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jeudi 21 août 2014

Interventions de l'Etat


En poussant au maximum le principe de subsidiarité qui donne aux instances locales - nouvelles municipalités de grande dimension et cinq provinces seulement - les moyens de gouverner leur territoire, nous obtenons un Etat central qui se concentre sur les missions nationales avec plus d'énergie et d'imagination et qui, libéré des soucis de la gestion quotidienne des affaires intérieures, se préoccupe davantage des questions internationales et européennes, c'est-à-dire de tout ce qui conditionne les actions locales et intérieures. 

Une présentation aussi schématique ne doit pas faire illusion : il est clair que les jeux (géo)politiques intérieur et extérieur sont interdépendants mais il y a au moins deux façons d'envisager leur interaction. La première consiste à faire en sorte que ce soit les mêmes acteurs qui s'occupent de tout. La seconde organise des rôles séparés et les confie à des personnes différentes en veillant à la coordination de l'ensemble. Nous avons déjà abordé cette question à propos des mandats électoraux et en prévoyant leur non cumul. Il nous faudra aller plus loin.

Déléguer le gouvernement des affaires intérieures aux nouvelles municipalités et aux nouvelles provinces n'est pas sans risque : corruption, clientélisme, défauts de coordination, ... Avec les possibilités de contrôle automatique dont nous disposons en 2010, ces risques peuvent cependant être contenus.

Si l'on comprenait la nouvelle organisation territoriale proposée comme une tentative d'affaiblissement de l'Etat français, on passerait à côté de l'un de ses objectifs majeurs : donner au contraire à l'Etat des fondations locales plus solides qui lui permettent de résister, le cas échéant, à toute vélléité de dissolution des Etats au sein de l'Union européenne. En particulier, il nous paraît essentiel de subordonner l'application de certaines directives européennes à l'approbation unanime des cinq provinces françaises définies dans la nouvelle organisation.

Le principe de la subsidiarité doit s'appliquer non seulement pour les différents niveaux de gouvernement mais s'étendre aussi à l'ensemble des corps intermédiaires : familles, associations, entreprises, ... Le projet récuse en effet et vise à contrecarrer le double mouvement général qui s'est instauré peu à peu en France : d'une part, un Etat central omniprésent et d'autre part un affaiblissement de ce même Etat, laissant le champ libre à n'importe quel intérêt privé assez puissant pour dire "zut" à l'Etat quand cela lui chante. Ce double mouvement amplifie le désarroi des Français : quand une situation empire ou paraît empirer, les citoyens français concernés ont l'impression d'être balotés par des courants qui échappent à tout contrôle. Cela ne fait alors que renforcer la tendance actuelle et partagée par beaucoup qui consiste à rechercher un bouc émissaire facile dès qu'une crise apparaît. Le comble est atteint quand l'Etat devenu impuissant se trouve sur le banc des accusés, quand des citoyens mécontents ne se rendent plus aux urnes et saisissent n'importe quel prétexte pour descendre dans la rue.

La décentralisation amorcée depuis 1982 n'a fait que prolonger un mode de gouvernement général qui tend à dépouiller chaque corps intermédiaire de ses prérogatives "naturelles" et à l'accuser à tort dès que rien ne va plus le concernant. On atteint le summum de l'intrication quand l'accusé, lui-même, ne trouve pour seule défense que d'accuser un autre corps intermédiaire. En 2010, nous sommes rendus en un point où la pelote de la société semble bourrée de noeuds en tous sens et où l'on risque, faute de mieux, d'être tenté de tirer brutalement et très fort pour démêler le tout.

