

Pour l'économiste enragé qui ne raisonne qu'en termes de production, de rendement et de productivité, les causes désargentées sont doublement pesantes : l'élève, le patient et le vieillard sénile coûtent deux fois, en étant d'abord improductifs et en mobilisant ensuite un actif qui pourrait ... produire. Il est utile de rappeler que cette vision qui assimile l'humanité à une machine ou à une fourmilière, n'est pas défendue publiquement de manière aussi caricaturale mais qu'elle alimente les idéologies qui conduisent à l'anéantissement du propre de l'homme et ... de l'animal le plus sauvage : faire corps autour du faible et de l'affligé, défendre celui qui est menacé, ralentir la marche pour attendre celui qui n'en peut plus, prendre soin de celui qui souffre, éduquer les plus jeunes, respecter les anciens. Le faire le plus souvent. L'oublier quand un péril extrême survient ?! Serions-nous donc en si grand danger pour nous laisser emporter par l'oubli ?

L'économiste échevelé ne s'aperçoit pas que l'école est non seulement un lieu d'instruction et d'éducation mais aussi une garderie sans laquelle tous les actifs qui sont parents ne seraient pas libres d'aller et venir, de vaquer à leurs affaires ! L'économiste écervelé oublie encore que l'hôpital, la maison de retraite et tant d'autres institutions assument un rôle qui mobiliserait beaucoup d'actifs producteurs ... incompétents en matière de soins ou d'accompagnement. 

Une vision naïve ou superficielle de la vie humaine ouvre une fenêtre de tir trop large à tous les propagandistes de méthodes ou de possibilités abusivement qualifiées de généreuses et de progressistes : contraception artificielle, mariage triste, avortement et euthanasie. En toile de fond de toutes ces fausses générosités, on retrouve toujours la tentation et la volonté plus ou moins affichée de réduire le poids des causes humaines désargentées, de la petite enfance à la vieillesse extrême en passant par tous les accidents de la vie.

Ramer à contre courant de ces tendances suicidaires n'est pas se crisper sur un passé révolu : on a beaucoup éliminé et tué autrefois ; d'innombrables enfants sont morts en bas étage faute d'hygiène ou de soins médicaux appropriés ; une multitude de femmes sont mortes en couche ... et l'homme a déjà eu recours aux expédients les plus sordides pour essayer d'alléger le poids des causes désargentées. Que certains essaient d'amplifier le phénomène ne doit pas décourager la grande majorité des citoyens qui comprennent que la dissolution des problèmes dans l'acide sulfurique des solutions malthusiennes, morbides ou mortifères, entache le tissu social de graves brûlures et le déchire en maints endroits car lorsque le malheur redouté - a tort ou à raison - est occulté par une misère plus noire encore, il ressurgit tôt ou tard au centuple : le meurtre de l'enfant avant sa naissance fait partie de ces fausses "bonnes" résolutions qui engendrent ipso facto des douleurs quasi insupportables quelques jours, quelques mois et bien des années plus tard. Les dénégations des femmes qui prétendent avoir dépassé cela sans le moindre souci occultent mal leur propre souffrance et celle de tant d'autres qui n'en peuvent plus, les addictions diverses qui ont comblé le manque, la déchéance qui s'en est suivie pour certaines d'entre elles. Le prix à payer de tout avortement est incommensurable et seule la Miséricorde infinie de Dieu peut en racheter la dette.

En un sens, nous devrions nous réjouir : l'accumulation de la dette publique n'est-elle pas le signe que la nation française vit au-dessus de ses moyens et qu'elle le fait essentiellement pour subvenir aux besoins des causes désargentées tout en les amplifiant par des mesures politiques aberrantes telles que l'avortement promu au rang de droit fondamental ? Voilà pourquoi certains s'énervent quand on leur dit que l'on ne fait pas assez pour ces causes et pourquoi d'autres s'étranglent quand ils voient les piètres résultats de notre système scolaire.

Au lieu d'y aller par quatre chemins, pourquoi ne pas se rendre à l'évidence ? En devenant majoritairement citadines, nos sociétés modernes n'ont pas su s'adapter à la nouvelle donne : beaucoup moins de paysans pour produire beaucoup plus du côté des campagnes et un déficit chronique de main d'oeuvre pour les champs de l'an 2000 au coeur des cités, l'immense pépinière des têtes brunes, blondes et rousses. Il suffirait pourtant de bien méditer cette évidence pour comprendre enfin pourquoi une partie de notre jeunesse va si mal. 

Les personnes âgées qui participaient jusqu'à leur dernier souffle aux travaux des champs, à la garde des enfants en bas-âge et à bien d'autres tâches de la ferme n'attendaient pas l'heure fatidique de leur soixante et unième année ou de leur retraite anticipée avec cette envie mêlée d'angoisse qui s'est emparée aujourd'hui de tous ceux qui n'ont d'horizon que les fourches caudines de la retraite citadine, le hamac d'une station balnéaire pour les plus fortunés ou le passe-temps addictif pour d'autres. Il y a une façon inadéquate de lire ce qui précède : caricaturer la position en prétendant que nos retraités ne font rien dans les villes alors que nombre d'entre eux assument désormais des tâches d'éducation et de garde, et de formation ... auprès de leurs petits-enfants. Combien d'hommes et de femmes peuvent d'ailleurs témoigner pour dire tout ce qu'ils doivent à leurs aînés ?

