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mardi 27 avril 2010

France 2022 : Dons, pardons et réconciliations


Aucun corps intermédiaire de la nation : famille, association, entreprise, syndicat, ... n'est en mesure de résister longtemps à de trop fortes dissensions. S'il ne trouve lui-même ou avec l'aide d'un tiers comment sortir d'un état de tension qui le mine de l'intérieur, il finira par être détruit ou par s'éloigner gravement de ses missions essentielles. 

La personne humaine, elle-même, quels que soient son statut, son âge, son expérience, ses connaissances a besoin de sortir des conflits qui la dévastent intérieurement. 

Les questions immédiates à traiter sont les suivantes : "Quels sont les rôles de l'Etat français dans la gestion des conflits ? Que fait-il aujourd'hui ? Que pourrait-il faire à l'avenir ?".

En aval, impossible pour l'Etat d'intervenir quand il n'a pas connaissance d'un conflit : il ne peut agir que sur plainte ou sur signalement. Impossible pour l'Etat d'intervenir à tous les niveaux : tant que l'ordre public ou un droit fondamental ne sont pas en cause, il laisse à chaque corps le soin de régler le conflit.

En amont, les différents pouvoirs publics ont la possibilité de prévenir les conflits qui risquent de mal tourner. La multitude des occasions et des situations d'affrontements font de la prévention une tâche qui dépasse largement les capacités d'un Etat surendetté.

La réduction de la dette publique est urgente parce qu'elle mine les efforts de prévention et parce que le service de la dette lui-même - le remboursement des intérêts - creuse chaque jour davantage le déficit du budget annuel. Nous ne sortirons pas de la violence sans la volonté farouche de redresser les finances publiques.

Toute dépense collective qui ne répond pas à un service véritable de la vie de la nation doit être rapidement supprimée ou diminuée. Le remboursement de l'IVG fait partie de ces dépenses. Le supprimer signifie que nous décidons de sortir d'une situation de violence extrême. 

Chaque fois qu'une personne âgée est agressée, chaque fois qu'un père de famille est tué sous les yeux de son enfant, chaque fois qu'une femme est violée, chaque fois même qu'un bien public ou privé est saccagé, nous nous révoltons justement et, dans le même temps, nous laisserions un être, sans défense qui ne demande qu'à vivre, subir la loi d'un plus fort sans réagir ? Aurions-nous perdu la tête ? 

Quand comprendrons-nous que l'assassinat d'un enfant est l'une des racines les plus coriaces de la violence qui se répand de nos jours ? Si celui que nous devrions protéger tous ensemble, au péril même de notre vie, se trouve sans défense comment espérer que n'importe lequel d'entre nous ne soit pas fauché par un acte barbare ?

Il faudra du temps pour renverser un mouvement qui nous a conduits dans une impasse et qui entretient des tensions vives : de nombreuses femmes dévastées par le recours à l'IVG témoignent de plus en plus du non sens de ce choix de mort. 

Il faudra du temps car les promoteurs d'un tel choix ont encore de l'influence dans notre société : ils ne sauraient se dédire sans se renier. A moins de se convertir et d'avoir ainsi l'audace de reconnaître qu'ils se sont trompés, ils se tairont ou continueront à promouvoir ce qui ruine notre pays.

Beaucoup de jeunes, de corps ou d'esprit, ont déjà compris que le choix de la mort nous mène au désastre et à la ruine. Un pays immense comme la Chine mesure chaque jour avec plus d'acuité ce que l'avortement, de surcroît sélectif, génère : une cascade de problèmes pratiquement insolubles.

Chacun d'entre nous, à titre individuel, est confronté au cours de son histoire à la question du pardon. Qu'il ait subi des offenses légères ou graves, son intégrité et sa paix intérieure ne se maintiennent qu'au prix de mouvements généreux envers ceux qui l'ont blessé. Ne dit-on pas qu'un pardon refusé bloque tout progrès spirituel ? Sans aller jusque-là, nous voyons comment l'absence de pardon risque d'envenimer les rapports inter-personnels et les rapports sociaux. Plusieurs situations illustrent comment le refus de pardonner devient générateur de violences latentes ou explicites. Cf. L'ouvrage d'Olivier Clerc : "Le tigre et l'araignée". Cf. aussi : http://www.olivierclerc.com/welcome/index.php?accueil=1

Si un enfant ayant eu à souffrir des sévices de la part de ses parents n'arrive pas à dépasser les blessures qu'ils lui ont infligées, il en gardera une amertume néfaste à sa vie intérieure et par répercussion à ses rapports avec les autres : personnes ayant à exercer une autorité sur lui ou personnes placées sous son autorité, personnes chargées de le protéger, de le conseiller, ... 

