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lundi 16 août 2010

France 2022 : Génie et sainteté en France


"Les nations ont besoin 
  de héros et de saints
  comme la pâte a besoin de levain."





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Jeanne d'Arc


Musée des Beaux-Arts, Reims


« Depuis le sommet où il s’est perché,
l’orgueilleux regarde toujours vers le bas, 
et, évidemment, il ne voit que des êtres ignorants, faibles, vicieux. 
Il les considère avec mépris 
et il se promène partout gonflé du sentiment de sa supériorité. 
Mais en étant toujours satisfait de lui-même, 
il n’avance pas.
Tandis que celui qui regarde vers le haut 

aperçoit des êtres plus évolués, plus sages, plus lumineux, 
et, là, par comparaison, 
ses défauts commencent à lui apparaître. 
Il se sent tout petit à côté ; 
il devient humble, 
et c’est cette humilité qui le grandit. 
Parce qu’en fixant son attention sur ces êtres, 
en les admirant, 
il ne reste pas sans rien faire : 
il travaille, il fait des efforts, 
il voudrait tellement devenir comme eux ! 
Et c’est ainsi qu’il avance. »

Omraam Mikhaël Aïvanhov






A la mémoire du Colonel Arnaud Beltrame


"Quand on va à l'étranger, on se rend compte combien la France est considérée comme un grand pays, par son histoire et sa géographie, sa culture et ses réalisations. La France a une vocation singulière. Quand on rentre au pays, on a le sentiment inverse : la France a tendance à se dévaloriser, se culpabiliser et se lamenter. N'ayant pas conscience de sa grandeur, elle n'a pas vraiment confiance en elle. Pour avoir été chef d'état-major de la première armée européenne et de la seconde armée occidentale en opérations, je ne me lasse pas de dire et de redire à tous les Français que je rencontre : la grandeur du pays est là, à nous de nous l'approprier ! "



Pierre de Villiers
"Qu'est-ce qu'un chef ? " p. 173 - 174


Au coeur de l'été 2010, la France est sous une pluie d'automne. "Temps de Toussaint" peut-on lire à la une. Légitimement contrariés par le froid et la pluie, si nous sommes en vacances, comment allons-nous retrouver le moral dont nous aurons besoin au retour de nos congés ? 

Sortant de nos maisons et de nos prisons mentales pour aller voir ailleurs, nous découvrons la chance d'être arrosés même quand le soleil devrait être au rendez-vous. 

Dans l'aquarium de Paris, laissons-nous transporter à Gaza par les amis de la terre au Moyen-Orient pour retrouver la joie d'habiter une terre où l'eau est abondante quand ne sévit pas une période de sécheresse, où les enfants ne souffriront pas de problèmes entretenus et aggravés par un conflit apparemment sans issue ... à moins que la question de l'eau, vitale pour chaque parti, ne contraigne les hommes à s'entendre s'ils ne veulent pas périr en grand nombre.

Terre aride, altérée, sans eau ou jardin à ciel ouvert, baigné par le soleil et fécondé par des pluies généreuses ? Parmi les nations de notre planète, quelle est celle qui peut se prévaloir d'un climat aussi clément et généreux que le nôtre ? Que serait la France si elle prenait davantage au sérieux et accueillait avec plus de reconnaissance les dons du ciel qui l'abrite ? Un pays qui ne douterait plus, non pas de sa vocation universelle - quel pays n'est pas appelé à rayonner au-delà de ses frontières et jusqu'aux limites de la Terre ? - mais des chances que lui offre sa géolocalisation exceptionnelle. Nous y reviendrons car nous devons d'abord redécouvrir qu'un autre ciel n'a pas ménagé ses peines pour nous offrir aujourd'hui l'un des plus sublimes manteaux étoilés que l'on puisse imaginer et concevoir. 

C'est en portant un regard neuf, admiratif et très émerveillé, sur les plus belles heures dont la France fut le théâtre que nous retrouverons le goût et le courage d'avancer malgré les vents contraires, en dépit des crises - parfois salutaires - qui nous découragent d'agir ensemble. Si les temps difficiles que nous aimerions traverser au plus vite avaient le mérite d'orienter nos efforts vers les plus belles pages de notre histoire, nous pourrions nous réjouir d'avoir eu à les affronter : ils n'auraient pas seulement ouvert nos yeux ; ils auraient dilaté notre coeur, libéré nos esprits et nos mains pour un service passionné de tout homme, considéré non plus comme un rival ou un ennemi mais accueilli comme un frère.


Intermède

"A l'école, nous avions eu quatre classes de suite le même manuel d'histoire, nous étions censés étudier une période chaque année : d'abord l'Antiquité glorieuse, des cités phocéennes aux conquêtes d'Alexandre ; puis les Romains, les Byzantins, les Arables, les croisés, les Mamelouks ; ensuite les quatre siècles de domination ottomane ; enfin les deux guerres mondiales, le mandat français, l'indépendance ... J'étais, quant à moi, bien trop impatient pour attendre le déroulement du programme. L'histoire était ma passion. Dès les premières semaines, j'avais parcouru tout le livre, je ne me lassais pas de le lire et relire, les pages s'en étaient trouvées, l'une après l'autre, pliées, froissées, écornées, abondamment soulignées, maculées de gribouillis, de notes, d'interjections en guise de commentaires ; à la fin il ne restait plus de l'ouvrage qu'une piteuse pelote de feuilles effilochées."


Les Echelles du Levant, p. 11
Amin Maalouf

Cet été 2010, la question de l'histoire de France et de son enseignement est revenue à la une de l'actualité. A cette occasion, nous avons pu observer comment les débats prennent un tour polémique parce que les divers interlocuteurs sont devenus incapables de s'entendre sur un périmètre, sur une fonction et un but, sur une manière de faire. Certains mettent en avant les variations du territoire français au fil du temps pour démolir la notion d'histoire de France en cassant l'acception même de France ! Où l'on voit à quel point d'auto-anéantissement nous risquons de tomber quand on coupe les cheveux en quatre. Pourquoi ne pas dire que le périmètre actuel définit à rebours le périmètre qu'il convient d'étudier de manière historique : si certaines régions de la France d'aujourd'hui n'ont pas toujours fait partie de notre pays, qu'est-ce qui empêche de les inclure maintenant dans une présentation historique des événements ? 

Pour qui s'intéresse au mouvement des frontières : "Histoire de l'Europe", vidéo dans laquelle ce mouvement est présenté depuis 400 avant Jésus-Christ jusqu'à nos jours pour l'Europe et le bassin méditerranéen (son à baisser ...). Dans le même style pour le monde entier : vidéo de 16 minutes (idem pour le son !).

Ergoter sur l'espace géographique occulte une question beaucoup plus importante : quels événements prendre en compte ? On découvre alors que c'est l'enseignement de toutes les disciplines qui aurait intérêt à ne pas négliger les aspects historiques. Un seul exemple illustrera cette thèse : ce qui a dégradé l'enseignement des mathématiques en France, ce n'est pas l'introduction des mathématiques modernes dans les années 70 mais la volonté folle de faire table rase du passé en usant d'un langage parfois ridicule et censément incompréhensible pour le commun des mortels. La marche arrière opérée dans les années 80, comme un retour de manivelle, a effacé les bénéfices d'une approche moderne - essentielle aux développements techniques, notamment informatiques, et à une compréhension renouvelée des mathématiques - sans apporter d'emblée de regain significatif en faveur d'une présentation historique de cette science même si, heureusement, des efforts ont été accomplis en ce sens depuis.

En généralisant le souci d'une prise en compte des événements, les polémiques vaines touchant à l'extension du périmètre tombent d'elles-mêmes : il est évident qu'en étudiant n'importe quelle discipline d'un point de vue historique, nous sommes amenés à voir ce qui s'est passé au-delà de nos frontières. Poussant plus loin le raisonnement, nous réconcilions deux points de vue qui ont trop tendance à s'opposer : en découvrant et en apprenant des faits, des notions, des savoir-faire, ... toutes choses qui constituent une culture et un savoir, on ne perd pas de vue l'autre versant, celui qui consiste à devenir capable d'envisager toutes choses dans ses principales dimensions : historique, actuelle et future, théorique et pratique, économique et sociale, inerte et vivante, matérielle et immatérielle, naturelle et surnaturelle, corporelle et spirituelle ...

Chacune de nos mémoires est une terre qui ne demande qu'à être travaillée, ensemencée, nourrie et abreuvée pour être peuplée de souvenirs qui donneront à notre intelligence et à notre volonté d'être actives au service de tous, sans exception. Apprendre le français peut-il être encore perçu comme un pensum par celui qui comprend qu'à travers cette langue, il a désormais accès aux trésors les plus exaltants ? Aux trésors écrits par des locuteurs natifs, par des amoureux francophiles et encore par tous les traducteurs qui ont mis à notre disposition les chefs d'oeuvre du monde entier. 

Quand nous envisageons l'avenir de la France, sommes-nous assez attentifs à son insertion au sein d'un espace francophone dont la diversité est saisissante et dans lequel chaque membre apporte une contribution majeure quelle que soit sa taille, sa puissance, son degré de développement ... ? Métropole, départements et territoires d'outre-mer, Belgique, Suisse, Québec, Afrique francophone, Pays dits de l'est, Vietnam, Liban, Syrie, Moyen Orient, ...

Savons-nous, mesurons-nous la chance que nous avons d'habiter un pays largement ouvert sur l'extérieur ? Il suffit d'un seul passionné bilingue pour ouvrir la porte d'un palais à une multitude.

Palais est trop faible ! La traduction étend, devant celui qui veut bien regarder, une contrée, une région, un royaume, un continent à explorer. Incapable d'entendre et de comprendre le message venu d'ailleurs en raison de la barrière linguistique, l'explorateur se trouve soudain au contact d'autres modes de perception et de pensée. Le miracle de la traduction lui rend accessible des sommets qu'il n'aurait pu atteindre par ses seules forces. L'expérience d'une seule lecture réjouissante et profitable d'un livre traduit en français est en mesure de convaincre l'esprit le plus récalcitrant ou celui qui serait gêné par l'emphase de tels propos : "N'est-il pas exagéré d'affirmer que la traduction ouvre des horizons aussi vastes ?". 

Ouvrons "Le problème de la souffrance" de Clive Staple Lewis et lisons. Combien de lecteurs resteront insensibles à la vérité qui émanent de ces pages, au parfum enivrant de l'alliance parfaite entre intelligence, bonté et humilité ? Qui ne comprendra alors l'inanité et l'absurdité d'entretenir les divergences qui ont pu séparer les Anglais et les Français ?