Il nous faut maintenant, et c'est un enjeu vital pour la société française, passer à la vitesse supérieure : favoriser dans tous les domaines de l'éducation, la présence des anciens auprès de notre jeunesse, non seulement des retraités mais encore des jeunes gens sortis des limbes. L'enjeu de ce mouvement est vital pour tous : enfants, parents, jeunes actifs ou personnes âgées. 

Allons plus loin. La règle d'or de toute retraite bien pensée et bien menée devrait être celle-ci : ce que j'ai reçu gratuitement et même acquis au prix de mes efforts, je le rendrai ou le donnerai au centuple. Proposer que le montant des pensions de retraite (tribune précédente) soit le même pour tous n'est pas seulement une question d'organisation sociale ou de justice, c'est plus profondément la réponse à l'angoisse qui habite le coeur de l'être accomplissant ses derniers pas sur la planète Terre : ma crainte légitime d'une mort annoncée se mue en joie sans mélange quand j'apprends à devenir léger et à quitter mes possessions, à passer le relais ou le témoin. 

Le désenchantement de notre monde céderait du terrain si nous pouvions lire sur le visage des plus anciens le bonheur de transmettre, le goût de l'aventure spirituelle, l'insouciance des (jeunes ?) années, l'attente pacifiée d'une fin inéluctable. Non, la vieillesse n'est pas un naufrage. Du moins ne l'est-elle pas inexorablement. Elle l'est d'autant moins pour celles et ceux qui ne quittent pas le pont, la barre ou même le navire dès que sonne l'heure de leur cinquantaine révolue.

Faute d'espérer des ressources supplémentaires, certains proposent de faire jouer des possibilités de vase communicant : diminuer le budget de la défense, par exemple, pour alimenter davantage celui de l'école. C'est beau sur le papier. Cela se défend à la marge. Cette utopie généreuse est malheureusement fondée sur l'oubli des coûts cachés et des menaces qui ne cessent de peser sur toute société, aussi organisée soit-elle. Sujets brûlants que le projet France2022 abordera à maintes reprises comme par exemple dans les tribunes : Brève analyse du marasme économique en France et ailleurs
ou Pourquoi deviennent-ils djihadistes ? ou encore Création d'une monnaie de Service et d'Abondance.

mardi 18 mai 2010

France 2022 : Pensions de retraite

Le printemps 2010 met en lumière la question préoccupante des pensions de retraite en France comme ailleurs en Europe : population vieillissante et renouvellement démographique en déclin inquiètent tous ceux qui essaient d'assurer le maintien de notre système de répartition dans lequel ce sont les travailleurs actifs qui cotisent pour les personnes à la retraite.

Même si cela n'est pas l'usage actuel, notons que le montant des pensions devrait dépendre seulement du nombre d'années de cotisation et non pas aussi d'un nombre de points acquis en fonction des revenus perçus au fil des ans : quand un actif cotise pour une personne à la retraite, ce qu'il verse est destiné à assurer une vie décente à ceux qui ne peuvent plus travailler et non pas à récompenser des "mérites" acquis. Si l'on veut tenir compte de ces mérites (et pourquoi pas puisque c'est ce que l'on fait aujourd'hui), il convient de s'appuyer sur des éléments de capitalisation. Ce n'est plus de la répartition. Il n'est pas difficile d'objecter que les points acquis constituent une clef de répartition et qu'il serait inéquitable de supprimer cette clef. Nous constestons la justesse de cette clef. Ce n'est pas la seule clef de répartition possible. Ceux qui ont élevé une famille nombreuse pourraient dire : "Nous avons contribué plus que d'autres à la survie du système de retraite par répartition. Que l'on nous donne plus qu'aux autres !". De fait, le versement des pensions en tient compte. Ceux qui n'ont pu avoir d'enfants ou ne peuvent en avoir - et ils sont nombreux (2 millions de couples en France) - pourraient s'insurger mais comprennent qu'ils bénéficient déjà de l'avantage de percevoir une retraite bien qu'ils n'aient pas eu de descendants pour "assurer leur vieux jours". Ces couples sans enfants et les célibataires pourraient encore faire remarquer que du temps où ils étaient en activité, ils ont contribué eux aussi à garantir la pension de leurs ascendants. Finalement, le versement des pensions de retraite s'inscrit dans une trajectoire de vie complète : de l'enfance où la personne n'a pas encore les moyens de subvenir à ses besoins jusqu'à la vieillesse où elle ne le peut plus. Dans ce mouvement des difficultés surgissent quand il y a rupture de la cyclicité et quand la période (vie dite active) qui porte les extrêmes a tendance à se réduire en proportion : enfance et adolescence qui se prolongent, vieillesse plus longue.

La contrepartie (positive) de la disparition de la clef de répartition des montants de pension par points acquis est bien entendu la disparition simultanée du calcul des cotisations à proportion des revenus : à versement identique pour tous doit correspondre une cotisation unique pour chacun. Cela ne tient évidemment et n'est avantageux pour le plus grand nombre que si l'on consent à établir deux choses indissociables : la limitation (en amont) des revenus et l'abaissement du montant moyen des pensions de retraite. La simplification du calcul des pensions de retraite entraîne une complexité organisationnelle plus grande.