Des parents très attentifs et admirables ont du mal à ne pas blesser leur enfant et s'ils exercent soigneusement leur autorité à ne pas être pour lui source de frustrations trop intenses. Le pédiatre Aldo Naouri, cf. http://www.aldonaouri.com/, rappelle que la plupart des parents doivent s'attendre à être haïs un jour ou l'autre par leurs enfants.

Si un conjoint trompé, bafoué, battu, ... par son époux ou son épouse n'arrive pas à pardonner, il se trouve immanquablement pris dans une spirale néfaste voire dangereuse pour lui et pour ses proches. Si un employé est ridiculisé, humilié, maltraité par son patron et qu'il ne pardonne pas, les dommages qu'il aura à subir seront parfois supérieurs aux atteintes dont il peut légitimement se plaindre.

Ces situations ne doivent pas être mal interprétées : il n'est pas question de soutenir une position qui tendrait à minimiser le devoir essentiel de justice. Si un tort a été commis envers une personne, le droit d'icelle le plus élémentaire est d'obtenir réparation par tous les recours possibles. Le pardon intervient en parallèle et de surcroît.

Nous savons cependant que toutes les blessures ne sont pas sanctionnées par un Code et que celles pour lesquelles une action en justice est possible ne se trouvent pas effacées par des amendes, des années de prison ou tout autre sanction. Même si la justice humaine était très performante - ce qu'elle n'est pas en France - chacun d'entre nous garderait toujours des plaies ouvertes et non cicatrisées en ne se montrant pas généreux en matière de pardon.

L'importance extrême du pardon mériterait de plus amples développements. Il ne manque pas d'ouvrages passionnants sur ce sujet auxquels tout lecteur intéressé pourra se reporter. Il faudrait encore souligner ici la place centrale du pardon dans l'état général de la nation. Nous dirons simplement mais cela demanderait d'être étayé (les études du philosophe René Girard sont une source excellente à ce propos) qu'il est aisé de comprendre comment la violence se répand de proche en proche, comment elle gagne la société tout entière après avoir dévasté le coeur de ceux qui ne parviennent plus à pardonner.

En passant du conflit à la blessure, la question demeure : quel rôle pour l'Etat ? Que pouvons-nous espérer d'une action politique bien conduite ? Que faire collectivement pour que les actes de violence ne se multiplient pas et ne s'aggravent pas ?

De prime abord, nous pourrions dire que la question du pardon échappe en partie au politique dans la mesure où beaucoup d'événements lui sont inconnus en raison du caractère privé voire intime de nombreuses situations. Cela montre au passage que nous ne devons pas tout attendre de l'action collective strictement politique. Nous devons aussi remarquer que bon gré mal gré, le politique se trouve confronté aux conséquences de la violence et qu'il lui importe, s'il prend à coeur l'éminence de son rôle, de faire en sorte que la violence soit contenue et qu'elle s'exprime dans des formes qui n'engendrent pas davantage de torts.

En considérant la question avec suffisamment de recul, nous nous apercevons que nul ne peut pardonner s'il n'a fait l'expérience du pardon, s'il n'a pas saisi la libération qu'engendre le pardon reçu. C'est seulement en se considérant soi-même comme débiteur que l'on comprend à quel point il est capital de savoir libérer autrui des dettes qu'il a contractées à notre égard. Il est curieux de constater de quelle façon l'oubli de notre situation de débiteurs - c'est la thèse centrale que nous défendons ici - se rappelle à nous avec une acuité de plus en plus vive : la dette publique de la nation ne serait-elle pas l'indice alarmant de notre pauvreté radicale ? Voir les choses ainsi ne justifie évidemment pas qu'il faille laisser pourrir le déséquilibre actuel.

Comment un projet présidentiel pour une France réconciliée, plus juste et plus vivante parviendra-t-il à inverser la tendance qui s'est installée peu à peu, sans que nous en prenions conscience au départ et avant que nous soyons conduits dans une impasse redoutable ? 