Il faut noter également que les régions et mêmes les conseils généraux actuels se sont crus investis soudain d'une vocation internationale et ... roulez jeunesse : un tel crée des maisons, un autre des "ambassades", ... et puis quoi encore ? Non seulement chacun expérimente en apprenti sorcier mais chacun tend à rouler pour son propre compte. Sans le dire et en faisant comme si cela était sans importance, on a mis en place un jeu où s'instaurent des rapports de force entre provinces et pouvoir central. Que certains tirent leur épingle du jeu en s'appuyant sur leurs atouts, pourquoi pas au fond ? " Où est le mal ? " diront certains. "Et d'ailleurs, n'est-ce pas une chance pour les territoires dynamiques de pouvoir ainsi s'affranchir de la tutelle du pouvoir central ?". Certains pensent qu'il est préférable de défendre des couleurs locales, un pavillon régional, pour limiter les risques que fait courir une image nationale détériorée. Le jour où le pouvoir central sera exsangue financièrement, on pressent le retour des pratiques féodales et on imagine, flottant aux quatre coins du monde, les étendarts des régions les plus conquérantes et prospères. Cela ne serait-il pas le sens de l'histoire : montée des libertés et des capacités des personnes morales et physiques ? Un citoyen ordinaire en pleine possession de ses moyens en 2010 ne dispose-t-il pas au fond, d'un pouvoir bien supérieur à celui de n'importe quel monarque des temps anciens : pouvoir d'influencer, de connaître, de se déplacer, d'informer, de communiquer ... ? Chacun n'a évidemment pas les moyens de construire Versailles ou de faire enfermer un rival (tant mieux !) mais que de progrès du potentiel d'action individuelle en quelques siècles. De quoi faire pâlir de jalousie le monarque le plus absolu ! Que dire alors d'une région française et de tous ceux qui détiennent de sucroît quelque pouvoir collectif ? La tentation n'est-elle pas devenue très grande de se prendre pour un dieu ?

Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si les différentes instances de pouvoir n'avaient pas pris les fâcheuses habitudes de dépenser plus qu'elles ne perçoivent. Pour éponger le déficit ou l'éviter, ces instances locales se tournent vers celles qui sont "au-dessus" quand les dotations sont au rendez-vous ou bien décident de ponctionner le citoyen ordinaire beaucoup plus que de raison comme cela est prévu dans les nouvelles orientations du budget national. Toutes n'agissent pas ainsi fort heureusement : des maires vigoureux ont su réduire l'endettement de leur commune. La tentation reste forte néanmoins de se laisser aller au penchant le plus communément partagé : laisser filer les charges en reportant aux lendemains lointains le souci de couvrir les dettes accumulées.

Revenant au thème de ce message, nul besoin d'être grand clerc pour s'apercevoir qu'un pouvoir central qui est devenu incapable de contenir ses dépenses n'a plus aucune légitimité pour contrôler les frasques des pouvoirs locaux. Au mieux peut-il confier au pouvoir judiciaire le soin de poursuivre les plus mauvais élèves. En espérant ne pas tomber lui-même sous les coups de ce gendarme. Quitte à le corrompre ... Scénario noir, certes, mais pas si improbable. En bref : pour que l'Etat puisse de nouveau intervenir efficacement, il faut que le pouvoir central retrouve une bonne santé financière ... sans tuer la poule aux oeufs d'or c'est-à-dire sans ponctionner à l'excès les corps intermédiaires ou les citoyens encore assez riches pour éponger les dettes de l'Etat. 

Précisons que nous ne confondons pas ici la dette du pouvoir central et la dette de la France : notre pays a de beaux actifs. Cela ne doit pas nous endormir car l'affaiblissement du pouvoir central en cours depuis une quarantaine d'années, s'il plaît à ceux qui prônent le tout marchand et par voie de conséquence la destruction de toutes les barrières régulant les échanges de biens et de services, cet affaiblissement est le prélude à la disparition de toutes les défenses qui protègent l'homme de l'esclavage. Croire qu'une fois que le pouvoir central aura quasiment disparu, d'autres instances plus saines prendront le relais, c'est se bercer d'illusion : là où le sommet de l'Etat est défaillant s'installent des puissants qui prennent en main le pays pour servir leurs seuls intérêts. Et quand la misère générale finit par gagner tout un pays, seuls les braves et les humbles, en majorité ceux qui croient au Ciel, ceux qui sont de bonne volonté, répondent présents pour redresser la barre.

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