Le système actuel accentue les différences entre les personnes : ceux qui ont eu ce qu'on appelle une belle carrière perçoivent une retraite confortable et, s'ils sont encore alertes et entreprenants, ils continuent à exercer une activité lucrative en faisant jouer leurs relations, leur position sociale, leurs expériences, ... tandis que ceux qui ont eu un parcours sans prestige (aux yeux du monde) se retrouvent avec des pensions modestes voire insuffisantes et n'ont aucune perspective de prolongement d'activité. Il arrive même de plus en plus qu'il leur faille quitter leur emploi avant soixante ans. Ainsi a-t-on constaté que dans certains secteurs, des salariés sont considérés comme en bout de course dès 45 ans, dans la grande distribution par exemple : tous ceux qui n'ont pas atteint une position qui les mette à l'abri du déclassement sont alors menacés de licenciement. Depuis que se posent avec de plus en plus d'acuité les problèmes liés aux trajectoires professionnelles, ceux qui interviennent pour remédier aux accidents de parcours et pour les prévenir, disposent d'une somme de connaissances impressionnante, connaissances à la fois théoriques et pratiques (retour d'expérience des seniors qui ont tenté une reconversion). La culture de la prévention, de la préparation et de l'anticipation est ici, comme dans d'autres domaines, à diffuser largement pour éviter les situations de grande pénibilité ou de désespoir.

C'est à la lumière de ce qui précède qu'il faudrait déjà envisager la question du recul ou non de l'âge légal de départ à la retraite et du nombre minimal d'années de cotisation pour une pension complète : les parcours professionnels des uns offrent des possibilités intéressantes de poursuite ou de reconversion ; les parcours des autres se terminent sans aucun horizon. Il n'est pas question de nier la responsabilité personnelle de chacun dans sa trajectoire. Il s'agit d'attirer l'attention sur ces disparités de traitement qui se prolongent de la fin de la période active jusqu'au dernier souffle. Sans compter qu'avec des revenus d'activité conséquents, les uns se sont constitués un capital et se sont entourés de garanties que les plus mal lotis n'ont pu atteindre.

En bonne logique et à condition d'accepter que la notion de vie active soit définie autrement, nous pourrions avoir dès le premier travail et jusqu'à la disparition de la personne une période unique durant laquelle l'activité serait modulée selon les capacités moyennes de la population, les travaux accomplis et les caractéristiques personnelles de chacun. En moyenne : montée en puissance du temps de travail et des responsabilités s'accompagnant d'essais et de recherches ; alternances de périodes de travail à temps plein ou partiel, de périodes de formation, périodes d'enseignement et de transmission des savoirs acquis ... conduisant normalement à une période de maturité puis à un déclin progressif avec d'éventuelles reconversions. A partir du moment où une personne se trouverait en difficulté pour accomplir un travail ou pour en retrouver, elle bénéficierait d'indemnités suffisantes pour la soutenir. La courbe générale de l'activité d'une personne, en dehors des accidents de parcours, couvrirait une durée plus longue avec une entrée plus précoce et plus progressive dans la vie professionnelle et une sortie plus tardive et également plus progressive. Dans un tel schéma, la baisse et le rééquilibrage des pensions de retraite (après une hausse devenue excessive pour certaines catégories de personnes en 2010) est concevable et l'âge légal de départ à la retraite n'a plus de sens : une personne qui se trouve dans un secteur et un type de métier où la poursuite au delà de 55 ans est difficilement tenable perçoit une pension qui équivaut à une assurance chômage et elle est accompagnée pour une reconversion anticipée ; une autre qui se trouve sur un créneau professionnel où continuer à travailler au-delà de 60 ans ne pose pas de problème particulier peut décider ou bien de s'arrêter ou bien de prolonger mais à un rythme moins soutenu. Il est capital que cette baisse de régime ne soit pas optionnelle : retraite signifie ici quelque chose de plus profond qu'une inactivité forcée, une mise à l'écart du jour au lendemain. Il s'agit d'apprendre à s'effacer, à ne plus être indispensable, à passer le flambeau. De ce point de vue, d'ailleurs, les politiques eux-mêmes ont à montrer l'exemple.

Rééquilibrer les montants de pension priverait les uns du superflu et donnerait aux autres de vivre un temps de retraite moins pénible.

Supprimer la clef de répartition des montants de retraite selon les revenus orientera différemment les carrières et apaisera les relations sociales. Commençons par ce dernier point : les discussions et les tentatives de réforme de nos retraites butent toujours sur les différences de régime. En simplifiant le mode de calcul et en l'harmonisant pour tous, nous éliminons cette pierre d'achoppement. Nous rendons également possible des augmentations de rémunération qui ne mettront pas en péril les caisses de retraite puisqu'elles n'auront plus d'incidence sur le montant des pensions. Nous détendons enfin le climat des négociations salariales : oui aux demandes justifiées par l'insuffisance des rémunérations ; non aux réclamations qui surajoutent en toile de fond la question des pensions de retraite.

