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vendredi 20 mars 2020

France2022 : Nos chers voisins


1. Territoire admirablement placé sur le globe terrestre, la France est voisine de plusieurs pays que j'ai intérêt à mieux connaître, débarrassé d'a priori douteux, dépourvu de préjugés et tout à fait curieux de la singularité de chacun. C'est un long travail : j'aurai à me dépouiller de ce qui encombre l'espace d'une vraie connaissance amoureuse ; il me faudra abandonner toutes ces idées reçues qui voilent les trésors à deux pas de chez nous, juste à nos portes. Au fil de cette exploration, je fortifierai les principes d'une mise en musique qui ne s'en tient pas aux seules données immédiates puisqu'elle va au-delà des notes tout en respectant avec soin ce qu'elles indiquent. Pour aller plus loin : interview de Sergiu Celibidache à propos de la direction d'orchestre et, notamment, du tempo.

2. Dans cet enregistrement, il est aussi question d'unité, de respiration, d'amplitude ... Une façon d'inviter notre regard et notre écoute à dépasser la matérialité sans âme pour accéder à ce qui transcende les perceptions, pour entrer en résonance avec des mondes plus subtils. Si je regarde l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie,  le Royaume Uni ..., la Roumanie, ... sans chercher à voir au-delà des impressions ordinaires ou convenues, je ne pourrai pas comprendre la place, le rôle, la mission de chacun de nos voisins, proches ou plus lointains. Je resterai sur le seuil d'une connaissance capable de me transporter bien au-delà de mon petit pré carré. Pour aller plus loin : interprétation du concerto en sol de Ravel pour piano et orchestre par Arturo Benedetti Michelangeli et Sergiu Celibidache (début à la minute 6:30).

3. Ainsi voyons-nous ces analystes pressés d'en découdre avec l'Allemagne s'imaginer qu'elle ferait la pluie et le beau temps en Europe. S'il est vrai que sa consommation de charbon est problématique, n'allons pas trop vite en déduire que notre voisin de l'est serait seul responsable du climat délétère qui sévit sur le continent. Plusieurs de nos dirigeants ont manqué de courage et d'aplomb pour lui faire entendre raison.

4. Avant même de prétendre recadrer l'Allemagne, encore faudrait-il s'entendre pour définir un horizon commun vraiment nettoyé du malthusianisme de bazar à l'origine des atermoiements d'une Europe devenue frileuse ; un horizon que n'assombriraient plus les peurs à l'égard de la puissance du nucléaire. Du haut de notre superbe, nous pourrions les juger infantiles alors que nous ferions mieux d'en comprendre les ressorts. Pourquoi les Allemands ont-ils eu si peur de l'atome, au point d'être l'un des rares pays de très haute technologie à être aussi en retard, aussi peu équipé en centrales nucléaires ?

5. Pour quelles raisons non attribuables à la seule peur, les Allemands n'ont-ils pas massivement investi dans le nucléaire ? Si nous ne cherchons pas à répondre honnêtement, complètement, en toute connaissance de cause, nous n'arriverons pas à élucider ce mystère. Plus grave : nous n'arriverons pas à sortir l'Europe de l'enlisement. C'est dire l'importance de cette question, en dépit de toutes les dénégations qui ne manquent pas de fleurir ici et là. Oui, le nucléaire est en panne en France et en Europe tandis que la Chine tente de s'imposer dans ce domaine parce que nous n'avons pas su associer l'Allemagne à l'un des grands défis de notre temps et parce qu'elle-même n'a pas souhaité contribuer aux efforts requis pour donner à l'Europe tout entière une position de leader dans la transition énergétique. Transition qui impacte l'ensemble de la société à des degrés si élevés que nous perdons un temps fou à reporter les transformations qu'elle suppose et qu'elle engendrera : ne pas s'interroger dès maintenant, ne pas échafauder des plans aujourd'hui, ne pas prévoir les mises en cause à venir, c'est prendre le risque d'avoir à réagir dans l'urgence et la précipitation à une cascade de phénomènes qui dépasseront nos capacités et notre entendement.

6. Ce qui est aujourd'hui en cause, ce n'est pas tant que l'Allemagne et d'autres à sa suite, plus ou moins contrainte, se soient engagés sur les voies d'un libéralisme destructeur, c'est quelque-chose de plus profond, de viscéral : héritiers de tribus guerrières, les Allemands sont restés très attachés aux industries des métaux. Se lancer dans la construction d'éoliennes géantes (*) au rendement plus que douteux et bien incapables d'assurer une base stable au mix énergétique, c'était encore se cramponner aux forges, à l'acier et à la maîtrise de tous les processus qui rendent possibles les miracles de la métallurgie.

(*) Ces éoliennes dont nos amis danois reviennent après avoir sur-investi dans cette voie qui les contraint à brader leur surplus et à payer au prix fort leurs déficits de production ... 

7. Les miracles de la métallurgie n'ont pas que des avantages. Ils ont le triste privilège d'accentuer les tensions sur tous les approvisionnements en matériaux de plus en plus rares, non seulement en valeur absolue mais, plus encore, rapportés au nombre de consommateurs. Au lieu d'essayer de sortir de ce modèle où le nombre porté au dénominateur - le nombre d'habitants sur terre - inquiète les esprits pusillanimes et calculateurs, toute philosophie d'inspiration malthusienne se crispe sur des savoir faire que nous allons devoir dépasser sans tarder.

8. Si je ne comprends pas cet attachement de l'Allemagne aux matières premières, je suis incapable de saisir la raison d'être de son attitude à l'égard de la monnaie-argent. Je la taxe trop vite d'égoïsme, de nationalisme, d'indifférence à l'égard de ses partenaires européens, de matérialisme ... et je passe à côté d'un levier qui se trouve pourtant à portée de main. Réussir à s'en saisir nécessite de dépasser le concept de monnaie-argent pour entrer dans le champ large des monnaies de service qui n'ont pas pour objectif de nous mettre en position de force dans les jeux géopolitiques de l'offre et de la demande de matières premières et d'énergies fossiles mais qui sont destinées à étayer la multitude des relations de service que toute société complexe est tenu de développer pour rester en équilibre dynamique. Voir à ce sujet : création d'une monnaie de service et d'abondance.

9. Ceux qui prétendent que la zone euro va imploser oublient l'attachement des Allemands à cette nouvelle monnaie très avantageuse pour eux : assez forte pour importer des matières premières à bon compte et pas trop forte afin d'être en mesure d'exporter dans le monde entier, sans souci monétaire excessif, des produits résultant de processus industriels complexes. Sans l'euro, l'Allemagne n'aurait jamais atteint des sommets d'excédent commercial.

10. D'un peuple aussi rigoureux et précis, tenant parole et honorant ses engagements, on dira qu'il est "allemand". Ainsi dit-on des Irakiens qu'ils sont les Allemands du Moyen-Orient, bien loin du cliché d'un Orient désinvolte qui se moquerait de l'heure, d'autrui et des contraintes temporelles comme de l'an quarante.

Interlude : requiem de Mozart comme vous ne l'avez jamais entendu, sous la houlette de Sergiu Celibidache à la tête de l'orchestre philharmonique de Munich en février 1995Des tempi ciselés pour une plénitude sonore au service d'un tout dont chaque fragment est parfaitement ajusté à l'ensemble ... Pour les passionnés, des extraits de répétition de ce requiem sont également disponibles sur la Toile.

11. Quittons quelques instants l'Allemagne pour entrer en Italie ... même en cette période de confinement ... L'Italie du Nord, proche de l'Allemagne, a suivi, peu ou prou, le modèle allemand en misant fortement sur l'industrie automobile. Pari judicieux et intéressant lorsque les hydrocaurbures étaient abondants et à prix défiant toute concurrence ; pari de plus en plus risqué dès lors que le pic de production mondiale d'énergies fossiles, hors sables bitumineux et gaz de schiste, a été dépassé (entre 2000 et 2010).

12. Sur ce territoire en forme de botte, se sont développés des trésors de savoir faire dans tous les domaines où il a fallu faire preuve d'ingéniosité et de génie créatif. Que l'on songe à la lutherie, aux diverses manufactures italiennes, et l'on aura un panorama presque complet de l'habileté de nos voisins. Il manquera encore la prodigieuse inflorescence des arts italiens, ce domaine qui eut une influence si grande sur le reste de l'Europe et, en particulier, sur l'Allemagne.

13. Aborder l'Italie, c'est découvrir une nouvelle réalité, moins prégnante en Allemagne : la diversité des écosystèmes et des mentalités qui devrait toujours nous alerter et nous éviter de mettre toute une nation dans le même sac ou nous épargner les caricatures simplistes qui consistent à séparer voire à opposer le nord et le sud, l'est et l'ouest ... 

14. Nul doute que c'est l'un des fleurons de l'Italie qui permet le mieux de saisir la richesse de ses paysages, de ses coutumes, de sa palette de savoir faire : l'agriculture. Sans elle, bien pensée, aucune nation ne tient vraiment la route. Dès qu'elle va mal, c'est tout un pays qui bascule dans la misère et l'émigration.

15. L'introduction de machines surpuissantes et gourmandes en énergies fossiles a profondément modifié les conditions de vie sur tous les territoires se prêtant à leur emploi. Elle a aussi creusé un fossé entre agriculture de montagne et agriculture de plaine ; fossé que la lente érosion du stock disponible d'hydrocarbures devrait heureusement peu à peu comblé au plus grand bénéfice de tous, à condition que nous prenions conscience des enjeux du moment.

16. Rôle majeur, parmi d'autres aussi essentiels, des agricultures de montagne : mettre en équation et en oeuvre l'un des principes clefs de la permaculture : la diffusion et l'appropriation aussi lentes que possible des deux ressources primordiales en agriculture : la lumière et l'eau (sans oublier les sols vivants. Nous y reviendrons). Diffusion et appropriation assurée par les terrasses, les bassins de rétention d'eau et les cultures multi-étagées accordant une place aussi large que possible à la biodiversité végétale et animale au rebours de toutes les pratiques d'uniformisation stérilisantes voire dangereuses. A deux pas des monts italiens, juste de l'autre côté de la frontière, Sepp Holzer montre depuis plus de cinquante ans en Autriche la voie à suivre sur les versants montagneux. Pour les passionnés et les curieux : vidéo de présentation de sa ferme Krameterhof (Une trentaine de minutes gratuites après avoir sauté le bandeau tarifaire).