En remontant encore le fil de la miséricorde, nous découvrons que chacun prend pleinement conscience de sa condition de débiteur à partir du moment où il comprend que toutes ses possessions ne sont guère en rapport avec ses mérites : tout ce dont il a la jouissance provient d'un don radical, la vie reçue de Dieu par ses parents, et d'une série d'autres dons qu'il aura, dans le meilleur des cas, eu la volonté de faire fructifier. Il reste que sans l'apport de ces dons, il ne pourrait se prévaloir de rien.

La vraie mesure des dons reçus permet de comprendre comment certains d'entre nous choisissent de consacrer beaucoup de temps à la prière. L'offrande de la prière monastique en devient beaucoup plus claire, beaucoup plus lisible : celui ou celle qui s'adonne au combat de la prière estime, à juste titre, que le temps dont il ou elle dispose est un don. Passer du temps en prière devient alors l'occasion toute simple de rendre à Dieu ce qui Lui appartient, de Lui offrir en retour ce qu'Il a donné. Affirmation qui sonne comme un démenti cinglant pour tous ceux qui ne voient dans le temps reçu qu'un moyen de s'enrichir, c'est-à-dire, au bout du compte, de s'approprier des richesses indues.

Que le citoyen accède par grâce au Donateur, dispensateur des dons, ou qu'il y renonce pour mille et une raisons, le fait demeure : sans apports extérieurs, il n'est rien. Il conviendrait qu'une phrase comme : "Moi, vous comprenez, je me suis fait tout seul ... Je ne dois rien personne ..." nous paraisse toujours aussi tragique que ridicule. 

Notre statut d'être vivant, redevable en tous points d'un Autre (si on l'accepte) et des autres (qu'on le veuille ou non) est trop clair pour que nous n'ayons pas à l'argumenter. Ce qui suit n'est pas une liste d'arguments. Ce serait affaiblir l'évidence. Il s'agit plutôt d'un relevé de redevances à considérer comme autant de points de départ pour celui qui aime réfléchir en marchant et gagner ainsi des sommets lui offrant de nouvelles perspectives.

Nous avons tous reçu le don de la vie. Qu'il nous arrive parfois de ne pas l'apprécier et de nous dire : "Quel cadeau empoisonné !" parce que nous souffrons le martyre ou parce que nous nous remémorons des périodes noires de notre existence, le fait demeure de notre naissance à notre mort : nous sommes redevables du don de la vie. Quelle que soit la façon de traduire les modalités de ce don : don de l'existence, don de l'être, don de la présence, don d'agir, don de sentir, ... nous ne serions pas visibles sans ce don, nous ne pourrions pas vivre sans lui, grandir et tomber, apprendre et penser, ... 

L'oubli de ce don de la vie a des conséquences non négligeables. Inutile de chercher longtemps pour comprendre que le refus de donner la vie plonge ses racines dans une blessure si profonde que son enfouissement la rend difficile à identifier, à soigner et à guérir. Là encore, il suffit aujourd'hui de tendre la main pour trouver d'excellentes études en français qui portent sur ce thème. (Voir la fondation de Bethasda et les livres de Simone Pacot par exemple).

mardi 6 avril 2010

France 2022 : La question du travail humain


En préambule : "Travailler dur apporte-t-il le succès ? "
Enseignement de Sadhguru - Vidéo de 6 minutes environ.

Vaste sujet dont le traitement par un projet présidentiel réclame beaucoup d'attentions : la réussite dans ce domaine conditionne une bonne partie de l'avenir de la nation. Les slogans, les incantations, la démagogie ou la faiblesse de l'analyse ne font qu'aggraver les problèmes.

Voici, sans ordre particulier, les constats sur lesquels se fondent l'analyse et les propositions du projet France2022 : taux de chômage élevé depuis de nombreuses années en France ; entrée des jeunes trop tardive sur le marché de l'emploi ; sortie trop précoce des seniors (mais pas de tous) ; inégalités de salaire proprement injustes ; instabilité des emplois ; distribution inadéquate des emplois publics ; inadéquation des offres et des demandes d'emplois ; déconsidération du travail humain et dévalorisation dramatique des métiers concrets ; ...

Si le chômage ne résultait que des seuls progrès de la mécanisation et de l'automatisation des travaux de telle sorte que l'on pourrait dire : "Les machines étant plus performantes que l'homme dans de nombreux domaines, nous produisons au XXIème siècle de grandes quantités de biens et de services sans qu'il faille recourir à une main d'oeuvre abondante", nous aurions simplement, du moins en apparence, à répartir la propriété de l'outil de travail et les fruits produits. Nous constatons cependant que, dans le domaine des services à la personne en France, nous manquons de bras et que dans tous les pays, y compris chez nous, de nombreuses personnes vivent dans la misère ou la précarité.

Une première réponse consiste à indexer la part dédiée aux services à la personne sur les revenus des autres activités : un pourcentage des richesses produites ou détenues est affecté aux dépenses de santé, d'éducation, de sécurité .... C'est ce que nous faisons aujourd'hui en France avec quelques succès mais en rencontrant aussi des difficultés connues de tous : le revenu des autres activités tend à stagner et la production nationale ne suffit plus, ni directement ni indirectement par échanges commerciaux, à couvrir les besoins de la population.

Une autre réponse, celle que préconise le projet France 2022, consiste à sortir partiellement de l'équation économique par une double considération à l'allure paradoxale : "Tout travail mérite salaire" / "De nombreux services à la personne font appel au don gratuit de son temps, de sa personne et parfois même de sa vie" (comme en témoigne le 7 avril 2010 l'explosion dans une usine de Gennevilliers). C'est un premier éclairage à développer et à compléter. 

"Autre réponse" ne signifie pas qu'il faille abandonner totalement l'indexation mais que cette dernière ne peut répondre à la totalité des besoins. En sortant de l'indexation totale, on dissout - encore faut-il préciser comment - l'obsession de la croissance : il n'est pas vrai que notre seule planche de salut soit l'obtention d'une croissance plus forte même si, hélas, le montant de notre dette publique et la quasi impossibilité de la résorber rapidement par une relance de l'inflation semblent commander d'accomplir le maximum pour que notre croissance soit élevée.

Notons au passage que les difficultés de trésorerie de la nation française ont conduit certains analystes à proposer une sortie de crise par une taxation raisonnable du patrimoine avec suppression de l'ISF afin de contrer et de réduire les positions de rente qui sont un frein au développement des activités économiques et à l'accroissement des revenus du travail. Cf. à ce propos un livre publié en 2014 : "L'horreur fiscale" d'Irène Inchauspé et Sylvie Hattemer.

Avant de développer le point précédent, nous préférons élargir le champ d'investigation afin de donner une vue plus complète de ce qui est envisagé dans le projet France 2022. La réduction des inégalités de rémunération nous paraît être un point central à ne jamais négliger quoiqu'il puisse en coûter à ceux qui estiment qu'ils perçoivent aujourd'hui le minimum auquel ils sont en droit de prétendre, eu égard aux sacrifices divers qu'ils ont consentis ou consentent encore, en raison de leur valeur exceptionnelle, au motif qu'ils assument des responsabilités de haut vol, ... Nous contestons cette façon de voir car tout travail humain, quelles que soient les qualifications requises pour son exercice, comporte une part d'impondérable qui n'a pas de prix. Même le travail le plus humble a une valeur inestimable. Nous savons que ceux qui défendent des rémunérations exceptionnelles ne manquent pas d'arguments pour justifier leur statut hors du commun. Les examiner un à un montrera qu'il n'en est pas un qui résiste à un angle "d'attaque" bien choisi. Prenons par exemple le "problème" des sportifs de très haut niveau dont la cote atteint des sommets. L'excellence de leurs prestations, leur aura, la brièveté de leur carrière, les risques physiques qu'ils prennent, leur entraînement surhumain, leurs qualités admirables ... semblent donner raison à tous ceux qui sont prêts à leur accorder des monceaux d'or. Nous pensons au contraire qu'il y a là une dérive à remettre en cause. François Jauffret, comparant la situation actuelle à celle qu'il a connue quand il était au plus haut niveau tennistique, rappelle que son salaire d'ingénieur commercial était supérieur à ses gains de jeu et que ces derniers furent environ mille fois inférieurs à ceux des plus grands champions de nos jours. Il est évident que les données ont changé : multiplication des compétitions, nécessité pour un joueur de s'entourer d'une équipe pluridisciplinaire de haut niveau, obligation de s'entraîner de façon très intensive et permanente, médiatisation mondiale des rencontres, ... Cela ne nous paraît pas justifier un tel écart de rémunération à trois ou quatre décennies d'intervalle. Concernant l'exemple du tennis, il est clair que le changement ne résultera pas d'une décision unilatérale d'un pays isolé. La France s'honorerait, pour d'excellentes raisons éthiques, en mettant les pieds dans le plat. Pourquoi ne pas proposer que dans les grandes compétitions, les gains soient moins élevés et plus équitablement répartis entre ceux qui atteignent les quarts de finale ? Pourquoi ne pas tenter d'obtenir que, désormais, les cinq premiers athlètes arrivés en tête lors d'un événement sportif montent sur un podium à cinq marches ? Cela ne ternirait nullement l'éclat du vainqueur et cela aurait finalement beaucoup plus d'allure. Cette nouvelle donne aurait l'avantage supplémentaire de récompenser ceux qui, malgré un entraînement sérieux, honnête et méritoire, n'ont pas réussi à atteindre le sommet mais l'ont néanmoins approché de près. Une façon d'encourager les sportifs qui refusent d'avoir recours à des pratiques dangereuses et illicites, dont le dopage ou pire encore, ... d'encourager ces sportifs à persévérer sur un chemin où les seuls alliés de l'athlète sont la vertu, le courage, la persévérance et la patience.