Réorienter les carrières est un objectif passionnant pour un enjeu capital : construire une société dans laquelle la recherche d'un revenu toujours plus haut ne soit pas le moteur principal de l'investissement du plus grand nombre, bâtir un monde où l'émulation supplante la compétition et où la coopération soit le plus souvent préférée à l'affrontement. Ne plus indexer les retraites sur les revenus antérieurs de la vie dite active constitue le premier volet de la réorientation que nous appelons de nos voeux. Chacun aura alors la possibilité, dès ses jeunes années, de s'investir davantage dans toutes ces actions peu prisées par le monde et donc mal rémunérées mais qui jouent pourtant un rôle indispensable dans nos sociétés : ne redoutant plus de perdre des points de retraite, les plus généreux ne craindront pas de s'engager dans des voies où la gratuité est incontournable. Objecter que certaines personnes le font déjà en se moquant comme de l'an quarante de ce qu'il adviendra après leur soixantième année ne résout pas le déficit actuel de main d'oeuvre dans tous les secteurs où la question marchande est seconde. Nous avons besoin de personnes qui, libérées du souci de leur retraite, n'hésiteront plus à servir des causes désargentées.

dimanche 9 mai 2010

L'Europe et la France (1ère partie)


Volet de plus en plus important d'un projet présidentiel, la question européenne pour un Etat de l'Union comme la France réclame un long développement qu'il est confortable d'éluder par des slogans : "Sortons de l'Europe", "A bas l'Europe des technocrates et des bureaucrates" ... Ce n'est pas le choix du projet France 2022. Il nous paraît capital, au contraire, d'avancer pas à pas et sans faiblir sur un chemin de coopérations, d'échanges, d'unité et d'ouverture qui respecte la diversité, la souveraineté et l'identité des Etats de l'Union européenne.

En préambule, le projet France2022 affirme que l'Europe sera d'autant plus solide et féconde que la construction européenne ne cherchera pas à dissoudre les Etats. Le principe directeur que suit ce projet présidentiel s'énonce même de façon plus générale : aucune entité ne demeure et ne se développe quand elle anéantit ses constituants. Ainsi faut-il défendre des municipalités solides pour des régions fortes ; des régions puissantes pour un Etat souverain ; des Etats incontournables pour une Europe rayonnante. Sans oublier, bien sûr, des citoyens formés à la liberté, à la vérité, à la justice, à l'unité et à l'amour.

La première partie consacrée à l'Europe et à la France laisse de côté des points essentiels - nous y reviendrons dans d'autres parties - pour se concentrer sur des réformes dont l'actualité récente nous donne la matière : crise financière, plan d'urgence pour la Grèce.

Soulignons d'emblée qu'une oeuvre aussi inédite et originale que la construction européenne n'avait et n'aura jamais aucune chance de se dérouler sans heurts, sans crises, sans oppositions fortes. C'est un chantier de longue haleine et d'une immense complexité qui est un signe de contradiction pour le monde (l'expression n'est pas exagérée). A ce titre, la construction européenne est un combat permanent contre toutes les forces de destruction et de mort toujours actives pour tenter d'anéantir ce qui se construit dans le temps et avec amour. Comme l'Eglise est un signe de contradiction dans l'ordre spirituel (et temporel), l'Europe l'est dans l'ordre temporel (et spirituel). A un monde déchaîné qui voudrait courir à sa perte et entraîner l'univers dans sa chute, la construction européenne oppose une fin de non recevoir. Seulement, il faut aussitôt ajouter que :

1. l'Europe est elle-même traversée, comme toute construction humaine, par des courants suicidaires. La construction européenne n'avancera que si nous sommes capables de rester humbles, attentifs à tout ce qui est bon ailleurs, soucieux de la vérité. La sentence de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg à l'encontre des crucifix dans les écoles italiennes est l'un des signes manifestes que l'Europe est atteinte en son coeur même : certains veulent lui ôter son caractère de signe contradictoire pour le monde ;

2. La construction européenne n'est pas la seule tentative internationale que l'on puisse considérer comme signe de contradiction ;

3. Tout groupe, tout corps intermédiaire, tout Etat, toute personne qui ne se laisse pas gagner par la tentation de détruire pour détruire est un signe de contradiction.

Nous devons garder à l'esprit que le territoire européen, comme tous les autres, a été, au cours des siècles, un champ de batailles où les hommes ont atteint les abysses de l'horreur. Nous devons nous souvenir que la construction européenne a été voulue et portée pour sortir de l'ignominie et ne plus jamais y retourner. Au commencement, c'est une oeuvre de paix, avant d'être une oeuvre en quête de prospérité. Que la construction se soit d'abord inscrite dans des efforts de coopération économique (acier, charbon) n'enlève rien à son orientation essentiellement pacifique.

Qu'on l'admette ou non, la paix ne se maintient et ne se développe que là où règne la justice. L'Europe court un premier risque : susciter des sentiments d'injustice de plus en plus violents. En s'enrichissant alors que le monde alentour s'appauvrit, elle suscite des jalousies que de multiples officines sont promptes à transformer en rancoeurs, en revendications justes ou farfelues, en demandes de réparation, ... De tels sentiments ou même des attitudes franchement hostiles peuvent gagner un pays, des groupes d'individus ou simplement des personnes, y compris à l'intérieur de l'Europe.

Le niveau de vie européen, entendu dans un sens très large : économique, moral, spirituel, ..., ne continuera à croître que dans la mesure où nous saurons être justes. Laisser filer les écarts de revenu ou les déficits et les dettes, ce n'est pas être juste. Laisser libre cours à l'économie souterraine blesse la justice ou la ridiculise. Laisser tant de jeunes sans formation solide et adéquate est non seulement injuste mais suicidaire. Laisser chaque année des médecins assassiner des millions d'enfants avant leur naissance et même rembourser cet assassinat est criminel.