17. Tandis que nos glaciers d'Europe (et d'ailleurs) fondent à la vitesse grand V, il est plus qu'urgent de retenir l'eau douce sur les sommets lui donnant ainsi d'abreuver les terres en aval le plus lentement du monde. Nous éviterons ou nous limiterons ainsi les crues et les inondations tout en facilitant la pousse de tous les végétaux. Pour cela, nous devons boiser les pentes de nos montagnes de manière intelligente : non pas avec une seule espèce à pousse rapide comme cela s'est pratiqué auparavant mais avec une abondance de variétés qui favorise la biodiversité tout en protégeant nos plantations des à coups climatiques prévisibles. Voilà qui serait une application judicieuse, parmi d'autres, de la création d'une monnaie nationale de service et d'abondance. Voilà aussi l'occasion de lancer de nombreux chantiers participatifs à l'image de cette excellente démonstration du bureau Permaculture Design, certes à une autre échelle mais selon des principes transposables.

18. De l'Italie, nous passons à l'Espagne, l'un des pays d'Europe le plus menacé par la désertification consécutive au réchauffement climatique. Là plus qu'ailleurs, une reforestation massive s'impose pour préserver une unité nationale fragile : des tensions trop vives dans le monde agricole entraîneraient un sauve qui peut général préjudiciable à toutes les provinces espagnoles, y compris pour celles qui prétendraient se suffire à elles-mêmes ...

19. A la reforestation, il faut adjoindre une transformation radicale des pratiques culturales pour éliminer l'utilisation de poisons et pour limiter l'emploi de ressources d'origine fossile. Il faut encore préserver les terres arables et même améliorer leur potentiel en prévision d'une montée des eaux qui rognerait les espaces côtiers et qui éliminerait une partie des Pays Bas.

20. Jusqu'à maintenant cet autre cher voisin de la France a fait preuve d'un génie hors du commun pour bâtir des digues et gagner des terres sur la mer. Il ne pourrait pas faire face cependant à une brusque montée des eaux qui se prolongerait au-delà de quelques jours. Cette éventualité n'a rien de farfelu au rythme où vont les choses. L'épidémie du coronavirus en retardera peut-être l'échéance mais des scénarios prévoient déjà que les océans et les mers monteront de plusieurs mètres. Notons aussi que le climat des prochaines décennies est déjà dans les cartons quoique nous fassions désormais : l'inertie du système complexe qui le détermine est telle que les correctifs que nous apporterons demain n'auront d'incidence que pour les générations à venir.




21. Pour nous engager résolument sur la voie des transformations bénéfiques, nous aurons à sortir d'une très mauvaise interprétation de la liberté humaine et des droits qui s'y rattachent. Comment pourrons-nous en effet accepter de sacrifier une part de notre confort et des facilités qu'offrent les énergies fossiles abondantes, si nous ne reprenons pas conscience de la sacralité de toute vie ? Comment accepter une révision de nos croyances en une croissance incessante si nous ne prenons pas conscience des maux qui précèdent et qui suivent tout avortement ? Point n'est besoin d'être prophète pour affirmer ceci : tant que nous n'aurons pas aboli la peine de mort pour les tout petits en gestation, nous serons incapables de résoudre les défis énergétiques et climatiques, économiques et sociaux, politiques et géopolitiques qui se profilent à l'horizon. 

22. Toute dénonciation des désordres contemporains demeure incomplète et, partant, verse dans l'erreur, si elle oublie leurs premières victimes : les millions d'êtres en gestation qui tombent chaque année sous le coup d'un procès et d'une condamnation radicale sans que le moindre avocat n'ait assuré leur défense. Ces jeunes pousses humaines disparaissent dans un silence effroyable comme tous ces êtres vivants qui sont sacrifiés sur l'autel d'une démesure follement destructrice. La barbarie n'appartient pas seulement au passé : elle est présente en maints endroits sur la planète Terre. Et pas seulement chez nos chers voisins.

A suivre ...

Traduction de "Nos chers voisins" dans d'autres langues :

Unsere lieben Nachbarn - Our dear neighbors - جيراننا الأعزاء - Մեր սիրելի հարևաններ -
Gure auzoko maitea - I nostri vicini vicini - Vores kære naboer - Nuestros queridos vecinos -
Αγαπητοί μας γείτονες - שכנינו היקרים - Ár gcomharsana daor - I nostri cari vicini -
 親愛なる隣人
Proximos nostros - Nasi drodzy sąsiedzi - Nossos queridos vizinhos
Dragii noștri vecini - Наши дорогие соседи - Naši milí sousedé
Sevgili komşularımız - Наші дорогі сусіди - Hàng xóm thân yêu của chúng tôi - אונדזער ליב שכנים

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