Nous ne sommes pas assez naïfs pour croire que ce qui précède résoudra tous les problèmes : pour certains sportifs, seule compte la première place - "si tu es deuxième, tu n'es rien" et la multiplication des récompenses, comme dans le Tour de France (meilleur grimpeur, classement par points) n'endigue pas la tentation de se doper.

Deux sujets viennent d'être abordés : la question du don de soi et le problème des inégalités criantes de rémunération. Ces deux points appellent d'amples développements que nous reportons pour augmenter l'angle de vue.

Nombreux sont aujourd'hui les travailleurs menacés par les progrès de l'automatisation mais aussi par la concurrence des pays où les facteurs de production, tels les salaires, sont nettement moins élevés qu'en France. Le fait que cette concurrence soit provisoire en raison de l'élévation progressive du niveau de vie dans ces pays ne doit pas nous endormir : une fois qu'une activité a été délocalisée, elle entraîne avec elle des travaux en amont - dont le secteur vital de la recherche par exemple - et des travaux en aval. Une fois qu'une filière a quitté un territoire, il est illusoire d'y espérer son retour même s'il est vrai que l'on observe parfois des mouvements contraires, soit en l'état soit après des mutations technologiques, soit encore à la faveur d'une redéfinition des objectifs commerciaux (l'histoire de l'horlogerie suisse est une bonne illustration de ce genre de phénomène) ; même s'il est exact que certaines délocalisations n'entraînent pas nécessairement le départ de tout l'amont (la conception et le marketing par exemple) et de tout l'aval (la distribution par exemple). Les délocalisations nous privent d'emplois et ont un autre inconvénient majeur que nous ne devons pas oublier : en resserrant l'éventail des métiers courants sur notre territoire, en diminuant le nombre d'acteurs économiques, elles provoquent par répercussion la fragilisation des entreprises. Chacun d'entre nous sait qu'un nombre significatif de faillites est dû aux défaillances de paiement imprévisibles de clients. Ce phénomène est mécaniquement accentué par la diminution des agents économiques : quand votre activité intéresse moins de clients potentiels dans le tissu inter-entreprises (le B to B), la défaillance d'un seul client peut entraîner votre perte. Si nous ne résistons pas, les générations à venir seront privées d'une large part d'autonomie et de liberté. Une réponse immédiate risque de fuser : "Cette résistance est à intégrer à notre stratégie économique. Quel rapport a-t-elle avec une interrogation sur le travail humain ?". Le projet France2022 part du principe que des considérations économiques seules (compétitivité, viabilité, pérennité, ...) ou même stratégiques pures (sécurité, liberté, ... ) ne suffisent pas à établir le choix des branches à réduire ou à maintenir sur le territoire de la France : une approche éthique et philosophique éclaire l'intelligence et la volonté des décideurs sur tous les chemins étroits où l'erreur risque d'être fatale. En ce qui concerne l'avenir du travail en France, nous sommes bien sur une ligne de crête. Nous pourrions nous demander : "Pourquoi avons-nous laissé les délocalisations à grande échelle se produire ? Est-ce seulement pour des raisons de coût ?". Certainement pas. Nous avons, à tort ou à raison, estimé que certains métiers méritaient moins que d'autres notre considération. Nous avons, de manière plus ou moins explicite, de façon plus ou moins consciente, accordé une supériorité aux activités en apparence non répétitives et à dominantes abstraites. Nous avons établi une hiérarchie entre les métiers et nous avons choisi de retenir ce qui nous a semblé occuper le haut du panier. En ne considérant plus le travail seulement de l'extérieur, dans ses manifestations sensibles, mais en tenant compte de sa valeur intégrale, nous sommes capables de renverser cette hiérarchie et d'aborder le problème du chômage, les sujets de l'éducation et de l'orientation, avec un oeil neuf.