En d'autres circonstances et en poussant la curiosité, le lecteur découvrira même dans les livres d'auteurs étrangers un regard original sur la littérature française qui lui ouvrira de nouveaux horizons. Ainsi en est-il par exemple de l'approche novatrice de l'écrivain croate Ivan Merz qui, lors d'un séjour à Paris, révèle en se penchant sur l'oeuvre de grands écrivains français, l'influence du culte et de la liturgie : "L'influence de la liturgie sur les écrivains français de 1700 à 1923"Cette clef de lecture venue d'ailleurs montre la fécondité des rencontres que la fascination d'une langue et d'une culture est capable d'engendrer.

Malgré les erreurs et approximations de leur traduction et publication en français, qui restera insensible aux révélations du Père Gabriele Amorth au cours d'entretiens avec Marco Tosatti parus dans un livre au titre bref : "Confessions" et sous-titré (faussement) : "Mémoires de l'exorciste officiel du Vatican", livre traduit de l'italien par Serge Filippini et publié chez Michel Lafon en 2010, (éditeur malheureusement entraîné ici par les dérives du sensationnel qui font le lit de l'incrédulité) ? Le lecteur y découvre un monde démoniaque qui tente d'agir en cachette pour passer inaperçu et faire davantage de mal.

En acceptant de concentrer ses efforts sur ce qui en vaut la peine, le citoyen, conscient de ses responsabilités, n'accédera pas seulement aux fruits des génies et saints de son pays mais aux jardins les plus exotiques et les plus éloignés de ses repères habituels. Il saisira avec plus d'acuité le drame de l'ignorance et de l'indigence qui frappe tous ceux qui, sous prétexte de conserver des richesses mangées par les vers et rongées par les mites, tentent de fermer les frontières de leur pays aux influences venues d'ailleurs. Le témoignage de Francis Collomp, otage au Nigéria, apprenant à l'un de ses geôliers âgé de 20 ans que la terre est ronde, montre à quel degré d'ignorance conduisent des positions fermées à l'extrême.
   
Au fur et à mesure qu'avance notre vie, nous prenons conscience de la valeur du temps. Parmi toutes les oeuvres qui attendent notre bonne volonté, comment choisir celles qui éveilleront notre sensibilité et transformeront notre coeur de pierre en coeur de chair ? Le génie des belles lettres et des beaux-arts, seul, est-il capable d'engendrer cette métamorphose sans laquelle nous nous agitons en vain ? 

Agir pour soi, pour son propre compte, pour défendre les intérêts de ses proches devient une tâche de plus en plus ardue dans un monde où la multiplication des mouvements et des chocs produit une élévation de la température, où le solide tend à fondre tandis que ce qui est liquide s'évapore. Le réchauffement climatique, qu'il soit accéléré par l'activité des hommes pour les uns ou qu'il ne le soit pas pour les autres, traduit en somme, sur le plan géologique, l'emballement qui gagne nos coeurs, nos esprits et nos corps, notre planète tout entière. 

Où puiserons-nous la sérénité et la tranquillité d'âme plus que jamais nécessaire pour une prise de décision qui ne tourne pas à la catastrophe ? Que dire alors, par surcroît, des décisions politiques et des discours publics qui ont un retentissement très large ? 

Ajouté le 12 juillet 2019 :

Pays de volailles colorées et si diverses, notre France compte un grand nombre de plumes talentueuses ! En guise d'intermède, voici une lettre inventée par David Brunat à l'adresse de Cédric Villani, le 11 juillet 2019, après sa défaite à l'investiture pour les élections municipales de 2020 à Paris, lettre dans laquelle Henri Poincarré félicite son confrère pour son travail en politique et se réjouit d'un retour possible de notre champion dans le giron mathématique, loin des chausse-trappes d'une politique épineuse et filandreuse.

Saurons-nous préférer ce qui ne fait pas de bruit à la fièvre médiatique ? Aurons-nous l'audace de choisir ce qui ne paye pas de mine ? Voulons-nous éprouver la joie de celui qui désire peu mais le plus haut : "Le peu de connaissance qu'on atteint touchant les connaissances les plus hautes est plus désirable qu'une science plus certaine des choses moindres. " (Saint Thomas d'Aquin).

Tout projet présidentiel et le projet France 2022 ne seraient pas complets s'ils n'incitaient pas chaque citoyen à cultiver le meilleur de ses talents. Prévoir des changements judicieux et réussir à les mettre en oeuvre ne suffit pas à donner plus de coeur à une nation, à lui rendre confiance, à l'inviter au dépassement : une telle évolution dépend aussi de la mobilisation de chacun, qu'il ait une responsabilité dans la conduite des affaires publiques ou qu'il n'en ait pas. (Tribune : Gestes politiques à la portée de chacun d'entre nous).

On ne redira jamais assez combien le monde contemporain a besoin de personnes qui s'engagent à contribuer au bien de tous plus qu'à chercher les moyens d'accroître leur rétribution, d'améliorer leur position ou leur confort. L'abnégation requise pour développer cette attitude ne se commande ni ne se décrète. Elle résulte d'une connaissance toujours plus nette des véritables enjeux de chacune de nos vies et d'une connaissance plus parfaite de Jésus-Christ qui nous conduit à l'imitation du don total de sa Personne. (Voir à ce propos le témoignage bouleversant et saisissant d'André Levet).

Comment découvrir ces enjeux sans être pris par l'orgueil ou tenté par le désespoir ? Comment joindre l'audace et l'humilité ? John Wu (lien en anglais) pense que la simplicité est la clef de cette alliance mais sans l'aide de Dieu, et plus précisément du Saint-Esprit, la simplicité ne s'acquiert pas facilement : 

"Lui seul peut réunir harmonieusement des tendances qui, normalement, devraient grincer. C'est Pierre de Bérulle qui dit de Saint Augustin : "Considérez ce grand saint : il a, par un pouvoir singulier de Jésus-Christ et de sa grâce, des bénéfices qui humainement sont incompatibles ; il est très savant et très humble, ce qui se voit rarement ; il est très spéculatif et très actif, ce qui n'est pas moins rare ; et, au lieu qu'en la plupart des docteurs, on ne rencontre que la science, on trouve en celui-ci un certain sel de sapience qui fait goûter ce qu'il dit et qui, par un privilège qui n'est pas commun, fait passer la vérité de l'esprit au coeur". Le Saint-Esprit qui élit sa demeure dans l'âme d'un saint transforme tous ses talents, savoir, intelligence et vertus en combustibles pour le brasier d'amour. Seul un feu maigre peut s'étouffer sous la recharge. Le brasier consume tout ce qu'on lui offre. Et l'âme du saint est un brasier : plus on l'alimente, plus la flamme est vive." 

(Le carmel intérieur, John Wu, Casterman 1958, p. 130).

Quelles oeuvres anciennes vont revenir à la surface de notre époque, quelles oeuvres remonteront demain ? Quelles réalisations spirituelles, caritatives, politiques, artistiques et scientifiques vont traverser les siècles et demeurer capables d'inspirer les générations à venir ? 

Alors que la numérisation des documents et le réseau Internet multiplient les possibilités de contact, nous pourrions être tentés de croire à la fin des intermédiaires, de tous ceux qui jusqu'à maintenant jouaient le rôle de témoin en étant des traits d'union entre hier et aujourd'hui. Pourtant, bientôt submergés par l'afflux de sollicitations en tous sens, capables d'accéder à une multitude d'informations, nous comprenons vite que, sans l'aide de tiers instruits, l'abondance de biens immatériels n'est qu'apparente : nous aurons besoin, de plus en plus d'amis véritables qui sauront respecter le champ de nos engagements et de nos devoirs, aussi ordinaires soient-ils, et diriger nos pas vers les sources les plus limpides et les plus sûres tant il est vrai que choisir ses lectures (Tribune de Michel Volle), choisir ses nourritures spirituelles, choisir où s'abreuver n'a rien d'immédiat.

Le politique, broyé par l'intensité de ses responsabilités, plus que d'autres, devra à un cercle d'intimes complètement désintéressés et à une multitude priante de garder les pieds sur terre et la tête au ciel pour décider, dans les moments les plus rudes, de sauvegarder l'intérêt général, le bien commun et la vie des plus humbles quand d'autres, mal intentionnés ou malheureusement dans l'erreur, auront juré d'avoir sa peau, son honneur ou ... gain de cause. 

Les décennies que nous venons de vivre et qui nous ont épargné d'autres guerres n'ont pas pour autant éloigné la violence des combats politiques. Sans perdre de vue le triomphe ultime de la Vérité et de l'Amour, nous devons rester attentifs aux luttes sourdes mais bien réelles qui se trament encore et ne manqueront pas, à chaque nouvelle échéance électorale, d'envahir le champ médiatique comme un volcan sous marin dégaze heureusement à la surface des eaux lui évitant ainsi d'exploser.

Nous fêtions le 25 août 2010 saint Louis, roi de France qui disait : "Les hommes sont étranges ; on me fait un crime de mon assiduité à la prière et on ne dirait rien si j'employais des heures plus longues à jouer aux jeux de hasard, à courir les bêtes fauves, à chasser aux oiseaux." (In Parole et Prière, août 2010, p. 249)

En 2010 et depuis longtemps, nous disposons en France de quoi alimenter notre réflexion, nourrir notre esprit aux sources les plus vives. Les âmes de bonne volonté ont cette possibilité en permanence : il ne se passe pas un jour où le soleil se couche sans qu'elles n'aient eu part à un repas spirituel qui les rassasie et leur donne l'élan pour avancer, le courage de tenir bon. 

Comment ne pas laisser résonner en son coeur un enseignement de grande qualité tel que celui-ci : "Dans la parabole des vierges sages et des vierges folles (Mt. 25,1-13) quand ces dernières manquèrent d'huile, il leur fut dit : " Allez en acheter au marché. " Mais en revenant, elles trouvèrent la porte de la chambre nuptiale close et ne purent entrer. Certains estiment que le manque d'huile chez les vierges folles symbolise l'insuffisance d'actions vertueuses faites dans le courant de leur vie. Une telle interprétation n'est pas entièrement juste. Quel manque d'actions vertueuses pouvait-il y avoir puisqu'elles étaient appelées vierges, quoique folles ? La virginité est une haute vertu [...] Moi, misérable, je pense qu'il leur manquait justement le Saint-Esprit de Dieu. Tout en pratiquant des vertus, ces vierges, spirituellement ignorantes, croyaient que la vie chrétienne consistait en ces pratiques. Nous avons agi d'une façon vertueuse, nous avons fait oeuvre pie, pensaient-elles, sans se soucier si, oui ou non, elles avaient reçu la grâce du Saint-Esprit. De ce genre de vie, basé uniquement sur la pratique des vertus morales, sans un examen minutieux pour savoir si elles nous apportent - et en quelle quantité - la grâce de l'Esprit de Dieu, il a été dit dans les livres patristiques : " Certaines voies qui paraissent bonnes au début conduisent à l'abîme infernal " (Pr 14,12) [que l'on traduit aussi : "Tel chemin paraît droit au début mais, en fin de compte, c'est le chemin de la mort"] 

dimanche 11 juillet 2010

France 2022 : L'Europe et la France (2ème partie)

Nous avons abordé la question monétaire et rappelé l'intérêt d'une relance ciblée de la coopération économique en Europe dans une première partie (tribune du 9 mai 2010). Examinons trois autres domaines : la diplomatie, la défense et la religion.
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Après un vingtième siècle marqué si fortement par l'athéisme, la question religieuse intéresse l'homme contemporain : instruit des erreurs du passé, il se demande comment dépasser les conflits qui ont envahi, particulièrement en Europe, l'esprit de quelques-uns puis le champ de la conscience collective. 

L'observation patiente du fonctionnement général des groupes religieux apporte une réponse limpide : ceux-ci naissent et progressent de la même façon que tout groupe humain lié par un ensemble de connaissances. Un voyant, un génie, un être inspiré, ... met en lumière par son travail, ses recherches, ses efforts, ... une connaissance inédite. Ses proches perçoivent dans ses paroles, ses actes et ses attitudes une nouveauté qu'ils acceptent ou rejettent selon leur état d'esprit, leur disposition de coeur et la connaissance qu'ils ont déjà du domaine touché par cette nouveauté. Que vous vous penchiez sur l'histoire des idées depuis la nuit des temps, sur l'histoire des sciences, des arts ou des religions, vous observerez toujours le même mécanisme. Combien de penseurs, de savants, d'artistes et de mystiques ont été d'abord ignorés ou persécutés avant que ne soit reconnue la valeur de leurs apports ? Si tous ne l'ont pas été, on reste frappé par la constance et la violence du rejet ou de l'oubli dont ils ont fait l'objet.
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Quand un groupe humain a reconnu la valeur d'une nouveauté et qu'il choisit d'en vivre, il arrive qu'il soit lui-même persécuté. Les violences qu'il subit sont alors d'autant plus grandes que la nouveauté dérange ceux qui n'y adhèrent pas. Ces violences peuvent durer des années et même des siècles. Prise entre le marxisme et le nazisme - le matérialisme et l'idéalisme exacerbés, ces deux machoires de l'athéisme militant - la communauté juive et plus largement judéo-chrétienne a souffert au XXème siècle un martyre encore plus effroyable que sous l'empire romain. Que l'Europe ait été le foyer principal de cette barbarie n'est pas sans conséquence sur les politiques qui peuvent être menées sur son territoire, à ses frontières et au-delà.
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Les groupes humains, qu'ils soient religieux au sens où ils partagent une même connaissance sur Dieu ou qu'ils soient laïques au sens où ils sont unis par une même science profane, sont à la fois des corps intermédiaires dans chaque nation où ils sont présents et des corps supranationaux puisqu'ils sont le plus souvent implantés dans différents pays. En cela, ils sont semblables aux sociétés commerciales. Tous ces corps qui dépendent à la fois de la puissance d'un Etat pour leur protection et qui en dépassent les frontières quant à leur périmètre ont nécessairement des rapports complexes avec les autorités d'un pays. Ce serait être bien naïf que de s'étonner du surgissement ici et là de conflits, non seulement entre des entités représentatives, mais au sein même de la conscience de quelques-uns. Elargir le champ du politique aux dimensions de l'Europe ne résout pas totalement ces conflits : les dimensions de la communauté juive, de l'Eglise ou de la Umma dépassent encore les frontières de l'Europe.
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Les multiples appartenances d'un citoyen connaissent des tensions et les tentatives pour éviter ces dernières sont aussi nombreuses que les fleurs des champs : on ne compte plus le nombre de philosophies, plus ou moins systématiques, qui ont essayé d'atteindre non la sagesse mais des positions utopiques où l'homme serait libéré de pôles présentés comme asservissants ou simplement gênants. La liberté ne consiste pas pourtant à détruire les corps hérités du passé : la liberté se manifeste dans la quête d'une compréhension fine de l'histoire de ces corps anciens, de leurs raisons d'être et de leurs fonctions. Qu'il faille les transformer, les adapter, les perfectionner ne fait aucun doute mais vouloir détruire avant d'avoir réfléchi et expérimenté n'apporte que désastres et horreurs. La déculottée électorale qu'essuya naguère un homme politique français aura marqué notre époque. Plus attentifs, nous aurions pu y déceler l'annonce d'un changement significatif : ceux qui professent le goût de détruire n'ont aucun avenir en cette période qualifiée parfois de postmodernité. Revenus, pour un temps et espérons-le pour toujours, des solutions nihilistes, nos contemporains n'accordent plus aucun crédit à ceux qui les prônent.
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La chance et la grandeur de l'action politique est d'être en prise directe avec la chair de la société tout en étant fortement influencée par les positions philosophiques. Plus qu'un intellectuel qui se contenterait de disserter sur les causes de malheur et leurs remèdes, le politique expérimenté et pleinement conscient de ses responsabilités se souvient que les ruptures à venir s'inscriront dans une continuité qu'on ne brise pas impunément. Si le combat des idées peut conduire à proférer quelques menaces sur les corps, les institutions, les structures, ... déjà en place, mieux vaudrait pour celui dont la langue a fourché qu'il ne dégaine pas son épée. A trop vouloir trancher les têtes, on en vient à perdre et la mesure et la raison.
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dimanche 27 juin 2010

France 2022 : La nécessité de la prière


                                               "Nous avions mérité de ne pas prier ;
                mais Dieu, dans sa bonté, nous a permis de Lui parler."

Saint Curé d'Ars


"Prier, ce n'est pas tout. Il faut prier en action."

Sainte Marie-Eugénie de Jésus


Prier peut être présenté comme une obligation morale : louer son Créateur, le remercier pour ses bienfaits, l'invoquer pour un secours, ... quoi de plus normal et d'élémentaire, semble-t-il, pour celui qui croit en l'existence de Dieu et, plus encore, en sa présence agissante dans le monde. Ici, nous allons nous situer sur un autre plan puisque nous évoquerons la prière en lien avec l'action politique. Sur ce plan, nous n'aborderons que la prière personnelle, secrète, non ostentatoire.


Chacun est en mesure de se dire : "Que je pense ou que j'agisse, je finis toujours par découvrir les limites de mon propre entendement". La confrontation avec d'autres intelligences apporte parfois un supplément de lumière quand il nous arrive de ne pas savoir par où commencer, de ne pas savoir comment poursuivre ou achever un travail.


Par "limites de l'entendement", nous n'entendons pas seulement : "limites de la raison". Ce serait courir le risque de réduire la prière à un dépassement de la raison : chaque fois que notre raison serait en panne, nous n'aurions plus qu'à prier.

Dans l'opposition classique entre foi et raison et dans les tentatives de réconciliation, il manque le plus souvent une définition claire de ce que l'on entend par raison. Nous proposons ici d'en limiter le sens en s'inspirant de sa signification mathématique : la raison, faculté de l'intelligence parmi d'autres, nous fait progresser, avancer pas à pas sur un chemin déjà balisé. Il devient alors évident que cette seule faculté ne suffit pas. Il manque au moins une faculté d'orientation, celle qui permet de choisir le chemin sur lequel s'engager. 

Creuser les distinctions montre que l'intelligence humaine est multiforme. En voici une parmi d'autres : l'intelligence humaine est à la fois mélodique et harmonique. Quand elle est puissamment mélodique, nous percevons dans son expression des facilités et des merveilles qui nous surprennent. Quand elle se déploie harmoniquement, nous sommes fascinés par la profondeur de ses accords. Mélodique, elle nous entraîne. Harmonique, elle nous invite à la contemplation.

Que l'on pense ou que l'on agisse, on finit de surcroît par découvrir les limites de sa volonté. Etre persuadé du bien fondé de s'engager sur un chemin et d'y progresser ne suffit pas pour le parcourir, s'y maintenir, aller jusqu'au bout, dépasser les obstacles, ... : il y faut des sursauts de volonté, de la ténacité, de la hardiesse, du courage, ... Les circonstances ne manquent pas qui vous apprennent ou vous rappellent que vous n'êtes pas un surhomme.

En se présentant comme nouveau candidat, quel opposant au pouvoir en place montrera aux électeurs cette grandeur d'âme qui ne cède pas à la facilité d'une critique outrageante, hystérique ou simplement excessive voire mensongère ? Il est certain que l'époque contemporaine laminera tous les politiques qui verseront dans l'outrance et se révéleront incapables d'établir un bilan critique qui soit à la fois juste, complet et non partisan. Engagé dans le combat des idées, enivré par la quête du pouvoir, le politique qui ne prie pas demeure incapable de formuler des critiques pertinentes : il se laisse emporter par la vindicte et il passe son temps à dénoncer. La prière incessante redonne au coeur tourmenté le sens de la louange et de l'admiration. Elle lui apprend aussi à juger avec sagesse, à critiquer intelligemment et de manière constructive.

Pour faire entrer concrètement la louange dans l'action politique, nous pouvons compter sur la bonne volonté des âmes qui comprennent mais nous devons aussi prévoir des dispositions pratiques qui contraindront les plus récalcitrants. Il s'agit, ni plus ni moins, de modifier en profondeur la façon de conquérir les places fortes de notre démocratie élective. Chaque prétendant à un trône quelconque sera désormais tenu d'établir un vrai bilan de l'action de celui qu'il a l'intention de remplacer : un bilan qui n'omettra pas de signaler les points positifs et qui, pour chaque point qu'il aura perçu comme négatif, précisera les mesures qu'il entend prendre à l'avenir pour remédier aux carences qu'il aura relevées. C'est évidemment beaucoup plus contraignant et difficile que de se livrer à un pilonnage abusif ou mensonger des positions adverses. Cela est même au-dessus des forces de tout politique qui n'aurait pas l'habitude de se recueillir en silence et de prier dans le secret.

L'esprit qui s'est fortifié dans la prière perçoit la réalité avec une acuité et une bienveillance qui éloignent de lui la tentation d'accuser : conscient de la complexité du réel et des forces qui sont en jeu, il se garde de séparer les hommes en bons et en méchants ; il laisse à Dieu la faculté de juger en dernier ressort. Il cherche au contraire à imiter la miséricorde divine.

