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samedi 1 mars 2014

La brebis égarée


Elle ne supportait pas l'idée 
qu'an lendemain même 
de la défaite du nazisme, 
deux peuples détestés par Hitler 
se dressent l'un contre l'autre, 
en arrivent à s'entre-tuer, 
chacun étant persuadé d'être 
parfaitement dans son droit 
et unique victime d'une injustice. 

Les Juifs 
parce qu'ils venaient de subir 
ce qu'un peuple connaître de pire, 
une tentative d'anéantissement, 
et qu'ils étaient déterminés 
à tout mettre en oeuvre 
pour qu'une telle chose 
ne se reproduise plus jamais ; 

les Arabes 
parce que la réparation du mal, 
en quelque sorte, 
se faisait à leurs dépens, 
alors qu'ils n'étaient pour rien 
dans le crime perpétré en Europe.

Les Echelles du Levant, p. 158
Amin Maalouf

La brebis hors du troupeau est en danger de mort : elle est à la merci d'une chute, de l'attaque d'un prédateur, du froid, d'un manque de nourriture ... La voici menacée de toutes parts. 

Il n'est que de suivre, pas à pas, Gunnar Gunnarson et son "Berger de l'Avent" parti à la recherche des brebis égarées dans la montagne islandaise, pour saisir ce qu'il faut à l'homme, de courage et de ténacité, quand il a décidé de refuser la mort de celles qui se sont attardées ou perdues en chemin.


L'homme fautif, celui qui a été pris, la main dans le sac, comme celui qui a échappé à la justice de ce monde, est comme une brebis égarée. Si nul ne part à sa recherche, il ira à sa perte. S'il refuse une main secourable, il s'enfoncera davantage.

Celle qui a choisi d'éliminer l'enfant qu'elle portait en elle, quelle que soit la raison de son geste, erre comme une brebis égarée. Si personne ne vient à sa rencontre pour la relever, elle se perdra ou se détruira pour faire justice elle-même. S'il lui reste assez de force et de lucidité pour ne pas se haïr à tort, il lui arrivera de chercher à démolir autour d'elle, propageant les pires idées et prônant quelques évolutions absurdes.

Vouloir réduire la violence, sans réfléchir aux conséquences de l'extermination licite d'un millier d'innocents chaque jour ouvrable en France, soit une exécution toutes les 30 secondes ouvrables, voilà bien une volonté de brebis égarée. L'animal perdu n'est pas seulement tel ou tel - chacun de nous en vérité, à un moment ou l'autre - mais aussi un pays tout entier, un continent, un monde en déclin où la mort redoutée serait devenue une panacée.

Parmi les nations, chaque patrie est en proie à une série d'égarements. Certains jurent dans le paysage médiatique ou dans l'opinion. D'autres sont plus discrets et ce ne sont pas les moins dangereux. Depuis des années, une nation se distingue et si nous n'arrivons pas à la remettre sur le sentier du bercail, il est à craindre qu'elle ne finisse dans le ravin. Elle est armée jusqu'aux dents mais n'a jamais eu aussi peur. Elle vit grassement mais demeure insatisfaite. Plusieurs attendent qu'elles s'endorment pour la rôtir en méchoui.

"Oeil pour oeil, dent pour dent" était un progrès mais voilà deux mille ans que raisonne un appel plus pressant, plus exigeant, pour nous inviter à ne pas répondre à la violence par la violence. La brebis égarée est-elle encore en mesure de l'entendre ? Qui saura la convaincre qu'il n'est pas dans sa nature d'être agressive, que la crainte d'offenser est salutaire puisqu'elle délivre de la peur ?

Quand une brebis s'est mal comportée, notre instinct nous pousse à la mettre à l'écart voire à la rejeter. Autrefois, elle était frappée, torturée et même tuée. Aujourd'hui, l'enfermement qui précédait le supplice est devenu le châtiment. Lieux de détention provisoire, nos prisons n'avaient pas été conçues pour la prolongation du séjour. Malgré de nouvelles constructions, des aménagements et des rénovations, l'emprisonnement engendre beaucoup de pauvretés et de misères : au lieu d'améliorer, nous provoquons, trop souvent, l'aggravation. Quelques rédemptions exceptionnelles ne cachent pas l'incohérence et l'inadéquation de nos pratiques pénales.

Le projet France2022 prévoit de réduire la durée des peines de prison pour des malversations sans violence envers les personnes et de limiter les décisions d'enfermement dans tous les cas où la sanction de la mise à l'écart n'est pas justifiée par des raisons graves de sûreté. Un exemple : toute personne ayant commis des malversations financières doit être tenue de réparer les préjudices qu'elle a causés mais n'a pas à être enfermée. Seules devraient être emprisonnées (et soignées) les personnes ayant tué ou agit violemment (viols, coups et blessures, séquestration, menaces ...). 

Le projet France2022 prévoit plus fondamentalement de remédier aux causes de ces mises en prison sans prétendre, cela va de soit, parvenir à les éliminer. L'une de ces causes majeures est la consommation excessive d'alcool (on estime qu'aujourd'hui un tiers des prisonniers sont incarcérés à cause de l'alcool) qui provoque tôt ou tard des situations de violences telles que leurs auteurs se retrouvent derrière les barreaux. Ces excès eux-mêmes sont les conséquences de multiples causes dont l'analyse fournit de nombreuses pistes de travail en vue d'améliorer les conditions de vie en France en atténuant, notamment, les effets de mesures qui engendrent les structures de péché et de mort, ces toiles d'araignée, en lesquelles se laissent piéger tous ceux qui ne sont pas armés pour les percevoir, s'en écarter ou les éviter. 


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