Le projet France2022 recense ici les mesures que la France soutiendra auprès de ses partenaires européens pour qu'ensemble nous parvenions à un développement plus juste, sur nos territoires et au-delà de nos frontières.

La première mesure emblématique concerne la monnaie : nous proposons la suppression des billets de banque en Euro, de tous les billets et pas seulement des billets de 500 Euros. Les pièces sont maintenues pour des transactions de faible montant en attendant que des systèmes plus performants et encore plus fiables que ceux dont nous disposons en 2010 permettent également leur suppression. De tels systèmes existent au Japon (400.000 implantations au commencement de la rédaction de cette première partie du projet France2022 consacrée à l'Europe). Cette mesure demandera du courage et même du courage physique : peu de personnes déclarées ont intérêt à s'y opposer ouvertement, ce serait suspect. Inversement, sa défense met en péril ses avocats. C'est trop clair. En revanche, nombreux, trop nombreux encore sont ceux qui verront d'un mauvais oeil ce coup porté à leurs affaires louches ou criminelles. C'est une mesure à prendre sans tarder, après les vérifications techniques d'usage, sans que ses défenseurs n'aient à se déclarer et à en faire l'article. Pour dissuader ceux qui seraient tentés d'agir violemment contre la suppression des billets de banque en Euro, le déroulement pourrait être le suivant :

1. Décision de la cessation de la fabrication des billets de banque ;

2. Reconversion rapide des capacités de production impliquées dans cette fabrication (par exemple dans la production de documents infalsifiables) ;

3. Cessation de la fabrication des billets ;

4. Retrait définitif des billets après un temps d'adaptation.


A ce volet monétaire concernant l'Euro s'ajoute aussi la création de monnaie de service et d'abondance, révolution monétaire d'une envergure insoupçonnée. 

Pour relancer la construction européenne menacée de toutes parts, la France aura grand intérêt à proposer à ses partenaires européens des chantiers de coopération renforcée dans des domaines prometteurs : si nous voulons une plus grande justice, nous n'avons pas pour autant à négliger ce qui assurera la prospérité des pays européens.

Comme au début de la construction européenne, les questions énergétiques et matérielles sont à placer au coeur du renouvellement de l'élan coopératif. La préparation de la sortie de l'âge du pétrole qui se produira avant l'extinction des réserves selon ce mot célèbre qui traduit bien la réalité historique : "l'âge de pierre ne s'est pas achevé par manque de pierres" constituera certainement le principal moteur des développements à venir. Au moins deux chantiers se dessinent : la production, le transport et la distribution d'électricité abondante (*) dans un réseau très fiable et la fabrication de matières plastiques (plus généralement légères, résistantes et biodégradables) sans recours au pétrole. Quoiqu'en pensent certains écologistes bruyants mais peu crédibles, le développement du nucléaire (carte des réacteurs en France), sa miniaturisation, sa diversification (utilisation d'autres minerais) et l'amélioration de ses performances est la voie la plus prometteuse : les plus sceptiques à cet égard gagneront en confiance en prenant connaissance des perspectives offertes par le RNR de 4ème génération (Réacteur à Neutrons Rapides). Voir aussi la mise au point magistrale de Jean-Marc Jancovici à propos du nucléaire et, notamment, du fossé qui sépare risque constaté et risque perçu : interview sur France cuture du 7 novembre 2019.

(*) Notons aussi qu'un choix résolu en faveur de l'électricité permettra à l'Europe de sortir de ses atermoiements au sujet de l'industrie automobile, l'un de ces fleurons dont la perte entraînerait une accélération du déclin de notre continent.

Cet axe principal (nucléaire) n'exclut pas tous les autres développements énergétiques : chacun a ses avantages propres et concourt, par sa position singulière, à l'édification d'un réseau énergétique plus sûr, plus souple et parfaitement adapté aux besoins de nos sociétés de plus en plus complexes. A l'image de la communauté de l'acier et du charbon, nous aurions la communauté de l'électricité, du nucléaire et des matières plastiques. Ce n'est guère poétique mais qu'importe. 

Développer nos capacités de production (en réalité principalement de conversion, sauf pour le nucléaire qui ajoute une quantité d'énergie par destruction de matière), de transport et de distribution énergétique ne signifie pas qu'il faille réduire ou abandonner les efforts pour diminuer les consommations excessives voire inutiles. Il arrive même que certaines options, étranges de prime abord, aient des conséquences bénéfiques et inattendues : ainsi la suppression de l'éclairage sur certains tronçons d'autoroute en période nocturne diminue-t-elle le nombre et la gravité des accidents.

Pour retrouver un brin de poésie, ajoutons au trio "électricité, nucléaire et matières plastiques", l'Europe des arbres (passion bien française comme en témoigne le succès du livre "La vie secrète des arbres" de Peter Wohlleben, des forêts et du bois et, plus largement encore, de la permaculture. En passant par l'Europe végétale, nous arrivons au chantier du XXIème siècle : connaissance du vivant (peu et mal enseigné en France) et exploitation sainte de ses ressources. Tout un programme.

