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jeudi 21 août 2014

L'enseignement en deuil

Une grande figure des lettres françaises, de l'Université et de l'Académie vient de nous quitter. Dès 1984, Jacqueline de Romilly tirait l'alarme en écrivant : "L'enseignement en détresse". Depuis, nous ne comptons plus le nombre d'ouvrages parus qui s'inquiètent de l'état de notre système éducatif. Nous n'entrerons pas ici dans une discussion des multiples thèmes qui tissent les diagnostics portés. Avant guerre, l'un de nos plus éminents philosophes, Jacques Maritain, indiquait déjà dans sa "Philosophie de l'éducation" les piliers d'une instruction fondées non seulement sur l'étude des sciences mais aussi des humanités classiques. Si nous avions entendu son appel venu d'Outre Atlantique, Jacqueline de Romilly n'aurait pas eu à faire part de son inquiétude.

En rapprochant la disparition de notre brillante helléniste à 97 ans, la poursuite de la carrière du professeur Luc Montagnier en Chine à l'âge de 78 ans et l'actualité encore tiède des retraites, nous allons proposer d'ouvrir un autre chantier capital : le recrutement et la carrière des enseignants.

Nous avons rappelé ailleurs qu'un des principaux obstacles à l'amélioration de l'éducation des jeunes résidait dans la désertion et la division des adultes. En ces temps de vaches maigres pour les finances de l'Etat, la tentation la plus forte est de vouloir réduire, coûte que coûte, le poids des fonctionnaires. Nous répondons par un paradoxe : diminuons la charge financière mais augmentons, sans tarder, le nombre des acteurs. Nous ne sortirons pas du marasme actuel sans un effort accru et renouvelé en direction de notre jeunesse. L'Etat pourrait choisir de se désengager et de laisser le champ de l'éducation occupé par des initiatives privées. Ce n'est pas cette voie que soutient notre projet présidentiel. Les plus féroces partisans d'un enseignement libéré du joug de l'Etat devraient se souvenir que de nombreuses écoles privées ne tiendraient pas sans deniers publics.

Notre proposition a pour but d'augmenter la présence des adultes auprès des jeunes, de diminuer les coûts salariaux du corps enseignant, de régler une partie de la question des retraites, de réduire le chômage en France, d'améliorer enfin l'orientation et l'éducation.

Première mesure : l'entrée et la sortie des enseignants dans notre système éducatif seraient retardées. L'âge minimum pour exercer ce métier devrait dépendre de plusieurs facteurs, le principal étant la situation de l'emploi en France (ou dans chacune des cinq provinces). Au niveau actuel de sous-emploi et à titre indicatif, l'âge minimal serait compris entre 35 et 40 ans et l'âge maximal entre 70 et 75 ans. Dès qu'un enseignant peut percevoir sa retraite, il n'est pas tenu de quitter toutes fonctions d'enseignement : il peut continuer à exercer et il perçoit alors un complément de revenu.

De prime abord, vouloir diminuer les coûts salariaux en proposant une entrée tardive des personnels dans l'enseignement relève de l'utopie. A moins qu'une modification de la pyramide des âges et de la composition du corps enseignant n'entraîne une amélioration sensible des résultats scolaires. Ce qui reste à prouver. Isoler la première mesure d'un ensemble de réformes scolaires ne permet pas d'y voir clair. Le lecteur indulgent et patient - il en existe - comprendra que l'on se contente ici d'énumérer les avantages attendus.

Il ne nous paraît pas naturel, c'est le mot le plus doux, qu'un adulte n'ayant jamais exercé une profession ou encadré des jeunes pendant plusieurs années dans un mouvement associatif, un club sportif, un atelier artistique, ... se trouve catapulté auprès d'enfants et de jeunes comme maître, professeur, éducateur, entraîneur ou patron. Cela ne signifie pas, évidemment, que tout jeune professeur dans le système actuel, se trouve condamné à errer, à balbutier, à échouer. Il existe même des enseignants qui, sans être encore trentenaires sont excellents. La valeur n'attend pas le nombre des années dit-on. C'est une question de talent, de travail, de vocation. Imposer un âge minimal d'entrée dans la profession enseignante ne doit donc pas exclure une dérogation pour qui se sentirait suffisamment préparé et armé pour conduire plusieurs diligences d'une trentaine de chevaux sauvages.

Une des premières choses que découvre un adulte en dehors de l'enseignement c'est la difficulté d'une conduite honnête d'affaires prospères dans le monde ou l'exigence d'un engagement bénévole : en tous lieux, le fort essaie d'abuser de sa force, l'habile parvient à tromper le maladroit, le voleur s'empare des biens d'un autre, le prédateur exploite le cheptel de ses proies. Une fois rendu dans l'enceinte d'un établissement, il ne s'étonnera guère d'avoir affaire à des chenapans, d'avoir à exercer une vigilance de chaque instant, d'avoir à éduquer plus qu'à instruire.

Un point essentiel ne manquera pas alors d'attirer son attention : seules résistent au déferlement du mal, les communautés d'adultes profondément soudées par un idéal fort et dense. Il s'agit bien de résistance et non de réussite : la santé insolente de quelques sociétés prédatrices n'abuse pas l'intelligence de celui qui connaît le prix de certaines victoires. De même que les exploits sportifs obtenus à longueur de stupéfiants ne sauraient faire illusion. Instruit par l'expérience de la dure réalité d'un monde où le mensonge tente d'imposer sa loi, le professeur ne redoutera plus d'être sévère à l'égard de tous ceux qui balaient toute vérité d'un revers de la main. La note, aussi humiliante et aussi imparfaite soit-elle reflète une réalité qui n'est pas seulement traumatisante. Elle fournit le point de départ d'un diagnostic qui jettera parfois une lumière assez crue. L'échec scolaire d'un élève manifeste bien l'inadéquation d'un mode d'enseignement et d'un contenu à ses aptitudes. Si l'élève doit tenter de réveiller ses forces les plus vives, les acteurs eux-mêmes doivent accepter que le système soit réformé.

L'enseignant qui a exercé une profession ou qui a eu des responsabilités associatives en dehors de l'éducation nationale sait qu'une entreprise, une association qui ne fait pas sans arrêt l'effort d'être performante (honnêtement) et de s'adapter aux conditions changeantes de son environnement tout en maintenant vaille que vaille ses fondamentaux les plus sûrs se trouve rapidement laminée par le rouleau compresseur de la concurrence, de la mode ou des lubies inventées par telle ou telle discipline prétendument scientifique. On peut juger cela complètement absurde et tirer sur le monde à vue, on peut vouloir la révolution, ... mais c'est ainsi. Plutôt que d'endormir ses élèves par un discours rassurant ou lénifiant, l'enseignant aura à coeur de préparer ses élèves au combat titanesque de la vie. Aujourd'hui comme hier, plus qu'hier, il ne suffit pas d'être talentueux. Il faut beaucoup et bien travailler. Non pour "gagner plus" mais tout simplement pour vivre dignement. Non pour "gagner sa vie" mais pour être capable de la donner pour ceux que l'on aime.


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