TRANSLATE

samedi 7 mars 2020

France2022 : Energie, éthique et création de monnaie


Suite des tribunes : 




1. L'analyse des productions françaises comme des productions de pays dits "avancés" met à jour un retour massif de l'esclavage : ce qui engendre des corvées ou des pollutions dangereuses n'est plus fabriqué en métropole mais sur des territoires où les personnes et les éco-systèmes sont beaucoup moins protégés par la loi (au sens large : dispositions juridiques, règlements dûment appliqués, traités respectés et coutumes) à tous points de vue : économique, sanitaire, qualité de vie, accidents du travail, assurances, salaires ...

2. Ce système d'esclavage est entretenu par l'émission d'une monnaie (dollar ou euro notamment) dont le taux de change est maintenu à un niveau qui permet d'importer à bon compte : le coût d'innombrables produits est ridiculement bas pour les importateurs laissant ainsi de belles marges de manoeuvre et de gain à toute la chaîne en aval de la production, c'est-à-dire à tous les intermédiaires jusqu'au client final qui, lui aussi, bénéficie de prix sans concurrence locale.

3. Ce système d'esclavage est renforcé par des capacités de productions à très grande échelle dans les pays importateurs qui s'appuient sur la possibilité de s'approvisionner à bon compte en énergie d'origine principalement fossile. "Nos" pays laissent ainsi des groupes gigantesques inonder les marchés locaux des zones où sévit l'esclavage avec des produits bas de gamme qui viennent directement concurrencer les petits producteurs locaux, contribuant ainsi à détruire des pans entiers de l'économie de ces zones, notamment dans le domaine agricole. 

4. Dénoncer à cor et à cri l'imbroglio planétaire qui tente de voiler la part sombre des réseaux économiques modernes ne suffit pas : trop de monde tire partie, à court terme, d'une désorganisation permettant aux uns d'accroître leur avoir et leur bien être au détriment de tant d'autres qui n'ont pas voix au chapitre. A court terme puisque cette désorganisation est fondée à la fois sur un gisement de ressources qui s'amenuise à la vitesse grand V (ajout de mars de 2022 : sur de fortes intrications géopolitiques qui engendrent des zones de vulnérabilité potentielle à la merci du moindre conflit comme nous le rappelle le différend entre l'Ukraine et la Russie) et sur la destruction massive des ressorts du vivant : biodiversité, sol vivant, forêts primaires, faune sauvage, cycles fondamentaux ...

5. Nous sortirons de l'enfer qui s'installe ici et là, qui se profile à l'horizon par une analyse rigoureuse des conditions dans lesquelles sont produits les biens que nous consommons et par inversion des processus qui tendent à réduire le potentiel des systèmes régénératifs. L'une des clefs du succès réside dans le dévoilement des pratiques culturales beaucoup trop gourmandes en apports exogènes, notamment d'origine fossiles. C'est en effet sous l'angle énergétique qu'apparaissent clairement les racines des maux contemporains et, plus largement encore, à la lumière du prisme import/export : toute production qui s'éloigne par trop du principe fondamental de la permaculture "à processus local, ressource locale" est menacée d'extinction.

6. Pour le dire en bref : créer une monnaie nationale de service et d'abondance revient à favoriser l'émergence de pratiques culturales, et plus largement productives, beaucoup plus respectueuses des lois du vivant et, par suite, à engendrer la mise en place de processus industriels qui ne souillent plus la planète et qui n'épuisent pas le capital des ressources non renouvelables. Enfin, point le plus important, cette création de monnaie vise à établir des organisations sociales qui limitent drastiquement les velléités d'exploitation esclavagiste tout en permettant à chacun de développer son génie propre au service du bien commun, non par contrainte dictatoriale ou par mesure disciplinaire d'un autre âge mais par émulation et entraînement joyeux.

7. Il ne s'agit pas en effet de prétendre instituer des sociétés sans défaut qui feraient abstraction des faiblesses humaines. Il s'agit d'encourager les initiatives prometteuses déjà à l'oeuvre en de multiples endroits de la planète Terre et d'en susciter des nouvelles qui prennent modèle sur les mécanismes naturels afin d'enrayer l'effondrement en cours et de relever les immenses défis qui se dressent à nos portes. 