Si la réception de l'héritage - sa perception et la façon d'en parler - exige d'être assidu à la prière, sa transformation demande tant de lumières que nul ne peut espérer y contribuer sans redoubler d'efforts dans l'écoute des paroles dont le sens dépasse l'entendement humain. L'action politique tire sa noblesse de son adhésion à un projet qui embrasse toute l'humanité. Au fur et à mesure que la terre se peuple et que les interactions entre les pays s'intensifient, comment s'imaginer que la conduite des affaires publiques puissent encore échoir à des personnes qui ne prennent pas le temps d'élargir leur conscience aux dimensions de la planète et de l'univers ? Ceux qui se perdent dans la misère de l'accusation à outrance, de la médisance ou de la calomnie, comment peuvent-ils espérer se voir confier des missions qui exigent un regard d'amour universel et une compassion de chaque instant ?

Un esprit simplement raisonnable a le droit de contester l'existence d'un projet auquel l'action politique aurait à participer : comment la raison, seule, serait-elle capable, sans le secours de la prière, de découvrir les enjeux, l'étendue, les tenants et les aboutissants de ce projet ? Dès qu'un être doué d'intelligence se donne la peine d'entrer sur le chemin de la prière, il découvre sa double appartenance : d'une part, il est de son temps, en un lieu donné, membre d'une communauté terrestre ; il appartient d'autre part à un monde où se tissent, sur la trame des jours, des liens invisibles. La frontière entre terre et ciel n'est pas une ligne de séparation entre deux réalités étrangères l'une à l'autre. Une seule vie anime ces deux royaumes même si elle se déploie selon des modalités différentes.

Assidu et fidèle à la prière, le coeur de l'homme échappe aux pièges de la volonté de puissance et résiste au démon de l'accusation.

Pour aller plus loin : http://jesusmarie.free.fr

lundi 7 juin 2010

France 2022 : Faims des hommes



                              
                                "On peut dire schématiquement
que le monde ne dort plus, 
                                l'une de ses moitiés 
tenue éveillée par la faim
                                et l'autre par la peur des affamés."



                                                                                 Abbé Pierre





Alors que les hommes s'inquiètent de plus en plus pour l'avenir de la planète "Terre", dégradée, épuisée, salie par la course en avant de nos appétits, comment rassasier les hommes en évitant les désastres écologiques et sanitaires ? 

Comment conjurer cette peur de manquer qui gagne le coeur de ceux qui estiment que nous sommes déjà trop nombreux et que nous allons vers une pénurie généralisée : manque d'énergie, manque d'espace, manque de nourriture, manque de matières, ... ?

Une histoire destinée aux enfants raconte la guérison d'un tyranosaure qui ne pouvait s'empêcher de dévorer ses amis. Un rat lui apprend à préparer un repas et à se nourrir autrement. Si chacun de nous consentait à réorienter ses faims, le monde connaîtrait une plus grande paix et l'angoisse du lendemain cesserait d'être lancinante, paralysante et encombrante.

Le politique, seul, est impuissant pour endiguer le désarroi des hommes de ce temps. Le démagogue comme l'alarmiste parle dans le vide : chaque citoyen tend à vivre au jour le jour. "Advienne que pourra ... Après moi le déluge ... Les hommes trouveront bien comment s'en sortir ...". 

Grande est la tentation de remettre à plus tard les orientations et les actions qui pourraient préparer un avenir moins sombre. Grande est la tentation aussi de penser et d'agir comme si l'homme était de trop sur une planète où tout irait tellement mieux s'il n'était pas là. Après la "mort de Dieu", allons-nous assister à "la mort de l'homme" ?

Le premier pas pour sortir du marasme mental où nous sommes consistera à ne pas vouloir mettre du cyclique partout. Ce n'est pas parce que la vie sur terre s'organise autour de cycles fondamentaux (cycle de l'eau, cycle des échanges gazeux entre le monde animal et le monde végétal, chaîne alimentaire, ...) que nous devons tout penser en terme de régime circulaire. Il nous faudra toujours garder à l'esprit que la venue de l'homme introduit une discontinuité dans l'histoire de l'univers. Plus exactement, l'apparition de l'homme rappelle que l'univers a eu un commencement et qu'il aura une fin : il ne tourne pas en rond. Les répétitions que nous pouvons observer n'épuisent pas la variété des phénomènes qui s'inscrivent dans des processus réversibles ou irréversibles. Sortant d'une vision mythique du monde où s'exprime finalement la peur du changement, nous cesserons de nous alarmer de manière excessive des transformations inéluctables de notre environnement. Il est clair par exemple que l'expansion des hommes engendre le recul des formes de vie sauvages. Où l'humoriste notera au passage qu'en terme de sauvagerie, l'homme se défend bien. Quand le vautour, l'ours ou le loup deviennent plus rares, l'humanité n'oublie pas de les (mal) imiter en donnant naissance à quelques prédateurs bien plus redoutables.

Quand nous passons à table, un surcroît de vigilance nous donne de sortir de la routine. La variété des plats pour les mieux lotis ne suffit pas à produire ce réveil. La nécessité, la répétition et même la monotonie risquent d'arracher de notre coeur l'élan de reconnaissance manifestant que nous sommes pleinement conscients de la succession et de la somme des efforts qui ont rendu possible notre restauration. Pour ceux qui ont encore l'audace, l'énergie ou la simple habitude d'y penser, dire quelques mots pour bénir la table et ceux qui l'ont préparée, les engage sur un chemin qui dépasse l'entendement immédiat. Tandis que leurs lèvres prononcent des paroles banales semble-t-il, le coeur intelligent comprend toute la portée de la bénédiction. Elle s'étend à une multitude d'hommes et de femmes qui, par leur travail quotidien, engendrent le miracle d'une table bien garnie. Cela est vrai aussi bien dans une économie d'interactions multiples que dans des systèmes plus archaïques où dominent la cueillette, la pêche et la chasse.

Passer du temps à explorer les circuits des aliments et des accessoires de la table, à retrouver en pensée la chaîne des métiers et des savoirs faire, à visiter par l'imagination les lieux et les temps des travaux nutritifs est une source de joie et de jubilation qui rassasie l'âme et chasse du coeur de l'homme toute peur infondée : tout concourt au bien de celui qui apprend à reconnaître la structure de prime abord invisible d'un monde, pensé et organisé pour cet être vivant tenté de se prendre autant pour le roi de l'univers que pour la chose la plus abjecte.

samedi 22 mai 2010

France 2022 : Des causes désargentées



«Travailler à réconcilier 
l’homme et l’économie, 
c’est faire œuvre d’éternité» 






En France, comme ailleurs, nous avons d'une part la situation réelle du pays et d'autre part les sentiments que suscite cette situation. S'il choisit d'intervenir seulement en psychologue ou à la manière d'un magicien, le politique va s'en tenir au travail sur les sentiments : que puis-je proposer et faire pour que le sentiment général s'améliore ? Que puis-je dire de surcroît afin que l'on m'attribue le mérite de cette amélioration et qu'ainsi se maintienne ma position, mes prérogatives et mon pouvoir d'influence ?! Questions cruciales pour quelques politiques - dont certains sont très haut placés - davantage préoccupés par leur propre sort que soucieux de résoudre les problèmes épineux qui se posent aujourd'hui.

On aurait tort certainement de ne voir dans cette attitude qu'artifice et goût immodéré pour l'illusion : le regard porté sur tout ce qui concerne notre pays mérite d'être étudié et, pour ainsi dire, travaillé au corps. Si nous sommes englués dans les problèmes, nous risquons de passer à côté d'une occasion favorable. Si nous minimisons un risque, nous sommes en grand danger d'avoir à nous réveiller brutalement ...

Pour connaître les marges de manoeuvre dans l'ordre du sentiment, nous disposons aujourd'hui d'une quantité étourdissante de sondages qui mesurent les opinions et les humeurs. Ces sondages permettent, au prix d'une analyse bien menée, de se faire une idée du sentiment général à propos de questions diverses : moral des ménages, confiance des entrepreneurs ou des investisseurs, intentions des électeurs, préoccupations des uns et voeux des autres ...

Penser que ces mesures statistiques sont inutiles ou fausses, croire que cela est sans importance, ce serait négliger les voies du coeur en estimant que seules les actions froidement orchestrées sont capables d'emballer une nation et de l'encourager à se dépasser. Le lecteur intéressé par les questions subtiles que pose l'usage des statistiques pourra lire avec profit "Système 1, système 2. Les deux vitesses de la pensée", livre dans lequel Daniel Kahneman montre avec brio la difficulté du raisonnement statistique, ses pièges mais aussi son grand intérêt.

On pourrait dire : "Allez-vous confondre mesures d'opinion et sentiments enfouis ? Oubliez-vous que le coeur est organisé en couches : ce qui l'effleure est sans commune mesure avec ce qui le blesse en profondeur ?". Oui, il ne s'agit pas de confondre une vague humeur passagère et l'oppression d'un malaise radical ou la souffrance qui paralyse, amoche ou anéantit.

Nous ne traiterons pas ici du sentiment et de sa prise en compte dans l'action politique. Que le sentiment soit fort ou superficiel, paraisse justifié ou inexplicable, ne sera pas notre première préoccupation bien que cela soit non négligeable : quand un homme politique dynamique s'étonne de l'apathie d'un plateau de jeunes lors d'une émission télévisée, il suffirait qu'il veuille bien entendre ceci pour comprendre : "Mais Monsieur, depuis 1975, nous sommes des survivants ! Il manque déjà à l'appel un quart du plateau, anéanti sous les coups d'une vache folle : cette médecine de bazar qui a renié l'essentiel du Serment d'Hippocrate."(Serment qui stipule dans sa version moderne : "Je ne provoquerai jamais la mort délibérément.")

Nous aborderons en priorité les causes désargentées qui ne suscitent, le plus souvent, aucun élan du coeur mais plutôt des mouvements d'humeur : les années de formation des jeunes et le temps de la retraite. En ajoutant les soins aux malades ou aux accidentés, nous avons le trio noir, gris ou or, selon les coeurs, de ces causes nationales ... sans argent. Trio incomplet puisqu'il manque encore la défense, la justice, ... . 

Qu'ils bondissent et touchent le plafond ceux qui, prenant à pleines mains le livre des comptes de la nation, vous le lanceront à la figure pour bien vous faire comprendre qu'en 2010, nous n'avons jamais autant dépensé pour le trio principal des causes désargentées. Ils n'ont pas tout à fait tort mais qu'ils gardent leur calme ... et qu'ils n'oublient pas que de telles causes vivent, par nature, aux dépens des activités immédiatement bénéficiaires. Qu'ils n'oublient pas enfin que des soins prodigués intelligemment et avec coeur ont un rendement économique indubitable et même prodigieux : toute personne bien soignée peut témoigner des bienfaits reçus et devenir l'apôtre ardent de résurrections inespérées.  Voir à ce propos tout le travail accompli par des associations telles que les Alcooliques Anonymes.