Axer le renforcement de la coopération européenne sur les seules questions énergétiques et matérielles est insuffisant : beaucoup d'autres domaines méritent que nous agissions ensemble dans un esprit fraternel, soucieux de choisir et d'atteindre la vérité. En formant un corps supranational, nous sommes évidemment confrontés aux questions liées à la défense de ce corps. Les crises actuelles soulignent qu'il est menacé. Dire que la construction européenne est mise en péril par des choix incohérents est une explication facile qui a tendance à se répandre. L'établissement d'une monnaie unique serait l'un des ratés de la construction pour quelques-uns de ses détracteurs. Où l'on voit que la défense à organiser doit couvrir plusieurs terrains. Parmi eux, celui des idées justes et fécondes, celui des principes vitaux et vrais ne sont pas les moindres.

Quand le thermomètre indique que le malade a de la fièvre, il est tentant d'accuser l'instrument de mesure et de le casser "pour ne plus voir". Certains vont même jusqu'à dire que la fièvre était inéluctable ... Une monnaie unique était certes un pari osé et même risqué. Il est possible que l'euro soit un échec. Déclarer que l'euro périclitera nécessairement pour des raisons historique ou économique n'apporte pas davantage de lumière que ce filet de la rubrique astrologique affirmant à celui qui est en train de le lire au volant : "risque d'accident aujourd'hui".

Il est de bon ton d'accuser l'euro de tous les maux : quand son cours est trop élevé, il pénaliserait nos exportations. Quand il chute, nos importations nous coûteraient davantage. Il serait devenu une variable d'ajustement qui jouerait toujours en notre défaveur, laissant au géant américain toute latitude pour creuser ses déficits. Nous prend-on pour des idiots ? L'Allemagne qui a eu longtemps une monnaie forte et qui est désormais sous la loi de l'euro comme nous est-elle dans l'incapacité d'exporter ? Les Etats-Unis dont le dollar a été un moment au plus bas ont-ils réussi à endiguer le flot des produits à bas prix qui inonde leur territoire comme le nôtre ?

On nous dit aussi que ne pas avoir sa monnaie à soi serait se priver de pouvoir en jouer, serait s'interdire de l'utiliser comme instrument de navigation dans l'océan du commerce mondial. Comme si nous n'avions pas mieux à faire que de tricher et de camoufler nos faiblesses par des artifices qui, tôt ou tard, ne cachent plus notre misère. La construction européenne n'est pas là pour entériner des pratiques d'un autre âge mais pour montrer que seul un développement économique sain, qui respecte les hommes et leur environnement, nous conduit à davantage de paix et de prospérité.

Les crises que nous connaissons ne révèlent pas la faiblesse de la construction européenne. Elles signalent qu'une économie nationale qui manque de solidité devient incapable de soutenir la compétition acharnée qui se joue sur la planète terre et au-delà. Nous avons certes le droit et le devoir d'affirmer que cette compétition est absurde mais nous ne pouvons pas faire comme si elle n'existait pas. Quand un pays ne maîtrise plus sa situation financière, ce n'est pas de la faute de l'Europe ou de l'euro, c'est qu'il a été mal conduit, mal géré et mal administré. Ce n'est pas en dévaluant sa monnaie qu'il sortira plus libre, plus prospère et plus paisible. Que la dévaluation ait été une arme commode dans le passé n'en fait pas un bouclier imparable en 2010 : il suffit d'étudier l'évolution des modes de défense territoriale depuis la préhistoire jusqu'à nos jours pour comprendre qu'un système perd de son efficacité au fur et à mesure que les combats changent de nature, d'objet ou de théâtre.

Ce qui est certain, c'est que nous avons encore à travailler pour que les décisions prises au sujet de notre monnaie ne jouent pas en notre défaveur. Dès le point de départ, les membres de la zone euro ont eu le tort d'accepter que l'euro soit placé sur une même échelle que le dollar selon une parité favorable aux pays qui avaient une monnaie forte. Un brin de bon sens aurait suffi pour s'apercevoir et prévoir que des pays comme l'Italie, la Grèce, l'Espagne ou le Portugal dans lesquels le moindre prix s'exprimait en milliers d'unités monétaires locales auraient bien du mal à se défaire de mauvaises habitudes tant il est vrai et surprenant de constater que l'esprit humain raisonne souvent sur des chiffres bruts sans tenir compte des unités. Les fondateurs de la monnaie européenne unique auraient dû, au minimum, choisir une unité de valeur dix fois voire cent fois plus petite que l'actuelle. Cela fait certes moins chic et plus "sous-développé" que les Etats-Unis, la Suisse ou l'Allemagne mais cela permet d'y voir tellement plus clair quand certains marchands trompeurs augmentent leur prix. Les Japonais beaucoup plus malins que nous et qui n'ont pas de complexe déplacé et stérile quant à la valeur de leur monnaie ne s'y trompent pas : ils ont la sagesse de conserver une unité de compte faible.

L'esprit enfantin qui se prolonge bien au-delà de l'adolescence chez bon nombre d'adultes vous soutiendra mordicus que "1 ou 2 euros c'est pareil". Il n'aurait pas cette audace à propos de 10 et 20 ou de 100 et 200. Une telle méprise semble ridicule mais à ne pas tenir compte de la faiblesse de l'esprit humain en certaines circonstances, on en arrive à plonger des peuples entiers dans des situations dramatiques. Ce détail peut paraître anodin mais quand on analyse avec sérieux la hausse des prix de l'immobilier en tenant évidemment compte des multiples facteurs qui entrent en jeu, on ne peut être qu'abasourdi par l'insolence (ou l'habileté ?) des propriétaires et des agences immobilières : habitués à manipuler des grands nombres et dépossédés soudainement de ce plaisir de riche par l'entrée en vigueur de l'euro, ils se sont vite rattrapés en devenant de plus en plus gourmands. La faiblesse de l'offre et la croissance de la demande (de logements et d'emplois) aidant, les prix de vente ont fini par retrouver ou même par dépasser leur niveau numérique brut mais ... dans une monnaie six fois plus forte (en France) ! Il y a fort à parier qu'une telle dérive ne se serait pas produite avec une unité de compte plus petite. Un autre domaine crucial pour la vitalité du pays, celui des salaires, aurait également évoluer plus sainement alors qu'en moins de vingt ans l'écart maximal de revenus (du plus bas au plus haut) a connu au contraire une croissance exponentielle en France : il était de 1 à 40, il est aujourd'hui de 1 à 400.

