Le printemps 2010 met en lumière la question préoccupante des pensions de retraite en France comme ailleurs en Europe : population vieillissante et renouvellement démographique en déclin inquiètent tous ceux qui essaient d'assurer le maintien de notre système de répartition dans lequel ce sont les travailleurs actifs qui cotisent pour les personnes à la retraite.
Même si cela n'est pas l'usage actuel, notons que le montant des pensions devrait dépendre seulement du nombre d'années de cotisation et non pas aussi d'un nombre de points acquis en fonction des revenus perçus au fil des ans : quand un actif cotise pour une personne à la retraite, ce qu'il verse est destiné à assurer une vie décente à ceux qui ne peuvent plus travailler et non pas à récompenser des "mérites" acquis. Si l'on veut tenir compte de ces mérites (et pourquoi pas puisque c'est ce que l'on fait aujourd'hui), il convient de s'appuyer sur des éléments de capitalisation. Ce n'est plus de la répartition. Il n'est pas difficile d'objecter que les points acquis constituent une clef de répartition et qu'il serait inéquitable de supprimer cette clef. Nous constestons la justesse de cette clef. Ce n'est pas la seule clef de répartition possible. Ceux qui ont élevé une famille nombreuse pourraient dire : "Nous avons contribué plus que d'autres à la survie du système de retraite par répartition. Que l'on nous donne plus qu'aux autres !". De fait, le versement des pensions en tient compte. Ceux qui n'ont pu avoir d'enfants ou ne peuvent en avoir - et ils sont nombreux (2 millions de couples en France) - pourraient s'insurger mais comprennent qu'ils bénéficient déjà de l'avantage de percevoir une retraite bien qu'ils n'aient pas eu de descendants pour "assurer leur vieux jours". Ces couples sans enfants et les célibataires pourraient encore faire remarquer que du temps où ils étaient en activité, ils ont contribué eux aussi à garantir la pension de leurs ascendants. Finalement, le versement des pensions de retraite s'inscrit dans une trajectoire de vie complète : de l'enfance où la personne n'a pas encore les moyens de subvenir à ses besoins jusqu'à la vieillesse où elle ne le peut plus. Dans ce mouvement des difficultés surgissent quand il y a rupture de la cyclicité et quand la période (vie dite active) qui porte les extrêmes a tendance à se réduire en proportion : enfance et adolescence qui se prolongent, vieillesse plus longue.
La contrepartie (positive) de la disparition de la clef de répartition des montants de pension par points acquis est bien entendu la disparition simultanée du calcul des cotisations à proportion des revenus : à versement identique pour tous doit correspondre une cotisation unique pour chacun. Cela ne tient évidemment et n'est avantageux pour le plus grand nombre que si l'on consent à établir deux choses indissociables : la limitation (en amont) des revenus et l'abaissement du montant moyen des pensions de retraite. La simplification du calcul des pensions de retraite entraîne une complexité organisationnelle plus grande.
Le système actuel accentue les différences entre les personnes : ceux qui ont eu ce qu'on appelle une belle carrière perçoivent une retraite confortable et, s'ils sont encore alertes et entreprenants, ils continuent à exercer une activité lucrative en faisant jouer leurs relations, leur position sociale, leurs expériences, ... tandis que ceux qui ont eu un parcours sans prestige (aux yeux du monde) se retrouvent avec des pensions modestes voire insuffisantes et n'ont aucune perspective de prolongement d'activité. Il arrive même de plus en plus qu'il leur faille quitter leur emploi avant soixante ans. Ainsi a-t-on constaté que dans certains secteurs, des salariés sont considérés comme en bout de course dès 45 ans, dans la grande distribution par exemple : tous ceux qui n'ont pas atteint une position qui les mette à l'abri du déclassement sont alors menacés de licenciement. Depuis que se posent avec de plus en plus d'acuité les problèmes liés aux trajectoires professionnelles, ceux qui interviennent pour remédier aux accidents de parcours et pour les prévenir, disposent d'une somme de connaissances impressionnante, connaissances à la fois théoriques et pratiques (retour d'expérience des seniors qui ont tenté une reconversion). La culture de la prévention, de la préparation et de l'anticipation est ici, comme dans d'autres domaines, à diffuser largement pour éviter les situations de grande pénibilité ou de désespoir.
C'est à la lumière de ce qui précède qu'il faudrait déjà envisager la question du recul ou non de l'âge légal de départ à la retraite et du nombre minimal d'années de cotisation pour une pension complète : les parcours professionnels des uns offrent des possibilités intéressantes de poursuite ou de reconversion ; les parcours des autres se terminent sans aucun horizon. Il n'est pas question de nier la responsabilité personnelle de chacun dans sa trajectoire. Il s'agit d'attirer l'attention sur ces disparités de traitement qui se prolongent de la fin de la période active jusqu'au dernier souffle. Sans compter qu'avec des revenus d'activité conséquents, les uns se sont constitués un capital et se sont entourés de garanties que les plus mal lotis n'ont pu atteindre.
En bonne logique et à condition d'accepter que la notion de vie active soit définie autrement, nous pourrions avoir dès le premier travail et jusqu'à la disparition de la personne une période unique durant laquelle l'activité serait modulée selon les capacités moyennes de la population, les travaux accomplis et les caractéristiques personnelles de chacun. En moyenne : montée en puissance du temps de travail et des responsabilités s'accompagnant d'essais et de recherches ; alternances de périodes de travail à temps plein ou partiel, de périodes de formation, périodes d'enseignement et de transmission des savoirs acquis ... conduisant normalement à une période de maturité puis à un déclin progressif avec d'éventuelles reconversions. A partir du moment où une personne se trouverait en difficulté pour accomplir un travail ou pour en retrouver, elle bénéficierait d'indemnités suffisantes pour la soutenir. La courbe générale de l'activité d'une personne, en dehors des accidents de parcours, couvrirait une durée plus longue avec une entrée plus précoce et plus progressive dans la vie professionnelle et une sortie plus tardive et également plus progressive. Dans un tel schéma, la baisse et le rééquilibrage des pensions de retraite (après une hausse devenue excessive pour certaines catégories de personnes en 2010) est concevable et l'âge légal de départ à la retraite n'a plus de sens : une personne qui se trouve dans un secteur et un type de métier où la poursuite au delà de 55 ans est difficilement tenable perçoit une pension qui équivaut à une assurance chômage et elle est accompagnée pour une reconversion anticipée ; une autre qui se trouve sur un créneau professionnel où continuer à travailler au-delà de 60 ans ne pose pas de problème particulier peut décider ou bien de s'arrêter ou bien de prolonger mais à un rythme moins soutenu. Il est capital que cette baisse de régime ne soit pas optionnelle : retraite signifie ici quelque chose de plus profond qu'une inactivité forcée, une mise à l'écart du jour au lendemain. Il s'agit d'apprendre à s'effacer, à ne plus être indispensable, à passer le flambeau. De ce point de vue, d'ailleurs, les politiques eux-mêmes ont à montrer l'exemple.
Rééquilibrer les montants de pension priverait les uns du superflu et donnerait aux autres de vivre un temps de retraite moins pénible.
Supprimer la clef de répartition des montants de retraite selon les revenus orientera différemment les carrières et apaisera les relations sociales. Commençons par ce dernier point : les discussions et les tentatives de réforme de nos retraites butent toujours sur les différences de régime. En simplifiant le mode de calcul et en l'harmonisant pour tous, nous éliminons cette pierre d'achoppement. Nous rendons également possible des augmentations de rémunération qui ne mettront pas en péril les caisses de retraite puisqu'elles n'auront plus d'incidence sur le montant des pensions. Nous détendons enfin le climat des négociations salariales : oui aux demandes justifiées par l'insuffisance des rémunérations ; non aux réclamations qui surajoutent en toile de fond la question des pensions de retraite.
Réorienter les carrières est un objectif passionnant pour un enjeu capital : construire une société dans laquelle la recherche d'un revenu toujours plus haut ne soit pas le moteur principal de l'investissement du plus grand nombre, bâtir un monde où l'émulation supplante la compétition et où la coopération soit le plus souvent préférée à l'affrontement. Ne plus indexer les retraites sur les revenus antérieurs de la vie dite active constitue le premier volet de la réorientation que nous appelons de nos voeux. Chacun aura alors la possibilité, dès ses jeunes années, de s'investir davantage dans toutes ces actions peu prisées par le monde et donc mal rémunérées mais qui jouent pourtant un rôle indispensable dans nos sociétés : ne redoutant plus de perdre des points de retraite, les plus généreux ne craindront pas de s'engager dans des voies où la gratuité est incontournable. Objecter que certaines personnes le font déjà en se moquant comme de l'an quarante de ce qu'il adviendra après leur soixantième année ne résout pas le déficit actuel de main d'oeuvre dans tous les secteurs où la question marchande est seconde. Nous avons besoin de personnes qui, libérées du souci de leur retraite, n'hésiteront plus à servir des causes désargentées.
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