Pour l'économiste enragé qui ne raisonne qu'en termes de production, de rendement et de productivité, les causes désargentées sont doublement pesantes : l'élève, le patient et le vieillard sénile coûtent deux fois, en étant d'abord improductifs et en mobilisant ensuite un actif qui pourrait ... produire. Il est utile de rappeler que cette vision qui assimile l'humanité à une machine ou à une fourmilière, n'est pas défendue publiquement de manière aussi caricaturale mais qu'elle alimente les idéologies qui conduisent à l'anéantissement du propre de l'homme et ... de l'animal le plus sauvage : faire corps autour du faible et de l'affligé, défendre celui qui est menacé, ralentir la marche pour attendre celui qui n'en peut plus, prendre soin de celui qui souffre, éduquer les plus jeunes, respecter les anciens. Le faire le plus souvent. L'oublier quand un péril extrême survient ?! Serions-nous donc en si grand danger pour nous laisser emporter par l'oubli ?

L'économiste échevelé ne s'aperçoit pas que l'école est non seulement un lieu d'instruction et d'éducation mais aussi une garderie sans laquelle tous les actifs qui sont parents ne seraient pas libres d'aller et venir, de vaquer à leurs affaires ! L'économiste écervelé oublie encore que l'hôpital, la maison de retraite et tant d'autres institutions assument un rôle qui mobiliserait beaucoup d'actifs producteurs ... incompétents en matière de soins ou d'accompagnement. 

Une vision naïve ou superficielle de la vie humaine ouvre une fenêtre de tir trop large à tous les propagandistes de méthodes ou de possibilités abusivement qualifiées de généreuses et de progressistes : contraception artificielle, mariage triste, avortement et euthanasie. En toile de fond de toutes ces fausses générosités, on retrouve toujours la tentation et la volonté plus ou moins affichée de réduire le poids des causes humaines désargentées, de la petite enfance à la vieillesse extrême en passant par tous les accidents de la vie.

Ramer à contre courant de ces tendances suicidaires n'est pas se crisper sur un passé révolu : on a beaucoup éliminé et tué autrefois ; d'innombrables enfants sont morts en bas étage faute d'hygiène ou de soins médicaux appropriés ; une multitude de femmes sont mortes en couche ... et l'homme a déjà eu recours aux expédients les plus sordides pour essayer d'alléger le poids des causes désargentées. Que certains essaient d'amplifier le phénomène ne doit pas décourager la grande majorité des citoyens qui comprennent que la dissolution des problèmes dans l'acide sulfurique des solutions malthusiennes, morbides ou mortifères, entache le tissu social de graves brûlures et le déchire en maints endroits car lorsque le malheur redouté - a tort ou à raison - est occulté par une misère plus noire encore, il ressurgit tôt ou tard au centuple : le meurtre de l'enfant avant sa naissance fait partie de ces fausses "bonnes" résolutions qui engendrent ipso facto des douleurs quasi insupportables quelques jours, quelques mois et bien des années plus tard. Les dénégations des femmes qui prétendent avoir dépassé cela sans le moindre souci occultent mal leur propre souffrance et celle de tant d'autres qui n'en peuvent plus, les addictions diverses qui ont comblé le manque, la déchéance qui s'en est suivie pour certaines d'entre elles. Le prix à payer de tout avortement est incommensurable et seule la Miséricorde infinie de Dieu peut en racheter la dette.

En un sens, nous devrions nous réjouir : l'accumulation de la dette publique n'est-elle pas le signe que la nation française vit au-dessus de ses moyens et qu'elle le fait essentiellement pour subvenir aux besoins des causes désargentées tout en les amplifiant par des mesures politiques aberrantes telles que l'avortement promu au rang de droit fondamental ? Voilà pourquoi certains s'énervent quand on leur dit que l'on ne fait pas assez pour ces causes et pourquoi d'autres s'étranglent quand ils voient les piètres résultats de notre système scolaire.

Au lieu d'y aller par quatre chemins, pourquoi ne pas se rendre à l'évidence ? En devenant majoritairement citadines, nos sociétés modernes n'ont pas su s'adapter à la nouvelle donne : beaucoup moins de paysans pour produire beaucoup plus du côté des campagnes et un déficit chronique de main d'oeuvre pour les champs de l'an 2000 au coeur des cités, l'immense pépinière des têtes brunes, blondes et rousses. Il suffirait pourtant de bien méditer cette évidence pour comprendre enfin pourquoi une partie de notre jeunesse va si mal. 

Les personnes âgées qui participaient jusqu'à leur dernier souffle aux travaux des champs, à la garde des enfants en bas-âge et à bien d'autres tâches de la ferme n'attendaient pas l'heure fatidique de leur soixante et unième année ou de leur retraite anticipée avec cette envie mêlée d'angoisse qui s'est emparée aujourd'hui de tous ceux qui n'ont d'horizon que les fourches caudines de la retraite citadine, le hamac d'une station balnéaire pour les plus fortunés ou le passe-temps addictif pour d'autres. Il y a une façon inadéquate de lire ce qui précède : caricaturer la position en prétendant que nos retraités ne font rien dans les villes alors que nombre d'entre eux assument désormais des tâches d'éducation et de garde, et de formation ... auprès de leurs petits-enfants. Combien d'hommes et de femmes peuvent d'ailleurs témoigner pour dire tout ce qu'ils doivent à leurs aînés ?

Il nous faut maintenant, et c'est un enjeu vital pour la société française, passer à la vitesse supérieure : favoriser dans tous les domaines de l'éducation, la présence des anciens auprès de notre jeunesse, non seulement des retraités mais encore des jeunes gens sortis des limbes. L'enjeu de ce mouvement est vital pour tous : enfants, parents, jeunes actifs ou personnes âgées. 

Allons plus loin. La règle d'or de toute retraite bien pensée et bien menée devrait être celle-ci : ce que j'ai reçu gratuitement et même acquis au prix de mes efforts, je le rendrai ou le donnerai au centuple. Proposer que le montant des pensions de retraite (tribune précédente) soit le même pour tous n'est pas seulement une question d'organisation sociale ou de justice, c'est plus profondément la réponse à l'angoisse qui habite le coeur de l'être accomplissant ses derniers pas sur la planète Terre : ma crainte légitime d'une mort annoncée se mue en joie sans mélange quand j'apprends à devenir léger et à quitter mes possessions, à passer le relais ou le témoin. 

Le désenchantement de notre monde céderait du terrain si nous pouvions lire sur le visage des plus anciens le bonheur de transmettre, le goût de l'aventure spirituelle, l'insouciance des (jeunes ?) années, l'attente pacifiée d'une fin inéluctable. Non, la vieillesse n'est pas un naufrage. Du moins ne l'est-elle pas inexorablement. Elle l'est d'autant moins pour celles et ceux qui ne quittent pas le pont, la barre ou même le navire dès que sonne l'heure de leur cinquantaine révolue.

Faute d'espérer des ressources supplémentaires, certains proposent de faire jouer des possibilités de vase communicant : diminuer le budget de la défense, par exemple, pour alimenter davantage celui de l'école. C'est beau sur le papier. Cela se défend à la marge. Cette utopie généreuse est malheureusement fondée sur l'oubli des coûts cachés et des menaces qui ne cessent de peser sur toute société, aussi organisée soit-elle. Sujets brûlants que le projet France2022 abordera à maintes reprises comme par exemple dans les tribunes : Brève analyse du marasme économique en France et ailleurs
ou Pourquoi deviennent-ils djihadistes ? ou encore Création d'une monnaie de Service et d'Abondance.

mardi 18 mai 2010

France 2022 : Pensions de retraite

Le printemps 2010 met en lumière la question préoccupante des pensions de retraite en France comme ailleurs en Europe : population vieillissante et renouvellement démographique en déclin inquiètent tous ceux qui essaient d'assurer le maintien de notre système de répartition dans lequel ce sont les travailleurs actifs qui cotisent pour les personnes à la retraite.

Même si cela n'est pas l'usage actuel, notons que le montant des pensions devrait dépendre seulement du nombre d'années de cotisation et non pas aussi d'un nombre de points acquis en fonction des revenus perçus au fil des ans : quand un actif cotise pour une personne à la retraite, ce qu'il verse est destiné à assurer une vie décente à ceux qui ne peuvent plus travailler et non pas à récompenser des "mérites" acquis. Si l'on veut tenir compte de ces mérites (et pourquoi pas puisque c'est ce que l'on fait aujourd'hui), il convient de s'appuyer sur des éléments de capitalisation. Ce n'est plus de la répartition. Il n'est pas difficile d'objecter que les points acquis constituent une clef de répartition et qu'il serait inéquitable de supprimer cette clef. Nous constestons la justesse de cette clef. Ce n'est pas la seule clef de répartition possible. Ceux qui ont élevé une famille nombreuse pourraient dire : "Nous avons contribué plus que d'autres à la survie du système de retraite par répartition. Que l'on nous donne plus qu'aux autres !". De fait, le versement des pensions en tient compte. Ceux qui n'ont pu avoir d'enfants ou ne peuvent en avoir - et ils sont nombreux (2 millions de couples en France) - pourraient s'insurger mais comprennent qu'ils bénéficient déjà de l'avantage de percevoir une retraite bien qu'ils n'aient pas eu de descendants pour "assurer leur vieux jours". Ces couples sans enfants et les célibataires pourraient encore faire remarquer que du temps où ils étaient en activité, ils ont contribué eux aussi à garantir la pension de leurs ascendants. Finalement, le versement des pensions de retraite s'inscrit dans une trajectoire de vie complète : de l'enfance où la personne n'a pas encore les moyens de subvenir à ses besoins jusqu'à la vieillesse où elle ne le peut plus. Dans ce mouvement des difficultés surgissent quand il y a rupture de la cyclicité et quand la période (vie dite active) qui porte les extrêmes a tendance à se réduire en proportion : enfance et adolescence qui se prolongent, vieillesse plus longue.

La contrepartie (positive) de la disparition de la clef de répartition des montants de pension par points acquis est bien entendu la disparition simultanée du calcul des cotisations à proportion des revenus : à versement identique pour tous doit correspondre une cotisation unique pour chacun. Cela ne tient évidemment et n'est avantageux pour le plus grand nombre que si l'on consent à établir deux choses indissociables : la limitation (en amont) des revenus et l'abaissement du montant moyen des pensions de retraite. La simplification du calcul des pensions de retraite entraîne une complexité organisationnelle plus grande.

Le système actuel accentue les différences entre les personnes : ceux qui ont eu ce qu'on appelle une belle carrière perçoivent une retraite confortable et, s'ils sont encore alertes et entreprenants, ils continuent à exercer une activité lucrative en faisant jouer leurs relations, leur position sociale, leurs expériences, ... tandis que ceux qui ont eu un parcours sans prestige (aux yeux du monde) se retrouvent avec des pensions modestes voire insuffisantes et n'ont aucune perspective de prolongement d'activité. Il arrive même de plus en plus qu'il leur faille quitter leur emploi avant soixante ans. Ainsi a-t-on constaté que dans certains secteurs, des salariés sont considérés comme en bout de course dès 45 ans, dans la grande distribution par exemple : tous ceux qui n'ont pas atteint une position qui les mette à l'abri du déclassement sont alors menacés de licenciement. Depuis que se posent avec de plus en plus d'acuité les problèmes liés aux trajectoires professionnelles, ceux qui interviennent pour remédier aux accidents de parcours et pour les prévenir, disposent d'une somme de connaissances impressionnante, connaissances à la fois théoriques et pratiques (retour d'expérience des seniors qui ont tenté une reconversion). La culture de la prévention, de la préparation et de l'anticipation est ici, comme dans d'autres domaines, à diffuser largement pour éviter les situations de grande pénibilité ou de désespoir.

C'est à la lumière de ce qui précède qu'il faudrait déjà envisager la question du recul ou non de l'âge légal de départ à la retraite et du nombre minimal d'années de cotisation pour une pension complète : les parcours professionnels des uns offrent des possibilités intéressantes de poursuite ou de reconversion ; les parcours des autres se terminent sans aucun horizon. Il n'est pas question de nier la responsabilité personnelle de chacun dans sa trajectoire. Il s'agit d'attirer l'attention sur ces disparités de traitement qui se prolongent de la fin de la période active jusqu'au dernier souffle. Sans compter qu'avec des revenus d'activité conséquents, les uns se sont constitués un capital et se sont entourés de garanties que les plus mal lotis n'ont pu atteindre.

En bonne logique et à condition d'accepter que la notion de vie active soit définie autrement, nous pourrions avoir dès le premier travail et jusqu'à la disparition de la personne une période unique durant laquelle l'activité serait modulée selon les capacités moyennes de la population, les travaux accomplis et les caractéristiques personnelles de chacun. En moyenne : montée en puissance du temps de travail et des responsabilités s'accompagnant d'essais et de recherches ; alternances de périodes de travail à temps plein ou partiel, de périodes de formation, périodes d'enseignement et de transmission des savoirs acquis ... conduisant normalement à une période de maturité puis à un déclin progressif avec d'éventuelles reconversions. A partir du moment où une personne se trouverait en difficulté pour accomplir un travail ou pour en retrouver, elle bénéficierait d'indemnités suffisantes pour la soutenir. La courbe générale de l'activité d'une personne, en dehors des accidents de parcours, couvrirait une durée plus longue avec une entrée plus précoce et plus progressive dans la vie professionnelle et une sortie plus tardive et également plus progressive. Dans un tel schéma, la baisse et le rééquilibrage des pensions de retraite (après une hausse devenue excessive pour certaines catégories de personnes en 2010) est concevable et l'âge légal de départ à la retraite n'a plus de sens : une personne qui se trouve dans un secteur et un type de métier où la poursuite au delà de 55 ans est difficilement tenable perçoit une pension qui équivaut à une assurance chômage et elle est accompagnée pour une reconversion anticipée ; une autre qui se trouve sur un créneau professionnel où continuer à travailler au-delà de 60 ans ne pose pas de problème particulier peut décider ou bien de s'arrêter ou bien de prolonger mais à un rythme moins soutenu. Il est capital que cette baisse de régime ne soit pas optionnelle : retraite signifie ici quelque chose de plus profond qu'une inactivité forcée, une mise à l'écart du jour au lendemain. Il s'agit d'apprendre à s'effacer, à ne plus être indispensable, à passer le flambeau. De ce point de vue, d'ailleurs, les politiques eux-mêmes ont à montrer l'exemple.

Rééquilibrer les montants de pension priverait les uns du superflu et donnerait aux autres de vivre un temps de retraite moins pénible.

Supprimer la clef de répartition des montants de retraite selon les revenus orientera différemment les carrières et apaisera les relations sociales. Commençons par ce dernier point : les discussions et les tentatives de réforme de nos retraites butent toujours sur les différences de régime. En simplifiant le mode de calcul et en l'harmonisant pour tous, nous éliminons cette pierre d'achoppement. Nous rendons également possible des augmentations de rémunération qui ne mettront pas en péril les caisses de retraite puisqu'elles n'auront plus d'incidence sur le montant des pensions. Nous détendons enfin le climat des négociations salariales : oui aux demandes justifiées par l'insuffisance des rémunérations ; non aux réclamations qui surajoutent en toile de fond la question des pensions de retraite.

Réorienter les carrières est un objectif passionnant pour un enjeu capital : construire une société dans laquelle la recherche d'un revenu toujours plus haut ne soit pas le moteur principal de l'investissement du plus grand nombre, bâtir un monde où l'émulation supplante la compétition et où la coopération soit le plus souvent préférée à l'affrontement. Ne plus indexer les retraites sur les revenus antérieurs de la vie dite active constitue le premier volet de la réorientation que nous appelons de nos voeux. Chacun aura alors la possibilité, dès ses jeunes années, de s'investir davantage dans toutes ces actions peu prisées par le monde et donc mal rémunérées mais qui jouent pourtant un rôle indispensable dans nos sociétés : ne redoutant plus de perdre des points de retraite, les plus généreux ne craindront pas de s'engager dans des voies où la gratuité est incontournable. Objecter que certaines personnes le font déjà en se moquant comme de l'an quarante de ce qu'il adviendra après leur soixantième année ne résout pas le déficit actuel de main d'oeuvre dans tous les secteurs où la question marchande est seconde. Nous avons besoin de personnes qui, libérées du souci de leur retraite, n'hésiteront plus à servir des causes désargentées.

dimanche 9 mai 2010

L'Europe et la France (1ère partie)


Volet de plus en plus important d'un projet présidentiel, la question européenne pour un Etat de l'Union comme la France réclame un long développement qu'il est confortable d'éluder par des slogans : "Sortons de l'Europe", "A bas l'Europe des technocrates et des bureaucrates" ... Ce n'est pas le choix du projet France 2022. Il nous paraît capital, au contraire, d'avancer pas à pas et sans faiblir sur un chemin de coopérations, d'échanges, d'unité et d'ouverture qui respecte la diversité, la souveraineté et l'identité des Etats de l'Union européenne.

En préambule, le projet France2022 affirme que l'Europe sera d'autant plus solide et féconde que la construction européenne ne cherchera pas à dissoudre les Etats. Le principe directeur que suit ce projet présidentiel s'énonce même de façon plus générale : aucune entité ne demeure et ne se développe quand elle anéantit ses constituants. Ainsi faut-il défendre des municipalités solides pour des régions fortes ; des régions puissantes pour un Etat souverain ; des Etats incontournables pour une Europe rayonnante. Sans oublier, bien sûr, des citoyens formés à la liberté, à la vérité, à la justice, à l'unité et à l'amour.

La première partie consacrée à l'Europe et à la France laisse de côté des points essentiels - nous y reviendrons dans d'autres parties - pour se concentrer sur des réformes dont l'actualité récente nous donne la matière : crise financière, plan d'urgence pour la Grèce.

Soulignons d'emblée qu'une oeuvre aussi inédite et originale que la construction européenne n'avait et n'aura jamais aucune chance de se dérouler sans heurts, sans crises, sans oppositions fortes. C'est un chantier de longue haleine et d'une immense complexité qui est un signe de contradiction pour le monde (l'expression n'est pas exagérée). A ce titre, la construction européenne est un combat permanent contre toutes les forces de destruction et de mort toujours actives pour tenter d'anéantir ce qui se construit dans le temps et avec amour. Comme l'Eglise est un signe de contradiction dans l'ordre spirituel (et temporel), l'Europe l'est dans l'ordre temporel (et spirituel). A un monde déchaîné qui voudrait courir à sa perte et entraîner l'univers dans sa chute, la construction européenne oppose une fin de non recevoir. Seulement, il faut aussitôt ajouter que :

1. l'Europe est elle-même traversée, comme toute construction humaine, par des courants suicidaires. La construction européenne n'avancera que si nous sommes capables de rester humbles, attentifs à tout ce qui est bon ailleurs, soucieux de la vérité. La sentence de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg à l'encontre des crucifix dans les écoles italiennes est l'un des signes manifestes que l'Europe est atteinte en son coeur même : certains veulent lui ôter son caractère de signe contradictoire pour le monde ;

2. La construction européenne n'est pas la seule tentative internationale que l'on puisse considérer comme signe de contradiction ;

3. Tout groupe, tout corps intermédiaire, tout Etat, toute personne qui ne se laisse pas gagner par la tentation de détruire pour détruire est un signe de contradiction.

Nous devons garder à l'esprit que le territoire européen, comme tous les autres, a été, au cours des siècles, un champ de batailles où les hommes ont atteint les abysses de l'horreur. Nous devons nous souvenir que la construction européenne a été voulue et portée pour sortir de l'ignominie et ne plus jamais y retourner. Au commencement, c'est une oeuvre de paix, avant d'être une oeuvre en quête de prospérité. Que la construction se soit d'abord inscrite dans des efforts de coopération économique (acier, charbon) n'enlève rien à son orientation essentiellement pacifique.

Qu'on l'admette ou non, la paix ne se maintient et ne se développe que là où règne la justice. L'Europe court un premier risque : susciter des sentiments d'injustice de plus en plus violents. En s'enrichissant alors que le monde alentour s'appauvrit, elle suscite des jalousies que de multiples officines sont promptes à transformer en rancoeurs, en revendications justes ou farfelues, en demandes de réparation, ... De tels sentiments ou même des attitudes franchement hostiles peuvent gagner un pays, des groupes d'individus ou simplement des personnes, y compris à l'intérieur de l'Europe.

Le niveau de vie européen, entendu dans un sens très large : économique, moral, spirituel, ..., ne continuera à croître que dans la mesure où nous saurons être justes. Laisser filer les écarts de revenu ou les déficits et les dettes, ce n'est pas être juste. Laisser libre cours à l'économie souterraine blesse la justice ou la ridiculise. Laisser tant de jeunes sans formation solide et adéquate est non seulement injuste mais suicidaire. Laisser chaque année des médecins assassiner des millions d'enfants avant leur naissance et même rembourser cet assassinat est criminel.