Un point capital, malheureusement négligé par les disputes économiques trop théoriques, a trait à ce que l'on pourrait qualifier d'études économiques de terrain. Au lieu de raisonner en essayant seulement d'améliorer nos modèles macro économiques, nous devrions tenir compte des rapports déjà en place : combien d'heures de telle profession pour une heure de telle autre ? Quelle production de tel métier pour une production équivalente en valeur monétaire de tel autre ? Il ne faudrait pas longtemps pour s'apercevoir que les écarts n'ont cessé de croître. On ne tarderait pas non plus à comprendre pourquoi les entreprises de petite taille ne peuvent accéder à un niveau plus élevé : le poids des charges qui pèsent sur elles n'a cessé d'augmenter. Contrairement à ce qui est affirmé le plus souvent, ce ne sont pas seulement les charges sociales qui pèsent dans la balance mais toutes ces dépenses invisibles pour le client final, ces dépenses qui font partie du commerce inter-entreprise (B to B, business to business). L'un des postes les plus lourds est occupé par l'équipement informatique, sa mise en place, son paramétrage, ses remises à niveau, ses pannes, ses mises en sécurité, ... mais aussi par de multiples interventions spécialisées pour lesquelles l'entreprise qui doit rester centrée sur son coeur de métier est contrainte de faire appel à des concours externes. Les tarifs pratiqués par les sociétés de services peuvent mettre à genou une entreprise mal gérée ou qui ne sait pas trop où elle va. Certains appellent cela "sélection naturelle" : nous aurions là un mécanisme d'élimination des canards boiteux. Qui ne voit que les corps détruits ne renaissent pas nécessairement ailleurs et que s'ils renaissent ils ne sont pas automatiquement en plus grande forme ? Quand nous apprenons que le Ministère de la Défense, lui-même, a mis en péril des entreprises qui étaient prospères (lingeries pour l'armée) en retardant le paiement des factures, nous avons de quoi être choqués, scandalisés, indignés. Et combien d'entreprises vivant de commandes publiques pourraient témoigner de la difficulté d'obtenir le paiement à temps de leurs services ?

Dans la perte de compétitivité de nos secteurs industriels, on accuse trop vite la masse salariale interne : il faudrait tenir compte du recours massif à la sous-traitance tous azimuts, de toutes ces dépenses parfois utiles mais pas toujours indispensables qui viennent pomper les ressources financières des entreprises. Avec le tonneau des Danaïdes informatique, celui des dépenses de communication occupe une place de choix comme celles de consultant ...

Après le risque majeur de susciter des jalousies externes et internes, l'Europe est menacée par la structure des rapports économiques qui s'est installée peu à peu : quand certaines entreprises se servent royalement sur le dos des autres, le nombre de personnes qui se sentent laissées pour compte grandit et la révolte gronde. Quand la recherche de profits toujours plus élevés et toujours plus immédiats pour les placements de capitaux domine l'économie, comment s'étonner que ceux qui n'ont que leur force de travail à louer soient pris de vertige et se considèrent comme otages d'un système qui se moque des hommes ?

Etudier la structure des rapports économiques est vital pour mieux comprendre où le bât blesse chaque économie nationale et l'économie européenne dans son ensemble. Pouvoir étendre l'étude à un territoire aussi vaste et diversifié que l'Europe apporte des informations indispensables à la prise de décision politique car il ne s'agit pas d'accuser tel ou tel secteur de vivre grassement sur la bête, tel ou tel corps de pomper les autres mais de mieux saisir les forces et les faiblesses de chaque économie nationale : qu'est-ce qui est menacé ? Qu'est-ce qui a des chances de se développer ? Qu'est-ce qui doit être soutenu ? Et aussi, car on l'a oublié : qu'est-ce qui doit être mieux encadré, surveillé et contrôlé ? Dans un environnement où l'économie financière a pris tant d'importance, on peut soit accuser Mamon d'avoir fait main basse sur tout ce qui bouge soit réfléchir un moment ... On notera d'emblée que s'auto-accuser d'avoir laisser Mamon régner c'est armer le bras de tous les groupuscules terroristes qui rêvent d'anéantir ce qu'ils considèrent comme le diable incarné. Si ce n'était pas si dramatique, nous pourrions dire : "pauvres diables !". Comme si les choses étaient si simples et si caricaturales. Comme si l'argent ne semblait pas régner en maître partout, y compris dans les pays qui se targuent de vivre au-dessus des autres en terme de moralité.