D'une manière générale, le regard que nous portons globalement sur le travail mérite réflexion et nous avons aussi à tenir compte des aspects sociologiques, notamment de l'évolution du travail des hommes et des femmes.

L'époque contemporaine en ce début de XXIème siècle est encore prisonnière de conceptions très anciennes. L'une d'elles fait du travail une punition ou même un châtiment (tripalium). Le réflexe de tous ceux qui sont profondément influencés par cette conception est naturel et compréhensible : éviter de toutes ses forces d'être comptés parmi les galériens ; considérer ces pauvres bougres de haut et s'essayer à toutes les combines permettant de ne pas leur ressembler, combines que l'imagination fertile de l'homme ne cesse d'inventer. Devenir marchand de drogues, ce n'est pas seulement vouloir gagner beaucoup en peu de temps, c'est aussi penser pouvoir échapper à la condition prétendument misérable de ceux qui exercent un métier au grand jour et qui sont payés au lance pierre.

En ajoutant à ce qui précède d'autres considérations qui établissent une hiérarchie parmi les galériens, nous aurons un tableau plus noir et plus complet d'une situation dans laquelle le travail humain semble avoir totalement perdu et sa dignité et ses fonctions essentielles pour revêtir les oripeaux les plus laids et les plus repoussants.

Quels sont les projets présidentiels (pour 2012 puis pour 2017 et enfin) pour 2022 qui oseront dépasser les clivages superficiels et les vaines querelles politiciennes pour redonner au travail humain ses lettres de noblesse ? Pour affirmer que la privation d'un travail digne est la source de maux très graves et très profonds, de ceux qu'une analyse hâtive ne parvient pas à recenser ? Celui qui est protégé par une indemnité alors qu'il est au chômage est certes mis à l'abri d'une misère extrême mais il est privé d'une pierre de fondation et reste menacé de ruine. Les demeures les plus solides ne résistent pas aux séismes dont les répliques se prolongent. Notre maison France, elle-même, n'est pas à l'abri de secousses dévastatrices.

Au risque de rester encore un moment sur sa faim quant aux prolongements à donner à chaque point évoqué jusqu'ici, nous ne pouvons pas laisser de côté une autre question tout à fait cruciale : les inégalités très grandes des parcours professionnels qui donnent aux uns d'avoir la possibilité de rester en activité quasiment jusqu'à leur dernier souffle et aux autres de quitter le monde du travail par une porte dérobée ouvrant sur un espace fantomatique.

On aura beau dire que c'est à chacun de se prendre en main, on aura beau invoquer mille autres raisons pertinentes, la cruauté de certaines destinées a de quoi alimenter la réflexion de tous ceux qui estiment préférable de ne pas se résigner à cette casse absurde et urgent d'offrir au plus grand nombre la joie de porter des fruits savoureux jusque dans leur extrême vieillesse.

L'idéal serait que chaque citoyen puisse reprendre à son compte, sans aucune espèce d'amertume, de fierté ou de férocité, ce mot d'Antoine Bernheim : "Je suis comme une cuisinière qui a été renvoyée mais le plus curieux, c'est qu'à 86 ans, j'ai encore cinq ou six offres d'emploi". (cf. "Antoine Bernheim, le parrain du capitalisme français" de Pierre Gasquet).