Le projet France2022 recense ici les mesures que la France soutiendra auprès de ses partenaires européens pour qu'ensemble nous parvenions à un développement plus juste, sur nos territoires et au-delà de nos frontières.

La première mesure emblématique concerne la monnaie : nous proposons la suppression des billets de banque en Euro, de tous les billets et pas seulement des billets de 500 Euros. Les pièces sont maintenues pour des transactions de faible montant en attendant que des systèmes plus performants et encore plus fiables que ceux dont nous disposons en 2010 permettent également leur suppression. De tels systèmes existent au Japon (400.000 implantations au commencement de la rédaction de cette première partie du projet France2022 consacrée à l'Europe). Cette mesure demandera du courage et même du courage physique : peu de personnes déclarées ont intérêt à s'y opposer ouvertement, ce serait suspect. Inversement, sa défense met en péril ses avocats. C'est trop clair. En revanche, nombreux, trop nombreux encore sont ceux qui verront d'un mauvais oeil ce coup porté à leurs affaires louches ou criminelles. C'est une mesure à prendre sans tarder, après les vérifications techniques d'usage, sans que ses défenseurs n'aient à se déclarer et à en faire l'article. Pour dissuader ceux qui seraient tentés d'agir violemment contre la suppression des billets de banque en Euro, le déroulement pourrait être le suivant :

1. Décision de la cessation de la fabrication des billets de banque ;

2. Reconversion rapide des capacités de production impliquées dans cette fabrication (par exemple dans la production de documents infalsifiables) ;

3. Cessation de la fabrication des billets ;

4. Retrait définitif des billets après un temps d'adaptation.


A ce volet monétaire concernant l'Euro s'ajoute aussi la création de monnaie de service et d'abondance, révolution monétaire d'une envergure insoupçonnée. 

Pour relancer la construction européenne menacée de toutes parts, la France aura grand intérêt à proposer à ses partenaires européens des chantiers de coopération renforcée dans des domaines prometteurs : si nous voulons une plus grande justice, nous n'avons pas pour autant à négliger ce qui assurera la prospérité des pays européens.

Comme au début de la construction européenne, les questions énergétiques et matérielles sont à placer au coeur du renouvellement de l'élan coopératif. La préparation de la sortie de l'âge du pétrole qui se produira avant l'extinction des réserves selon ce mot célèbre qui traduit bien la réalité historique : "l'âge de pierre ne s'est pas achevé par manque de pierres" constituera certainement le principal moteur des développements à venir. Au moins deux chantiers se dessinent : la production, le transport et la distribution d'électricité abondante (*) dans un réseau très fiable et la fabrication de matières plastiques (plus généralement légères, résistantes et biodégradables) sans recours au pétrole. Quoiqu'en pensent certains écologistes bruyants mais peu crédibles, le développement du nucléaire (carte des réacteurs en France), sa miniaturisation, sa diversification (utilisation d'autres minerais) et l'amélioration de ses performances est la voie la plus prometteuse : les plus sceptiques à cet égard gagneront en confiance en prenant connaissance des perspectives offertes par le RNR de 4ème génération (Réacteur à Neutrons Rapides). Voir aussi la mise au point magistrale de Jean-Marc Jancovici à propos du nucléaire et, notamment, du fossé qui sépare risque constaté et risque perçu : interview sur France cuture du 7 novembre 2019.

(*) Notons aussi qu'un choix résolu en faveur de l'électricité permettra à l'Europe de sortir de ses atermoiements au sujet de l'industrie automobile, l'un de ces fleurons dont la perte entraînerait une accélération du déclin de notre continent.

Cet axe principal (nucléaire) n'exclut pas tous les autres développements énergétiques : chacun a ses avantages propres et concourt, par sa position singulière, à l'édification d'un réseau énergétique plus sûr, plus souple et parfaitement adapté aux besoins de nos sociétés de plus en plus complexes. A l'image de la communauté de l'acier et du charbon, nous aurions la communauté de l'électricité, du nucléaire et des matières plastiques. Ce n'est guère poétique mais qu'importe. 

Développer nos capacités de production (en réalité principalement de conversion, sauf pour le nucléaire qui ajoute une quantité d'énergie par destruction de matière), de transport et de distribution énergétique ne signifie pas qu'il faille réduire ou abandonner les efforts pour diminuer les consommations excessives voire inutiles. Il arrive même que certaines options, étranges de prime abord, aient des conséquences bénéfiques et inattendues : ainsi la suppression de l'éclairage sur certains tronçons d'autoroute en période nocturne diminue-t-elle le nombre et la gravité des accidents.

Pour retrouver un brin de poésie, ajoutons au trio "électricité, nucléaire et matières plastiques", l'Europe des arbres (passion bien française comme en témoigne le succès du livre "La vie secrète des arbres" de Peter Wohlleben, des forêts et du bois et, plus largement encore, de la permaculture. En passant par l'Europe végétale, nous arrivons au chantier du XXIème siècle : connaissance du vivant (peu et mal enseigné en France) et exploitation sainte de ses ressources. Tout un programme.

Axer le renforcement de la coopération européenne sur les seules questions énergétiques et matérielles est insuffisant : beaucoup d'autres domaines méritent que nous agissions ensemble dans un esprit fraternel, soucieux de choisir et d'atteindre la vérité. En formant un corps supranational, nous sommes évidemment confrontés aux questions liées à la défense de ce corps. Les crises actuelles soulignent qu'il est menacé. Dire que la construction européenne est mise en péril par des choix incohérents est une explication facile qui a tendance à se répandre. L'établissement d'une monnaie unique serait l'un des ratés de la construction pour quelques-uns de ses détracteurs. Où l'on voit que la défense à organiser doit couvrir plusieurs terrains. Parmi eux, celui des idées justes et fécondes, celui des principes vitaux et vrais ne sont pas les moindres.

Quand le thermomètre indique que le malade a de la fièvre, il est tentant d'accuser l'instrument de mesure et de le casser "pour ne plus voir". Certains vont même jusqu'à dire que la fièvre était inéluctable ... Une monnaie unique était certes un pari osé et même risqué. Il est possible que l'euro soit un échec. Déclarer que l'euro périclitera nécessairement pour des raisons historique ou économique n'apporte pas davantage de lumière que ce filet de la rubrique astrologique affirmant à celui qui est en train de le lire au volant : "risque d'accident aujourd'hui".

Il est de bon ton d'accuser l'euro de tous les maux : quand son cours est trop élevé, il pénaliserait nos exportations. Quand il chute, nos importations nous coûteraient davantage. Il serait devenu une variable d'ajustement qui jouerait toujours en notre défaveur, laissant au géant américain toute latitude pour creuser ses déficits. Nous prend-on pour des idiots ? L'Allemagne qui a eu longtemps une monnaie forte et qui est désormais sous la loi de l'euro comme nous est-elle dans l'incapacité d'exporter ? Les Etats-Unis dont le dollar a été un moment au plus bas ont-ils réussi à endiguer le flot des produits à bas prix qui inonde leur territoire comme le nôtre ?

On nous dit aussi que ne pas avoir sa monnaie à soi serait se priver de pouvoir en jouer, serait s'interdire de l'utiliser comme instrument de navigation dans l'océan du commerce mondial. Comme si nous n'avions pas mieux à faire que de tricher et de camoufler nos faiblesses par des artifices qui, tôt ou tard, ne cachent plus notre misère. La construction européenne n'est pas là pour entériner des pratiques d'un autre âge mais pour montrer que seul un développement économique sain, qui respecte les hommes et leur environnement, nous conduit à davantage de paix et de prospérité.

Les crises que nous connaissons ne révèlent pas la faiblesse de la construction européenne. Elles signalent qu'une économie nationale qui manque de solidité devient incapable de soutenir la compétition acharnée qui se joue sur la planète terre et au-delà. Nous avons certes le droit et le devoir d'affirmer que cette compétition est absurde mais nous ne pouvons pas faire comme si elle n'existait pas. Quand un pays ne maîtrise plus sa situation financière, ce n'est pas de la faute de l'Europe ou de l'euro, c'est qu'il a été mal conduit, mal géré et mal administré. Ce n'est pas en dévaluant sa monnaie qu'il sortira plus libre, plus prospère et plus paisible. Que la dévaluation ait été une arme commode dans le passé n'en fait pas un bouclier imparable en 2010 : il suffit d'étudier l'évolution des modes de défense territoriale depuis la préhistoire jusqu'à nos jours pour comprendre qu'un système perd de son efficacité au fur et à mesure que les combats changent de nature, d'objet ou de théâtre.

Ce qui est certain, c'est que nous avons encore à travailler pour que les décisions prises au sujet de notre monnaie ne jouent pas en notre défaveur. Dès le point de départ, les membres de la zone euro ont eu le tort d'accepter que l'euro soit placé sur une même échelle que le dollar selon une parité favorable aux pays qui avaient une monnaie forte. Un brin de bon sens aurait suffi pour s'apercevoir et prévoir que des pays comme l'Italie, la Grèce, l'Espagne ou le Portugal dans lesquels le moindre prix s'exprimait en milliers d'unités monétaires locales auraient bien du mal à se défaire de mauvaises habitudes tant il est vrai et surprenant de constater que l'esprit humain raisonne souvent sur des chiffres bruts sans tenir compte des unités. Les fondateurs de la monnaie européenne unique auraient dû, au minimum, choisir une unité de valeur dix fois voire cent fois plus petite que l'actuelle. Cela fait certes moins chic et plus "sous-développé" que les Etats-Unis, la Suisse ou l'Allemagne mais cela permet d'y voir tellement plus clair quand certains marchands trompeurs augmentent leur prix. Les Japonais beaucoup plus malins que nous et qui n'ont pas de complexe déplacé et stérile quant à la valeur de leur monnaie ne s'y trompent pas : ils ont la sagesse de conserver une unité de compte faible.