8. Certaines approches, telle la permaculture, nous offrent des pistes à explorer sans tarder, tant que nous disposons encore de réserves d'énergies fossiles abondantes, non seulement pour engager les transitions les plus urgentes mais encore pour préserver le capital encore disponible : rien ne dit que nous puissions aisément nous passer de pétrole, de gaz et de charbon dans les décennies à venir. En revanche, il est des secteurs où décarboner l'économie est possible dès maintenant. L'agriculture est l'un des domaines où le renversement des procédés trop gourmands en énergie est prometteur. Sortir des modèles fortement déficitaires est à notre portée pourvu que nous acceptions d'abandonner les pratiques contre-productives : dégradation des sols, lutte contre le vivant, épandage de poisons, déforestation, suppression des haies, monocultures, irrigation à outrance, abus d'engrais minéraux ...

9. Créer une monnaie nationale de service, c'est favoriser le retour à l'échelon local de ce qui s'est beaucoup trop dispersé à la faveur des mannes d'origine fossile : rendant possible le transport de masses énormes à très longues distances pour des coûts dérisoires, elles ont entraîné l'émiettement des chaînes de valeur industrielle et fait tendre des pans économiques vitaux vers ce modèle émietté si vulnérable aux divers aléas (conflits, incidents de tous ordres, ...) et facteur de dégradation, d'entropie et de désordre à grande échelle.

10. Ce qui vient d'être rappelé méritait d'être signalé : les phénomènes que nous pouvons observer, les nuisances dont ils sont les causes, ... ne résultent pas tant de mauvaises intentions chez des coupables qu'il faudrait à tout prix identifier, dénoncer et condamner mais sont la conséquence de systèmes reposant sur un capital d'énergies d'une densité exceptionnelle et d'un usage très pratique. Il suffit de songer par exemple aux facilités qu'offrent les carburants liquides : grande autonomie, réapprovisionnement très rapide, faible masse ... pour comprendre qu'une manne pareille aiguise les appétits et donne de multiples occasions de s'en servir.

11. A trop vouloir dénoncer tel ou tel acteur, on oublie trop souvent de s'inclure parmi les fautifs : chacun de nous, certes à des degrés divers, nous profitons d'une organisation "fossile" que nous pouvons être tentés d'accuser de tous les maux mais que nous serons dans l'obligation de regretter le jour où, faute d'avoir su préparer sa succession, nous prendrons conscience qu'elle était d'un luxe incroyable. Plutôt que de perdre du temps à critiquer, à dénoncer, à vouer aux gémonies, ... consacrons notre ardeur, notre imagination et nos efforts à concevoir, organiser, mettre en oeuvre de nouveaux modèles de production et de distribution.

12. Nous savons que c'est possible pour la production de nourriture, l'un des domaines les plus menacés par les crises annoncées ; l'un des domaines critiques par excellence : la plupart des combats fratricides ont démarré à la suite de disettes ou de famines.

13. Il est un autre domaine vital où nous avons intérêt à revoir de fond en comble nos façons de procéder : le domaine médical. Comme pour l'agriculture, nous avons cédé à la tentation de nous appuyer sur la sophistication et les méthodes brutales pour remédier aux crises sanitaires. Pour soigner, nous en sommes venus à développer un arsenal de mort qui se retourne aujourd'hui contre les plus vulnérables : les êtres en gestation, les enfants, les personnes handicapées et les personnes âgées.

14. L'arsenal de mort procède en deux temps : multiplication des problèmes de santé par l'instauration de modes de vie néfastes pour les corps et les esprits humains ; remédiation inadéquate aux problèmes ainsi générés.

15. La remédiation inadéquate se résume aux traitements hâtifs et en urgence des symptômes sans étude approfondie des causes et sans tentative de remise en cause de ce qui a favorisé l'émergence de ces symptômes. Soit, au bout du compte, une attitude proche de celle qui a trop souvent cours dans le monde agricole : mauvaises pratiques culturales suivie de remédiations destructrices voire dangereuses.

16. Toute création de monnaie de service et d'abondance serait vaine si elle ne visait pas à restaurer, compléter, amender, développer, ... nos pratiques culturales et médicales, notamment en ouvrant largement l'éventail des recherches et des mises en oeuvre prometteuses, non pas fondées sur des lubies mais sur des systèmes bien étayés aux plans théoriques et pratiques.

17. Toute création de monnaie de service et d'abondance serait également vaine si elle ne contribuait pas puissamment à la phase cruciale que nous vivons en ce moment : transition énergétique et transition écologique, soit deux transitions intimement liées.

A suivre ...

Aucun commentaire: