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jeudi 12 mars 2015

Impôts, taxes et cotisations ou l'affrontement de deux logiques


Impôts, taxes et cotisations, sujet qui fâche s'il en est. Voilà un thème qui mérite la plus grande attention. Son traitement par un projet présidentiel révèle sa marque de fabrique.

Le simple bon sens ou la démagogie conduisent les concurrents d'une élection à promettre qu'ils ne prévoient aucune augmentation des impôts, des taxes et des cotisations. S'ils parviennent à accroître la richesse du plus grand nombre, ils provoqueront la hausse de la manne prélevée ... en tenant leurs promesses. On ne saurait alors leur en vouloir.

Le projet France 2022 part du principe que les impôts, les taxes et les cotisations ne sont pas des maux en eux-mêmes. Si nous voulons agir ensemble et dépasser nos capacités individuelles, nous n'avons pas d'autres choix que de faire caisse commune. Si les parents, seuls, contribuaient au financement de notre système scolaire, beaucoup de jeunes devraient se contenter d'apprendre dans la rue.

La question du niveau des prélèvements domine les débats. Comme l'arbre qui cacherait la forêt ? La forêt des niches fiscales ?

Il est temps de se souvenir que les impôts, les taxes et les cotisations ne sont pas seulement des leviers destinés à alimenter les caisses communes mais qu'ils sont aussi des outils de régulation : une niche a pour but officiel de faciliter une action bénéfique, favoriser un secteur clef, générer un type de situation éminemment souhaitable, ... ; une taxe, une cotisation et un impôt sont levés en principe pour atteindre des objectifs connus. Nous constatons malheureusement que ce rôle de régulateur est parfois négligé quand un agent politique émet trop vite l'idée d'une suppression puis la met en oeuvre dans la précipitation. Avant de supprimer une ponction ou un allègement, il vaudrait mieux s'assurer que le malade ou le patient ne va pas en souffrir davantage.

Nous avons dit à propos du travail humain qu'un seuil de rémunération maximale en euro sera fixé mais pas nécessairement en couronne française, nouvelle monnaie créée dans le cadre du projet France 2022. Précisons ici que l'impôt n'a pas vocation à être le seul garant du non dépassement d'un tel seuil : la réduction des inégalités de revenu résultera de l'impossibilité de verser en France une rémunération au-delà du plafond légal. 

En raison de la progressivité de l'impôt sur le revenu, la limitation des hauts salaires n'a pas pour but de renflouer les caisses publiques mais d'entraîner une répartition plus juste des profits. Obtenir cette justice par des impôt élevés (choix typiquement français) sur les hauts revenus est contre-productif : les grandes fortunes trouvent toujours les moyens de contourner l'imposition sous le prétexte que son taux élevé est confiscatoire. Les plus fortunés ont assez d'influence sur les politiques pour exercer une pression qui soit favorable à leurs comptes : telle niche fiscale censée assurer une action bénéfique sur une branche d'activité sera aussi votée pour exempter quelques privilégiés d'un prélèvement qu'ils jugent d'un mauvais oeil.

Pour réduire le niveau des prélèvements qui entravent l'économie française - il reste à préciser pourquoi et comment -, une première solution consiste à accélérer le désengagement de l'Etat en privatisant des activités (même sensibles ?) ou en diminuant les dotations aux collectivités locales. Choisir cette voie n'est pas sans risque et il faut n'avoir jamais travaillé avec des agents de l'Etat pour s'imaginer qu'ils sont incompétents : les fonctionnaires qui ne sont pas à leur place ne sont ni plus ni moins nombreux en proportion que les grand patrons ou les salariés les plus modestes du privé. Là où le secteur privé a tendance à raisonner de plus en plus à court terme, l'Etat maintient vaille que vaille des perspectives plus lointaines. Ce souci du long terme engendre des attitudes et comportements professionnels que le secteur privé gagnerait à imiter.

L'Etat a des possibilités de désengagement qui ne sont pas à rejeter d'emblée comme si elles étaient marquées d'un sceau diabolique. En augmentant la part défiscalisable des dons aux oeuvres et à toutes les associations d'utilité publique, l'Etat français a ouvert plus largement le champ de l'action sociale à des organismes privés qui, s'ils sont bien gérés et s'ils sont dûment contrôlés, agissent au profit du plus grand nombre et spécialement de ceux qui sont en difficulté. Ces corps intermédiaires ont le grand avantage de mettre à contribution des bénévoles qui, en donnant de leur temps, manifestent que tout ne s'achète pas et portent secours là où nul intérêt marchand n'a l'audace ou les reins assez solides pour venir en aide, remédier, guérir, ... . Quelques militants féroces de l'athéisme le plus radical ou, ce qui revient au même, d'un Etat omnipotent dominé par un groupuscule, s'insurgeront toujours contre cette ouverture. Un projet politique n'a pas pour ambition de convertir une poignée d'irréductibles qu'un aveuglement et une surdité, endurcis par quelques raisonnements absurdes, poussent à voir le mal où il n'est pas et le bien en des lieux qu'il a désertés depuis belle lurette.

Dans une toute petite incise, et juste pour le plaisir, faisons remarquer que l'Etat a aussi recours à des bénévoles mais sans le dire. Nous laissons aux lecteurs curieux le soin de découvrir comment.

Le désengagement de l'Etat devient palpable dans le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Avant de hurler à mort contre ce type de mesures, ceux qui aboient feraient bien de mettre leurs économies en lieu sûr : à force de brailler vient toujours un temps où l'on n'a plus d'os à ronger. Nous devrions pourtant tous savoir que l'engagement de l'Etat, même quand il est fort - et cela paraît souhaitable en maints domaines - ne rime pas nécessairement avec une fonction publique pléthorique. En réalité nous le savons tous et ceux qui feignent de l'ignorer sont débordés par l'aggravation des difficultés et englués sur une piste souvent fausse : l'attribution automatique ou exclusive de cet état à "un défaut de moyens" alors qu'il faudrait mettre en cause "un défaut de gestion des moyens alloués" et même un "gaspillage de ces moyens". Ainsi en est-il d'un système scolaire en France qui, à coup de réformes inconséquentes, utilise des locaux disponibles de manière fort dispendieuse : grosso modo, 50% de sa capacité d'accueil dans l'année. Quelle entreprise soucieuse de réduire ses charges pourrait se permettre une telle gabegie ?

Pour alléger le poids des prélèvements, la réduction du train de vie de l'Etat et des collectivités locales est à poursuivre et à intensifier sans retard. Des réformes sont en cours qui font bondir les services concernés mais ceux qui rouspètent ont-ils pris conscience de la situation financière de la France ? Celle-ci menace directement le pouvoir politique entendu comme capacité d'influer sur le cours des événements. Là encore, la chance que nous avons d'être libres de choisir nos représentants court le risque de se transformer en illusion si ces derniers n'ont plus aucune marge de manoeuvre et se retrouvent dans un état de servilité à l'égard d'intérêts puissants aux yeux desquels le bien commun des citoyens compte pour moins que rien. 

La réduction du déficit public et de la dette relève d'un combat qu'il serait naïf de considérer comme une simple preuve de bonne conduite. Sans verser dans la paranoïa, qu'attendons-nous pour traiter cette question : à qui profite l'endettement de la nation française ? Nul besoin d'aller imaginer un crime, des intentions malveillantes ou une prédation savamment organisée pour s'interroger. Inutile et nuisible d'aller chercher des coupables. Réfléchissons et agissons dans le calme. 

Sommes-nous prêts, quand cela nous est possible, à renoncer à une part d'égoïsme pour redresser une situation alarmante ? Beaucoup d'entre nous, la plupart même, profitent de cet endettement tout en le payant de plus en plus cher : le seul poste du budget de la nation consacré au remboursement de la dette a de quoi nous inquiéter. Nous bénéficions aujourd'hui d'un confort énergétique qui pèse trop lourd sur les comptes de la nation : le coût d'obtention d'un KWh devrait normalement intégrer tous les frais. Opération difficile mais indispensable si nous voulons y voir plus clair. En l'occurrence, deux logiques s'opposent : une logique marchande et une logique d'économie. 

La logique marchande s'épanouit dans une production toujours plus abondante et soutient son expansion par une politique de prix qui encourage le client à consommer toujours plus. 

La logique d'économie, elle, dépasse l'intérêt particulier de chaque agent économique producteur : elle introduit la nécessité de prendre en compte l'extinction des réserves et les dégâts collatéraux. 

Contrairement à la conclusion hâtive qui affirme : privé = logique marchande et public = logique d'économie, la situation réelle n'est pas aussi tranchée. De puissants intérêts privés sont en mesure d'influer sur les politiques publiques pour les faire basculer dans une logique essentiellement marchande. Certains intérêts privés sont capables d'agir de manière responsable en prenant en compte les limites de l'environnement et des hommes. 

La logique d'économie qui s'impose d'elle-même en période de pénurie a tendance à céder du terrain à la logique marchande quand l'abondance semble prévaloir. L'effort à déployer pour renverser la dérive actuelle ne va pas de soi et les considérations sur les risques climatiques ou les menaces imminentes ne suffisent pas : la peur entretenue finit par rendre vaine toute tentative d'amélioration. Perdus pour perdus, les consommateurs préfèrent cueillir les restes plutôt que d'économiser pour un avenir qui leur est annoncé sous les auspices les plus noirs. Nous avons non seulement à changer de comportement mais aussi à développer une pensée qui soit stimulante pour toutes les bonnes volontés. 

L'honnêteté commande d'affirmer que la situation financière de notre pays est si grave que les efforts que nous accepterons de faire n'auront pas d'abord pour but d'alléger directement le poids de nos impôts mais pour premier objectif de sortir d'un endettement qui réduit la puissance publique à l'état de marionnette. Que cela amuse la galerie, que cela plaise à tous les contempteurs de l'Etat considéré comme un gêneur, que cela nous indiffère profondément, le résultat est tangible pour tous : chaque citoyen français est embarqué sur un paquebot qui prend l'eau de toutes parts. 

Au lieu de céder à la panique qui étreint les passagers sans coeur, nous pouvons simplement consentir à nous alléger. La responsabilité de l'Etat, entendu comme serviteur de l'intérêt général et du bien commun , est ici engagée : dans tous les secteurs où une consommation excessive met en péril l'équilibre de nos comptes ou de nos échanges, la puissance publique a le devoir de mettre en place des freins à la consommation. 

Une telle politique ne tend pas vers la simplification. Il faudrait n'avoir rien compris à la marche de l'histoire ou confondre "complication" et "complexité" pour s'imaginer que la régulation de nos sociétés va s'affranchir d'un surcroît de complexité. Ce surcroît n'est pas le produit d'une administration fière d'exercer ses prérogatives mais résulte de l'enchevêtrement des progrès qui traversent nos sociétés. 

La logique marchande propose à ses clients des tarifs unitaires qui décroissent quand les quantités consommées augmentent. 

La logique d'économie à mettre en place procède à l'inverse : elle assure à chacun un confort minimal mais satisfaisant quand l'abondance est là en garantissant des prix abordables pour les premières quantités consommées. En revanche, elle surtaxe les dépassements.

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