L'esprit enfantin qui se prolonge bien au-delà de l'adolescence chez bon nombre d'adultes vous soutiendra mordicus que "1 ou 2 euros c'est pareil". Il n'aurait pas cette audace à propos de 10 et 20 ou de 100 et 200. Une telle méprise semble ridicule mais à ne pas tenir compte de la faiblesse de l'esprit humain en certaines circonstances, on en arrive à plonger des peuples entiers dans des situations dramatiques. Ce détail peut paraître anodin mais quand on analyse avec sérieux la hausse des prix de l'immobilier en tenant évidemment compte des multiples facteurs qui entrent en jeu, on ne peut être qu'abasourdi par l'insolence (ou l'habileté ?) des propriétaires et des agences immobilières : habitués à manipuler des grands nombres et dépossédés soudainement de ce plaisir de riche par l'entrée en vigueur de l'euro, ils se sont vite rattrapés en devenant de plus en plus gourmands. La faiblesse de l'offre et la croissance de la demande (de logements et d'emplois) aidant, les prix de vente ont fini par retrouver ou même par dépasser leur niveau numérique brut mais ... dans une monnaie six fois plus forte (en France) ! Il y a fort à parier qu'une telle dérive ne se serait pas produite avec une unité de compte plus petite. Un autre domaine crucial pour la vitalité du pays, celui des salaires, aurait également évoluer plus sainement alors qu'en moins de vingt ans l'écart maximal de revenus (du plus bas au plus haut) a connu au contraire une croissance exponentielle en France : il était de 1 à 40, il est aujourd'hui de 1 à 400.

Un point capital, malheureusement négligé par les disputes économiques trop théoriques, a trait à ce que l'on pourrait qualifier d'études économiques de terrain. Au lieu de raisonner en essayant seulement d'améliorer nos modèles macro économiques, nous devrions tenir compte des rapports déjà en place : combien d'heures de telle profession pour une heure de telle autre ? Quelle production de tel métier pour une production équivalente en valeur monétaire de tel autre ? Il ne faudrait pas longtemps pour s'apercevoir que les écarts n'ont cessé de croître. On ne tarderait pas non plus à comprendre pourquoi les entreprises de petite taille ne peuvent accéder à un niveau plus élevé : le poids des charges qui pèsent sur elles n'a cessé d'augmenter. Contrairement à ce qui est affirmé le plus souvent, ce ne sont pas seulement les charges sociales qui pèsent dans la balance mais toutes ces dépenses invisibles pour le client final, ces dépenses qui font partie du commerce inter-entreprise (B to B, business to business). L'un des postes les plus lourds est occupé par l'équipement informatique, sa mise en place, son paramétrage, ses remises à niveau, ses pannes, ses mises en sécurité, ... mais aussi par de multiples interventions spécialisées pour lesquelles l'entreprise qui doit rester centrée sur son coeur de métier est contrainte de faire appel à des concours externes. Les tarifs pratiqués par les sociétés de services peuvent mettre à genou une entreprise mal gérée ou qui ne sait pas trop où elle va. Certains appellent cela "sélection naturelle" : nous aurions là un mécanisme d'élimination des canards boiteux. Qui ne voit que les corps détruits ne renaissent pas nécessairement ailleurs et que s'ils renaissent ils ne sont pas automatiquement en plus grande forme ? Quand nous apprenons que le Ministère de la Défense, lui-même, a mis en péril des entreprises qui étaient prospères (lingeries pour l'armée) en retardant le paiement des factures, nous avons de quoi être choqués, scandalisés, indignés. Et combien d'entreprises vivant de commandes publiques pourraient témoigner de la difficulté d'obtenir le paiement à temps de leurs services ?

Dans la perte de compétitivité de nos secteurs industriels, on accuse trop vite la masse salariale interne : il faudrait tenir compte du recours massif à la sous-traitance tous azimuts, de toutes ces dépenses parfois utiles mais pas toujours indispensables qui viennent pomper les ressources financières des entreprises. Avec le tonneau des Danaïdes informatique, celui des dépenses de communication occupe une place de choix comme celles de consultant ...

Après le risque majeur de susciter des jalousies externes et internes, l'Europe est menacée par la structure des rapports économiques qui s'est installée peu à peu : quand certaines entreprises se servent royalement sur le dos des autres, le nombre de personnes qui se sentent laissées pour compte grandit et la révolte gronde. Quand la recherche de profits toujours plus élevés et toujours plus immédiats pour les placements de capitaux domine l'économie, comment s'étonner que ceux qui n'ont que leur force de travail à louer soient pris de vertige et se considèrent comme otages d'un système qui se moque des hommes ?

Etudier la structure des rapports économiques est vital pour mieux comprendre où le bât blesse chaque économie nationale et l'économie européenne dans son ensemble. Pouvoir étendre l'étude à un territoire aussi vaste et diversifié que l'Europe apporte des informations indispensables à la prise de décision politique car il ne s'agit pas d'accuser tel ou tel secteur de vivre grassement sur la bête, tel ou tel corps de pomper les autres mais de mieux saisir les forces et les faiblesses de chaque économie nationale : qu'est-ce qui est menacé ? Qu'est-ce qui a des chances de se développer ? Qu'est-ce qui doit être soutenu ? Et aussi, car on l'a oublié : qu'est-ce qui doit être mieux encadré, surveillé et contrôlé ? Dans un environnement où l'économie financière a pris tant d'importance, on peut soit accuser Mamon d'avoir fait main basse sur tout ce qui bouge soit réfléchir un moment ... On notera d'emblée que s'auto-accuser d'avoir laisser Mamon régner c'est armer le bras de tous les groupuscules terroristes qui rêvent d'anéantir ce qu'ils considèrent comme le diable incarné. Si ce n'était pas si dramatique, nous pourrions dire : "pauvres diables !". Comme si les choses étaient si simples et si caricaturales. Comme si l'argent ne semblait pas régner en maître partout, y compris dans les pays qui se targuent de vivre au-dessus des autres en terme de moralité.

Pour faire simple quand même, il suffit de constater que la possibilité d'emprunter avec une relative aisance, la possibilité de disposer de réserves financières sans craindre d'être attaqué au moindre carrefour et la possibilité de mettre en oeuvre des moyens de paiement variés constituent à la fois une chance et un risque : d'un côté, l'activité commerçante (au sens d'achat ou de vente) de tous, particuliers ou entreprises, est d'une grande fluidité ; de l'autre, nous avons tendance à vivre sur des sécurités dont nous ne connaissons pas bien le prix.

En poursuivant la réflexion, on ne tarde pas à comprendre que dans l'édifice qui s'est construit, les banques occupent une place déterminante. Elles deviennent pour cela un bouc émissaire quasi "naturel" en temps de crise. Pourtant, si chacun devait garder ses économies à la maison, si nous devions pour tout achat important nous promener avec l'argent nécessaire, ... l'insécurité que nous connaissons en 2010 ferait figure de paradis ... sans oublier qu'autrefois, les villes fermaient leurs portes pendant la nuit ... Heureuse époque que la nôtre même s'il est vrai que tout n'est pas parfait ! Plus on réfléchit à la complexité de notre monde, plus on découvre la sottise des propositions simplistes et suicidaires, parfois proférées à la cantonna...de, qui s'appuient sur une vision manichéenne de la société.

Occupant une place stratégique, nos banques n'ont pas à devenir des Etats dans l'Etat. Comment en maintenir le rôle indispensable et quasi vital pour nos économies tout en veillant à ce qu'elles restent sous contrôle ? Le projet France2022 prévoit une réorganisation qui place l'ensemble des banques d'un territoire national sous le contrôle d'une banque centrale dont la fonction principale est d'être le passage obligé de toute perception de revenu. Cette contrainte forte constitue le guichet de contrôle des revenus des personnes physiques et des personnes morales. Aucune entrée d'argent ne s'effectue sans passage par la banque centrale. Chaque personne physique et chaque personne morale dispose d'un seul compte (qualifié par la suite de compte de recettes) à la banque centrale crédité de ses recettes et débité par les mouvements créditant les comptes (qualifié par la suite de compte de dépenses) dans les banques non centrales. L'octroi d'un compte de recettes à la banque centrale est simple et définitif, depuis sa création jusqu'à la dissolution de la personne morale ou jusqu'à la disparition de la personne physique de nationalité française ou ayant simplement le statut de citoyen municipal. Nul ne peut perdre ce compte-là, pour quelque motif que ce soit. Par définition, c'est un compte qui n'est jamais débiteur : les débits de distribution vers le ou les comptes de dépenses ne peuvent excéder le montant porté au crédit du compte de recettes.

Il serait intéressant ici de faire le tour des objections possibles à ce type de contrainte. Vue d'un oeil a priori défavorable, elle sera perçue comme un coup porté à la liberté individuelle, à la possibilité de s'enrichir à sa guise pour qui l'entend. Ce n'est pas faux : le projet conteste l'idée qu'en laissant chacun s'emplir les poches, on obtienne une économie saine et solide. Instituer un compte de recettes, c'est préparer le terrain d'une limitation des revenus (au moins en euro voire en monnaie de service et d'abondance). Le cacher serait mentir. Préparer la limitation des revenus ne signifie pas vouloir en faire un impératif absolu : il est certainement préférable qu'elle soit d'abord inaugurée par des personnes généreuses qui en auront compris l'intérêt et accepté l'exigence. Cette nuance devrait éviter d'entendre hurler ou applaudir - sait-on jamais - ceux qui s'imaginent que le projet France2022 cherche à ressusciter en France ou même en Europe les sociétés marxistes de triste mémoire : l'adhésion volontaire surpasse largement la règle assénée avec force effusion de sang, tortures, déportations, goulag ...

Ne perdons pas de vue qu'il s'agit avant tout d'établir un système bancaire contrôlé, qui ne roule pas pour lui-même, qui soit vraiment au service du développement économique et social, qui n'écrase pas les individus ou les corps intermédiaires sous le poids de leurs dettes. Tous ceux qui ont eu à subir les pièges de l'endettement comprendront que la contrainte du compte de recettes est destinée à les protéger d'offres alléchantes qui finissent par les mettre à la merci de taux usuriers : en rassemblant les recettes sur un seul compte à l'abri d'une position débitrice et en assortissant cette contrainte d'un contrôle plus serré des mouvements débiteurs vers les comptes de dépenses, le système bancaire proposé empêchera les agents financiers peu scrupuleux d'étrangler les plus faibles ou les plus malchanceux. Ce sera au banquier imprudent de couvrir les pertes dues à une trop grande prise de risque. Là vous entendrez hurler un groupe d'objecteurs qui vous dira : "Alors les banques, qui ont déjà tendance à serrer la vis dès qu'une crise se profile à l'horizon, vont couper les vannes du crédit ! ". C'est pourtant le contraire qui se produira : quand l'économie sera assainie, il sera moins difficile pour les banques de calculer le risque et de prêter.

Situer ici la proposition du compte de recettes pour tous, personne physique ou morale, dans le premier volet consacré à l'Europe et à la France souligne le fait que, si cette mesure était largement adoptée par les pays de l'Union européenne, son effet serait amplifié. Nous manifesterions que l'Europe entend prendre à bras le corps la question de l'assainissement de ses finances. Sans vouloir jouer les devins, nous pouvons affirmer que là où le rôle des banques sera plus soigneusement encadré et rigoureusement défini se développera une économie plus florissante.