Pour faire simple quand même, il suffit de constater que la possibilité d'emprunter avec une relative aisance, la possibilité de disposer de réserves financières sans craindre d'être attaqué au moindre carrefour et la possibilité de mettre en oeuvre des moyens de paiement variés constituent à la fois une chance et un risque : d'un côté, l'activité commerçante (au sens d'achat ou de vente) de tous, particuliers ou entreprises, est d'une grande fluidité ; de l'autre, nous avons tendance à vivre sur des sécurités dont nous ne connaissons pas bien le prix.

En poursuivant la réflexion, on ne tarde pas à comprendre que dans l'édifice qui s'est construit, les banques occupent une place déterminante. Elles deviennent pour cela un bouc émissaire quasi "naturel" en temps de crise. Pourtant, si chacun devait garder ses économies à la maison, si nous devions pour tout achat important nous promener avec l'argent nécessaire, ... l'insécurité que nous connaissons en 2010 ferait figure de paradis ... sans oublier qu'autrefois, les villes fermaient leurs portes pendant la nuit ... Heureuse époque que la nôtre même s'il est vrai que tout n'est pas parfait ! Plus on réfléchit à la complexité de notre monde, plus on découvre la sottise des propositions simplistes et suicidaires, parfois proférées à la cantonna...de, qui s'appuient sur une vision manichéenne de la société.

Occupant une place stratégique, nos banques n'ont pas à devenir des Etats dans l'Etat. Comment en maintenir le rôle indispensable et quasi vital pour nos économies tout en veillant à ce qu'elles restent sous contrôle ? Le projet France2022 prévoit une réorganisation qui place l'ensemble des banques d'un territoire national sous le contrôle d'une banque centrale dont la fonction principale est d'être le passage obligé de toute perception de revenu. Cette contrainte forte constitue le guichet de contrôle des revenus des personnes physiques et des personnes morales. Aucune entrée d'argent ne s'effectue sans passage par la banque centrale. Chaque personne physique et chaque personne morale dispose d'un seul compte (qualifié par la suite de compte de recettes) à la banque centrale crédité de ses recettes et débité par les mouvements créditant les comptes (qualifié par la suite de compte de dépenses) dans les banques non centrales. L'octroi d'un compte de recettes à la banque centrale est simple et définitif, depuis sa création jusqu'à la dissolution de la personne morale ou jusqu'à la disparition de la personne physique de nationalité française ou ayant simplement le statut de citoyen municipal. Nul ne peut perdre ce compte-là, pour quelque motif que ce soit. Par définition, c'est un compte qui n'est jamais débiteur : les débits de distribution vers le ou les comptes de dépenses ne peuvent excéder le montant porté au crédit du compte de recettes.

Il serait intéressant ici de faire le tour des objections possibles à ce type de contrainte. Vue d'un oeil a priori défavorable, elle sera perçue comme un coup porté à la liberté individuelle, à la possibilité de s'enrichir à sa guise pour qui l'entend. Ce n'est pas faux : le projet conteste l'idée qu'en laissant chacun s'emplir les poches, on obtienne une économie saine et solide. Instituer un compte de recettes, c'est préparer le terrain d'une limitation des revenus (au moins en euro voire en monnaie de service et d'abondance). Le cacher serait mentir. Préparer la limitation des revenus ne signifie pas vouloir en faire un impératif absolu : il est certainement préférable qu'elle soit d'abord inaugurée par des personnes généreuses qui en auront compris l'intérêt et accepté l'exigence. Cette nuance devrait éviter d'entendre hurler ou applaudir - sait-on jamais - ceux qui s'imaginent que le projet France2022 cherche à ressusciter en France ou même en Europe les sociétés marxistes de triste mémoire : l'adhésion volontaire surpasse largement la règle assénée avec force effusion de sang, tortures, déportations, goulag ...

Ne perdons pas de vue qu'il s'agit avant tout d'établir un système bancaire contrôlé, qui ne roule pas pour lui-même, qui soit vraiment au service du développement économique et social, qui n'écrase pas les individus ou les corps intermédiaires sous le poids de leurs dettes. Tous ceux qui ont eu à subir les pièges de l'endettement comprendront que la contrainte du compte de recettes est destinée à les protéger d'offres alléchantes qui finissent par les mettre à la merci de taux usuriers : en rassemblant les recettes sur un seul compte à l'abri d'une position débitrice et en assortissant cette contrainte d'un contrôle plus serré des mouvements débiteurs vers les comptes de dépenses, le système bancaire proposé empêchera les agents financiers peu scrupuleux d'étrangler les plus faibles ou les plus malchanceux. Ce sera au banquier imprudent de couvrir les pertes dues à une trop grande prise de risque. Là vous entendrez hurler un groupe d'objecteurs qui vous dira : "Alors les banques, qui ont déjà tendance à serrer la vis dès qu'une crise se profile à l'horizon, vont couper les vannes du crédit ! ". C'est pourtant le contraire qui se produira : quand l'économie sera assainie, il sera moins difficile pour les banques de calculer le risque et de prêter.

Situer ici la proposition du compte de recettes pour tous, personne physique ou morale, dans le premier volet consacré à l'Europe et à la France souligne le fait que, si cette mesure était largement adoptée par les pays de l'Union européenne, son effet serait amplifié. Nous manifesterions que l'Europe entend prendre à bras le corps la question de l'assainissement de ses finances. Sans vouloir jouer les devins, nous pouvons affirmer que là où le rôle des banques sera plus soigneusement encadré et rigoureusement défini se développera une économie plus florissante.